La Franc-maçonnerie se définit volontiers comme un « ordre initiatique, traditionnel et universel, fondé sur la fraternité ». D’emblée donc, le caractère initiatique de la démarche maçonnique est clairement mis en avant. Encore faut-il s’entendre sur le sens donné à ce mot. Qu’est-ce que l’initiation ? Qu’est-ce que la démarche initiatique ? Qu’est-ce que la quête initiatique en Franc-maçonnerie ?
Initier, c’est commencer. Le mot vient du latin initium, qui signifie commencement, sens que l’on retrouve par exemple dans le mot français « initial ».
Le dictionnaire de l’Académie française donne pour le verbe initier le sens d’amorcer, engager, mettre en œuvre la phase initiale d’un processus.
L’initiation est donc un commencement.
Celui qui est initié entame une nouvelle phase, accède à un nouveau statut.

Dans de très nombreuses sociétés, l’initiation marque encore de nos jours le passage de l’irresponsabilité de l’enfance aux droits et devoirs de l’âge adulte. On connaît ainsi les rites et les épreuves, les cérémonies, qui marquent l’initiation des jeunes membres de la plupart des tribus du continent africain. Leur initiation fait d’eux des membres à part entière de la société.
Plus proches de nous non seulement par la géographie mais aussi par le jeu des influences philosophiques et historiques, on peut évoquer ici les initiations de l’ancienne Egypte ou de la Grèce antique, et en particulier les Mystères d’Eleusis, qui étaient les plus importants de ces rites, basés sur la symbolique de la mort et de la résurrection, et qui, surtout, devaient conserver leur caractère à la fois sacré et secret.
On retrouve également des rites d’initiation parmi les artisans et bâtisseurs admis dans les Collegia fabrorum romains.
Comme leurs devanciers égyptiens et grecs, ils se transmettaient, selon un mode progressif, les secrets des justes dimensions et de la juste orientation des sanctuaires qu’ils érigeaient et décoraient à la gloire des dieux. Ils s’efforçaient de créer le beau et l’harmonieux en respectant les proportions, les angles, les rapports de la Nature elle-même, telle que la divinité, à leurs yeux, les avait déterminés.
Ainsi ce qui était en bas était comme ce qui était en haut. Le microcosme était homothétique au macrocosme.

Quelques siècles plus tard, même si la continuité historique n’est pas parfaitement établie, les bâtisseurs des cathédrales du Moyen-âge ont sans nul doute hérité de ces connaissances sacrées. Ils ont aussi hérité de leur mode de transmission, en en conservant en particulier le caractère progressif.
Nous avons hérité d’eux le terme de loge, qui désignait le bâtiment qu’ils construisaient pour y vivre, y tracer leurs plans et instruire les apprentis et les compagnons recrutés sur place pour participer ào la construction. On utilise aussi le terme atelier, au sens où on parle d’un atelier d’architecte. La transmission se faisait sous le sceau du secret car il convenait que ces connaissances liées à l’essence même du projet divin ne soient pas divulguées à qui n’aurait pas eu qualité pour les connaître.
De nombreux documents attestent que ces bâtisseurs, charpentiers, tailleurs de pierre et autres maçons appartenaient à des associations pratiquant des rituels d’initiation, respectant le secret et faisant vœu de solidarité.
Peu à peu, des membres n’appartenant pas au métier furent cooptés au sein des Loges. Clercs, érudits, membres de la noblesse des villes où s’érigeaient les cathédrales et basiliques, ils avaient à cœur de partager la Connaissance qui gouvernait la construction de l’édifice qu’ils avaient commandité. Ainsi les Loges s’enrichirent-elles de membres « acceptés« .
Dans tous les cas, ce qu’ils transmettaient à leurs disciples formait un ensemble cohérent, constituant un enseignement dispensé de manière progressive et discontinue, formant ainsi, palier après palier, un système à degrés.
La méthode initiatique pratiquée dans toutes les loges maçonniques du monde transmet ainsi graduellement à la fois le fond de l’enseignement – son contenu – et la forme traditionnelle qui véhicule cet enseignement – son contenant

Ainsi, le mode de transmission de la Tradition est lui-même inscrit dans la tradition, et le Rite se pérennise, degré après degré. En fait, les trois premiers, Apprenti, Compagnon et Maître, tirent leur origine de la tradition initiatique du Métier. Les trente degrés suivants, qui permettent la poursuite du cheminement initiatique au Rite Ecossais Ancien et Accepté sous les auspices d’un Suprême Conseil, empruntent davantage aux traditions spirituelles de l’Orient et de l’Occident, et à la tradition chevaleresque.
Quel que soit le degré qu’il est atteint dans son cheminement, le Franc-maçon progresse selon une démarche initiatique qui est une quête spirituelle lui ouvrant, progressivement, la voie vers la Connaissance. De quelle connaissance s’agit-il ici ? De la connaissance de soi et du rapport du soi aux autres et au monde, d’une compréhension, d’une perception à la fois intime et profonde, d’une conscience.
C’est aussi la conscience de l’ordre universel, de l’unité de la Création, du caractère absolu du Un – Tout fondamental que les Francs-maçons appellent la Vérité. C’est la Lumière vers laquelle nous nous efforçons de progresser et qui éclaire notre chemin.

Chaque initiation est un passage, l’ouverture à un nouvel espace de la conscience, de la pensée et de l’action. Elle est une mort à l’état antérieur, immédiatement suivie d’une renaissance à un état nouveau. Chaque initiation transforme celui qui la vit. Ce qui est une manière de dire qu’il y a un avant et un après, que chaque initiation est bien un passage, un tournant, une mutation.
Le Grand Architecte de l’Univers à la Gloire duquel travaillent ces loges « traditionnelles» est confondu avec Dieu pour les uns, considéré comme un principe métaphysique placé hors du champ des religions pour d’autres, ou encore assimilé à l’Ordre cosmique. Mais en tout état de cause, ce principe unique, universel, intemporel, dépourvu de tout caractère anthropomorphique, est créateur de l’ordre universel, organisateur d’un équilibre, d’une harmonie, qui assurent la cohésion et la cohérence de l’Univers, par-delà les désordres contingents, les agitations locales, les soubresauts et les accidents ponctuels.
C’est de cet Ordre universel que prend peu à peu conscience l’initié, en même temps que de son rôle, de sa mission.
L’initiation maçonnique est ainsi au cœur même de l’éthique, c’est-à-dire relative aux conduites humaines et aux valeurs qui les fondent.

L’initié s’est un jour résolu à se mettre en chemin, à aller à la recherche de soi. Le chemin de l’initié demeure un chemin individuel, mais il ne saurait être un chemin solitaire. Au contraire, il ne peut se parcourir que parmi les autres, grâce aux autres, grâce à ses Frères.
En effet, la méthode initiatique va conduire le Maçon à découvrir non seulement l’importance de l’écoute de l’Autre, en invitant l’Apprenti à garder le silence, à se taire pour mieux écouter et mieux entendre, mais aussi et peut-être surtout le silence intérieur, qui loin d’être une attitude passive et inerte, permet d’être à l’écoute de l’Etre à l’intérieur de soi. Ce silence actif, cet éveil, cette écoute, conduit à l’Etre intérieur, d’où l’on peut percevoir le Tout, le Un, l’Universel.
La démarche initiatique est donc une démarche de l’homme en lui-même, pour lui-même, en même temps qu’elle est une ouverture aux Autres, à leurs différences, à leurs particularités. L’initié, étape après étape, degré après degré, va se construire et contribuer avec d’autres à construire le monde autour de lui, bâtir son temple intérieur et participer au Grand Œuvre, concourir à l’édification du temple de l’humanité, et à l’accomplissement du projet que les Francs-maçons attribuent au Grand Architecte de l’Univers.

Ainsi, les Francs-maçons œuvreront sans avoir besoin de bannière ni de mot d’ordre, sans espérer de récompense ni dans le présent ni dans une hypothétique vie future. Inlassablement, ils travailleront à créer davantage de justice et d’équité, davantage de vérité, davantage de respect de l’autre, de tolérance et d’Amour.
Nous pouvons faire ensemble, assurément, le constat que le monde contemporain est en quête de repères, en quête de sens, et qu’il court le risque de perdre l’essentiel, que sont les valeurs de l’humain. Le principe que nous nommons Grand Architecte de l’Univers nous offre le champ infini d’une spiritualité ouverte, qui ne nous interdit ni ne nous impose aucune appartenance, aucune croyance ni aucune pratique.
Une telle quête, un tel projet, un tel engagement, dont l’objet est le véritable humanisme compris comme une éthique de l’humanité dans sa diversité mais aussi son unicité. C’est donc bien une spiritualité universelle, qui n’a rien de contingent. La voie maçonnique est aussi la voie qui permet en effet à mesure que l’initié progresse, de conquérir sa pleine liberté de conscience, sa pleine liberté de pensée.

Le Franc-maçon n’est pas asservi à une idéologie mais fondamentalement libre, pour créer davantage de liberté donc de responsabilité, et s’approcher de l’homme réalisé, en harmonie avec la Vérité éternelle et universelle.
L’initiation, c’est une longue quête qui amène le Franc-maçon, par une démarche progressive, à la recherche du Bon, du Beau, du Vrai et du Juste.
Nous sommes donc Maçons ou Maçonnes pour cultiver en nous et faire rayonner autour de nous des valeurs, des principes moraux susceptibles d’inspirer et de guider nos choix, nos pensées et nos actes.
Il importe de réfléchir aux apports, mais aussi aux limites de ce que nous appelons intelligence artificielle.

L’expression a été créée il y a un demi-siècle par John McCarthy, professeur à l’Université de Stanford, en Californie, et Marvin Minsky, du célèbre MIT, pour désigner, je cite, « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique ».
Artificial ou artificielle veut dire clairement que le processus s’efforce d’avoir toutes les apparences de l’intelligence humaine, et insistent sur le fait que le fonctionnement interne du système doit ressembler à celui de l’être humain et être au moins aussi rationnel.
Il s’agit donc d’imiter au mieux les fonctions du cerveau humain.

L’intelligence dont il est question ici, c’est l’ensemble des facultés de conception, de compréhension, d’adaptation quant aux opinions, les auteurs anglo-saxons considèrent que l’intelligence est la capacité d’avoir des opinions fondées sur la raison. On voit immédiatement une limite à cette compréhension, et par tant à ce que l’Intelligence Artificielle va chercher à imiter : l’I.A. aboutit à des opinions ou propose des options fondées sur la raison.
Or nous savons que nos choix, qu’il s’agisse d’opinions, de jugements, d’inclinations, procèdent de notre cerveau droit comme de notre cerveau gauche, c’est-à-dire de nos émotions, de notre intuition, comme de notre raison. Les valeurs de l’humain ne sont pas uniquement l’expression de ce que commande la raison, les faits démontrables et démontrés.
L’intelligence Artificielle est donc incapable d’imiter le cerveau humain en ce qu’il a de non-rationnel.
Très concrètement, cela signifie qu’une machine, si sophistiquée soit-elle, n’a pas d’état d’âme, pas d’émotion, pas d’affect, pas d’éthique. Une machine, même si elle est dotée de capacités d’auto-apprentissage, n’a pas peur, n’aime ni ne déteste rien ni personne.
En fait, en dehors des ouvrages de science-fiction, les machines n’ont pas de conscience, n’éprouvent pas de sentiments. On pense ici aux célèbres Lois de la Robotique d’Isaac Asimov :
1/ Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ;
2/ Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi ;
3/ Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.

A défaut d’être capables de ressentir, les machines peuvent néanmoins simuler, en apparence, des émotions et une conscience. Si elles parviennent à en donner l’illusion, ce ne peut être que le fait de leur programmation. Une machine ne peut, si perfectionnée soit-elle, éprouver de la douleur, du plaisir, de la peur. E t quand bien même on pourrait créer une telle machine, elle ne les percevra pas de la même manière que nous.
Reste qu’il est de plus en plus évident que les systèmes d’intelligence artificielle deviennent capables d’accomplir certaines activités qui auparavant étaient l’apanage exclusif des humains. Le développement de ces systèmes conduit au renforcement progressif de leurs facultés d’autonomie propre et de cognition – c’est-à-dire la capacité à apprendre par l’expérience et à prendre des décisions de manière indépendante –, lesquelles sont susceptibles de faire de ces systèmes des agents à part entière pouvant interagir avec leurs opérateurs et leur environnement et les influencer de manière significative.
En fait, toute technologie offre de nouvelles opportunités en même temps qu’elle crée des risques. Et il ne faut pas négliger les aspects éthiques du développement de ces technologies. Je soulignerai trois des risques éthiques liés à l’Intelligence Artificielle :

Je citerai en premier lieu le risque de désengagement : l’utilisation de l’IA et de machines autonomes peut conduire à un désengagement de l’humain. Remplacer le facteur humain par de l’IA pourrait conduire à une déshumanisation des pratiques et un appauvrissement des interactions sociales.
Au-delà de la technique, qui s’intéresse aux maladies, il y a la relation humaine, qui s’intéresse au malade. En fait, le secteur de la santé, des soins apportés aux patients, aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées va, dans les prochaines années, être profondément transformé par le développement de technologies, avec grande diversité d’applications allant de l’assistance au contrôle, ou à l’accompagnement quotidien.
Le récent scandale des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes montre bien combien le rapport humain est essentiel, et combien l’éthique ne saurait être sacrifiée sur l’autel de la rentabilité financière. La forte dimension affective au cœur de la relation de soin ne va pas cesser d’évoluer et, dès lors, va modifier à la fois le travail des soignants comme la vie des patients. Il faut veiller à ne pas déshumaniser la relation soignant-soigné, tout en se félicitant de ce que les machines, les robots, les automates peuvent permettre, qui renforce l’efficacité, assure la proximité et la sécurité des soins.

Le deuxième risque est la déresponsabilisation : progressivement, l’être humain pourrait avoir tendance à s’en remettre exclusivement à la proposition de la machine, en évitant d’engager sa responsabilité. Dévier de la solution préconisée par la machine entraînerait une prise de risque trop grande, susceptible de lui faire encourir d’éventuelles sanctions en cas de problème. Cela est vrai en médecine come dans de très nombreuses activités, par exemple le pilotage des véhicules ou des avions.
Le troisième risque est celui de l’atteinte à l’autonomie et par tant à l’imagination et à la créativité. Derrière les vertus facilitatrices de certains dispositifs peut se déployer de manière sous-jacente une normativité. Ainsi, certains dispositifs pourraient empêcher les êtres humains d’adopter des comportements considérés comme « sub-optimaux », de tenter certaines expériences, voire de commettre des erreurs qui souvent sont à la source de nouveautés et de découvertes
Mais on ne saurait se priver des considérables progrès, en tous cas des indiscutables transformations et accélérations que l’Intelligence artificielle va apporter, par exemple en ce qui concerne la recherche clinique, qui permet d’éprouver l’efficacité et la sécurité des nouveaux médicaments.
Le numérique va très certainement permettre de tester les nouveaux médicaments plus rapidement, et sans doute avec moins de patients. Ce que l’on appelle déjà les essais in silico, c’est-à-dire mettant en œuvre des méthodes d’études effectuées au moyen d’ordinateurs dont les puces sont principalement composées de silicium, vont très probablement optimiser la sécurité des tests cliniques.

Il faudra donc peser les bénéfices et les risques, faire preuve à la fois d’audace et de raison, arbitrer. En un mot, accepter d’intégrer les progrès de la technologie, tout en ne cédant rien quant aux valeurs de l’humain. On aura je l’espère compris que le Franc-Maçon, au motif que le rituel, les décors, les appellations des Officiers ou les outils de la Loge perpétuent d’antiques traditions, ne saurait être le défenseur d’un passéisme nostalgique, d’un conservatisme poussiéreux.
En fait, on aura compris que le Franc-Maçon doit inlassablement œuvrer au progrès de l’homme et de la société. Il doit être un homme de son temps, partager les interrogations de son époque, comme par exemple sur la pollution, l’énergie et la parentalité, mais aussi le respect de la différence et de la dignité de chacun, quelle que soit sa différence.
Chacun aura donc compris que le Franc-maçon doit être le gardien de l’éthique, le gardien des valeurs de l’humain dans tout ce que le progrès technologique peut apporter qui facilite, démultiplie, voire rend possible ce qui jusque-là semblait impossible.
On doit également comprendre que l’intelligence artificielle est un outil fantastique qui doit être au service de l’homme, et non l’inverse, l’homme devenant l’esclave des machines sans garder la maîtrise de l’initiative, sans garder le contrôle ultime sur les choix proposés par le robot. Parce qu’au-delà de ce que les équations, les algorithmes et les calculs de probabilité peuvent analyser et suggérer, il y a des principes et des valeurs dont nous avons choisi d’être, à notre place et à notre office, les garants.