lun 20 octobre 2025 - 19:10

Le « Symbolisme des Ordres de Sagesse du Rite Français » – du 1er au 4e Ordre

Dès l’incipit, une ligne de conduite se dessine avec la netteté d’un trait d’équerre. Laurent Perret, Suprême Commandeur du Grand Chapitre Français et du Suprême Conseil du Rite Moderne pour la France, écarte deux tentations symétriques qui stérilisent la pensée : clore le sens comme on scelle une arche, ou bâtir un catéchisme qui prend le symbole en otage.

L’avertissement n’est pas protocolaire ; il est performatif. Il nous invite à lire dans l’esprit d’une Loge au travail, non d’un tribunal du sens. À ce seuil, Olivier Tazé pose son compas : il met en ordre sans enfermer, il éclaire sans réduire, il indique des passages sans ériger de checkpoints.

La préface, loin d’être un tapis rouge, est un garde-fou éthique ; elle protège la liberté intérieure du lecteur autant qu’elle protège le Rite de la glose définitive.

Cette liberté s’adosse à deux piliers qui plaquent l’édifice sur son terrain vivant. Pierre Mollier, avec la « Genèse », reconduit la chaîne d’union des textes et des filiations : sources, variantes, gestes fondateurs – tout ce qui, dans la longue mémoire française, donne une charpente aux Ordres de Sagesse. Le texte de cette « Genèse » est d’ailleurs issu, comme l’indique le référencement en bas de page, de son ouvrage Les hauts grades du Rite Français – Histoire et texte fondateur, Le Régulateur des chevaliers maçons (Dervy, coll. Renaissance Traditionnelle – Bibliothèque de la franc-maçonnerie, 2017).

Philippe Michel

Philippe Michel, membre de la Chambre des Grades du Grand Chapitre Français, remet ensuite l’ouvrage dans son histoire : la cristallisation de 1785-1786, puis le XIXᵉ siècle avec ses réformes, ses foisonnements, ses rectifications. Ce binôme n’ajoute pas un vernis d’érudition ; il règle la lumière. Nous savons d’où viennent les formes, comment elles ont tenu, où elles ont parfois cédé, et pourquoi il fallait, à certains moments, resserrer la voûte.

De là découle une clarification féconde : quand l’anglo-saxonnité choisit de conserver trois degrés – et d’y adjoindre, selon les usages, l’Arche Royale –, la France opte pour une voie sage, structurée en Ordres, afin de préserver, après la Maîtrise, la cohérence du grand récit. Non pas une surenchère décorative, mais une pédagogie de la montée : justice qui redresse, alliance qui oblige, reconstruction qui s’enseigne, paix profonde qui s’éprouve. Le rappel n’est pas polémique, il est organique : il explique l’architecture même du quadriptyque, pensé comme un continuum ascendant et pourtant cyclique dans l’esprit – selon la formule heureuse de l’introduction. Nous gravissons, nous trébuchons, nous rebâtissons ; nous revenons au même point, mais plus haut, comme sur une rampe invisible qui épouse le souffle du Rite.

Ainsi, la mise au clair éthique du début n’est pas un simple préambule ; elle est la clé qui ouvre toutes les portes du livre. Elle nous apprend à lire comme nous travaillons : avec méthode et souplesse, dans la fidélité et sans fétichisme. Elle nous reconduit à cette juste mesure française – l’art de ne pas confondre autorité et autoritarisme du sens – où chaque symbole demeure passage et non possession, et où le lecteur, loin d’être contraint, est convié à devenir, marche après marche, l’artisan de sa propre élévation.

I. Élu Secret – la justice qui redresse

Le premier livret épouse fidèlement la partition annoncée par le sommaire : introduction du grade, symbolique générale, contexte historique et biblique, déroulement de la cérémonie, symboles majeurs. Cette granularité est précieuse pour le travail en Loge : elle permet de lier geste, parole et finalité.

L’axe du grade tient dans la conversion de la vengeance (Nekam) en justice. Olivier Tazé évite l’écueil moraliste : il montre comment l’économie rituelle fabrique cette conversion. La chambre de préparation n’est pas une antichambre psychologique ; elle est déjà plongée dans la dramaturgie du tirage au sort et de la mission : accepter l’inattendu, consentir à « faire sa part ». La caverne – motif matriciel – devient un laboratoire de vision où l’Inconnu met à l’épreuve notre rapport au vrai. La purification et le retour ferment la boucle : la justice ne punit pas, elle rétablit.

Le chapelet symbolique est traité un à un : étoile du matin, nombre 9 (neuf ombres, neuf marches, cycle de gestation), cordon Vincere aut mori, Source, Lampe, marche en arrière, signe/contre-signe, trois maximes, chien, rouge et noir, nombres 9 & 15, Joaben, Abibal… Olivier Tazé ne cède pas au pittoresque ésotérique : chaque item revient à son usage initiatique. Ainsi la marche en arrière cesse d’être une curiosité pour redevenir un entraînement à la lucidité ; la lampe n’est pas un bibelot, elle est la discipline du regard ; le Chien, gardien des seuils, nous apprend que l’instinct loyal précède la rhétorique morale. Résultat : un grade compris comme rectification – et non comme règlement de comptes spirituel.

II. Grand Élu Écossais – l’alliance éprouvée

Le deuxième opus déplace le centre de gravité : après la justice, l’alliance. Le sommaire met en avant la triade sacrifice – purification – partage, puis l’accès à la Parole sacrée sous le triangle, la voûte, la pierre d’agate et les quatre voiles du Saint des saints. La pédagogie d’Olivier Tazé consiste à faire travailler les symboles : pain et vin comme acte de fraternité (pas comme emprunt liturgique), eau et fumée comme pédagogie de l’ascension (ce qui monte n’est pas ce qui enfle, mais ce qui s’allège de soi).

Le triangle redevient figure d’alliance (verticale et horizontale), la pierre d’agate relève de la protection intérieure – un cœur poli, pas une amulette –, le chandelier à sept branches ordonne les vertus comme autant de luminaires du travail quotidien. Belle démonstration aussi sur les voiles : ils ne dissimulent pas le sacré, ils nous apprennent à ne pas confondre curiosité et dévoilement. Les entrées hébraïques (El Hanan, Schem Ham Phorasch, Berit, Neder, Schelmout) sont traitées dans la retenue : assez pour ouvrir, jamais pour clore.

III. Chevalier d’Orient – rebâtir dehors et dedans

Le troisième livret est celui de l’architecture retrouvée. L’introduction inscrit Zorobabel dans le double contexte : Babylone, Cyrus, retour à Jérusalem, puis reconstruction. Le test de foi en captivité, la perte volontaire des signes au franchissement du pont, l’investiture par l’épée et l’écharpe, la truelle et la lumière des 70 bougies donnent à sentir la cadence du grade : fidélité, dépouillement, service.

Le long collier symbolique est exemplaire pour un travail d’atelier : épée, pont – liberté de passage, songe de Cyrus, 70 lumières, truelle, titre de Chevalier, couleur verte, outils cassés et dispersés, “Yaavorou hammaim”, lion, “Rends la liberté aux captifs”, Zorobabel, Juda/Benjamin. Olivier Tazé insiste,  à juste titre, sur les outils brisés : nous ne rebâtissons pas à partir de rien, mais de ce qui fut mal-usé. La couleur verte n’est pas un signe d’appartenance ; c’est un dynamisme : chlorophylle des chantiers de l’âme. Et l’épée ne glorifie pas la force : elle tranche l’illusion, pendant que la truelle joint, assemble, répare. L’opus réussit ici une chose rare : faire sentir que la chevalerie devient charte de gouvernement de soi.

IV. Chevalier Rose-Croix – l’unification intérieure

Le quatrième livret est écrit dans une langue plus sobre encore : normal, il traite de l’ineffable. La montée des quatre chambres – obscure, noire, de réprobation, rouge – compose une alchimie (nigredo, discernement des sept péchés, rubedo de la charité agissante). Olivier Tazé ne raconte pas la scène ; il règle la lumière, dosage après dosage. Rose et Croix, Foi-Espérance-Charité, pélican, aigle, serpent, INRI, Emmanuel – paix profonde, nec plus ultra, 33, banquet/cène mystique, baiser de paix : l’enchaînement va de l’appréciation morale (qui ne suffit pas) à la transfiguration (qui oblige).

Mention spéciale pour INRI : loin d’un jeu d’initiales secrètes, l’auteur rappelle ses couches d’interprétation et son pouvoir d’incandescence du verbe – ce qui est prononcé avec rectitude brûle l’ego qui l’instrumentalise. Le baiser de paix n’est pas affect : c’est un acte politique au sens haut, qui désarme la violence mimétique. Quant au nec plus ultra, il n’érige pas une barrière ; il énonce une mesure : au-delà de cette cime, l’homme ne grandit plus en intensité, il grandit en douceur.

Olivier Tazé

La tenue d’ensemble : clarté, fidélité, justesse du geste

Ce quadriptyque ne s’empile pas, il se tient. Les sommaires, d’abord, agissent comme une rampe de lumière : déroulement et “symboles majeurs” ne sont pas des balises scolaires mais des prises sûres pour l’étude en commission ou en tenue de perfection. Tu peux saisir un motif – la marche en arrière, les quatre Voiles, le pont, le baiser de paix – et bâtir autour de lui une séquence de travail sans perdre la visée du grade ; chaque entrée devient une pierre d’attente, prête à être taillée par l’Atelier.

Cette clarté n’ôte rien à la profondeur parce qu’elle s’adosse à une fidélité exigeante. L’appui constant sur les rituels de 1786 replace le Rite Français dans sa maturation propre – loin des proliférations du XIXᵉ qui brouillèrent parfois la ligne – et maintient le cap d’une sobriété française : pas d’exotisme enjolivé, pas de surenchère décorative, mais une dramaturgie nette qui conduit de la justice à l’Alliance, de la reconstruction à la paix profonde. On avance droit, sans emphase, avec la patience d’un bâtisseur qui préfère la charge à la posture.

Reste le ton, qui est la mesure intime de l’ensemble. L’écriture demeure tenue, accessible sans vulgariser, précise sans sécheresse ; le lexique symbolique vise le cœur de l’usage, et les notations bibliques sont reconduites à leur portée initiatique, loin de toute scolastique desséchante. On sent la fréquentation réelle des chambres, l’odeur du bois et de la cire, et cette volonté discrète de servir plutôt que d’expliquer. À la lecture, l’œil s’éclaire, la main se pose mieux sur l’outil : le texte ne brille pas pour lui-même, il met en état d’ouvrage.

Pour qui, pour quoi ?

Pour le Frère de la GLNF aux portes du Premier Ordre, ces livrets donnent une grille d’orientation fiable : que regarder, que travailler, que déposer. Pour le Maître déjà engagé dans les Sagesse, ils offrent une relecture qui remet à l’endroit certains automatismes (la justice sans ressentiment, la pureté sans puritanisme, la chevalerie sans pose, la charité sans tiédeur). Pour les Très Sages, ils constituent un viatique de transmission : la matière y est suffisamment structurée pour nourrir des chantiers collectifs.

Au total, ces quatre opus accomplissent ce que promet le Rite lorsqu’il est bien servi : ils redonnent de la tenue à notre marche. L’Élu Secret nous apprend à nommer l’ombre sans l’habiter ; le Grand Élu Écossais, à tenir l’alliance par des gestes simples ; le Chevalier d’Orient, à rebâtir sans fétichiser l’outil ; le Chevalier Rose-Croix, à unifier sans s’absoudre. Nous sortons de lecture comme d’un chantier à la tombée du jour : un peu poudreux de sciure, mais l’œil clair.

Un quadriptyque de travail et de respiration. Sobre, fiable, immédiatement mobilisable en Loge ou en Chapitre. À recommander aux Frères qui veulent habiter les Ordres plutôt que les collectionner. Et à placer, sans hésiter, au centre de la table d’étude : entre la lampe et la truelle – là où le symbole redevient usage.

Symbolisme des Ordres de Sagesse du Rite Français – du 1er au 4e Ordre

Olivier Tazé – Préface de Laurent Perret

Éditions de l’Art Royal (EAR), coll. Franc-Maçonnerie, T1-104 p. ; T2-90 p . ; T3-90 p. ; T4-108 p., les 4 opus 35 € – à l’unité 10 €

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Illustrations : Scribe

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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