jeu 16 octobre 2025 - 09:10

1725 : Quand la Lumière prit racine en France…

Le tricentenaire de la fondation de la première loge maçonnique en France, que la franc-maçonnerie universelle* célèbre en 2025, marque un jalon historique majeur, couvrant trois siècles d’une sociabilité qui a profondément influencé la vie intellectuelle, politique et culturelle du pays.

N°12, rue de Buci, paris

De 1725, date de l’implantation présumée de la loge Saint-Thomas à Paris par des exilés britanniques, à 2025, cette commémoration met en lumière l’évolution d’un ordre qui, né dans un contexte de tensions religieuses et de ferment philosophique, s’est transformé en un pilier de la laïcité et de la réflexion républicaine.

Inspiré des travaux pionniers de Séverine Dupuis, dont la thèse doctorale en cours explore la franc-maçonnerie parisienne comme une « sociabilité en mouvement » au XVIIIe siècle, et des recherches exhaustives de Pierre-Yves Beaurepaire sur les réseaux maçonniques européens, ce dossier étendu argue que la franc-maçonnerie n’est pas seulement un phénomène associatif, mais un vecteur dynamique de circulation des idées et des hommes, naviguant entre oppositions et innovations.

1725 – 2025 Trois siècles de franc-maçonnerie en France, 1re de couv., détail

En 2025, les commémorations, portées notamment par le Grand Orient de France, se sont déployées en plusieurs temps : la diffusion en juin du documentaire 1725-2025, Trois siècles de Franc-Maçonnerie en France, où interviennent – dans l’ordre –

Nicolas Penin à, l’époque Grand Maître du GODF

Nicolas Penin (alors Grand Maître du GODF et président du musée de la Franc-Maçonnerie), Lucie Masse (chargée des publics et de la médiation), Laurent Segalini (conservateur du musée) et Pierre Mollier (alors directeur de la bibliothèque et des archives du GODF, ancien conservateur du musée) ; une conférence publique le 25 juin sur les origines des loges Saint-Thomas et Louis d’Argent ; et, à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine des 20-21 septembre 2025, l’ouverture de temples maçonniques au public pour des immersions historiques.

Laurent-Segalini
Laurent-Segalini

Ces actions, au-delà de la célébration, réinvestissent des chantiers historiographiques autrefois abandonnés, comme l’étudie Séverine Dupuis dans son analyse de la loge Saint-Louis, émergée juste avant la naissance du GODF en 1773.

Pierre-Yves Beaurepaire, quant à lui, élargit le cadre à une perspective européenne, démontrant comment les loges ont transcendé les frontières, favorisant une « fraternité universelle » malgré des pratiques discriminatoires.

Cet argumentaire étendu s’appuie sur des sources primaires et secondaires pour démontrer la résilience et l’adaptabilité de l’ordre face aux défis historiques.

Le contexte historique qui nous intéresse est bien celui de l’implantation et des premiers développements (1725-1738) de l’arrivée de la franc-maçonnerie en France autour de 1725.

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L’art royal s’inscrit donc dans un mouvement plus large de transfert culturel depuis l’Angleterre, où les Constitutions dites d’Anderson de 1723 ont codifié la maçonnerie spéculative. À Paris, la loge Saint-Thomas, fondée par des jacobites exilés, représente le berceau français, suivie par des ateliers comme le Louis d’Argent. Cette phase initiale voit une expansion rapide : de quelques loges en 1725 à une dizaine en 1738, avec une implantation provinciale à Bordeaux dès 1732.

Séverine Dupuis – contributrice aux Chroniques d’histoire maçonnique (CHM) – contextualise cela dans les relations anglo-françaises post-Traité d’Utrecht (1713), où Paris, centre de mondanité aristocratique, devient un hub pour ces nouvelles sociabilités.

Pierre-Yves Beaurepaire son directeur de thèse – discipline ‘’Histoire et civilisations des mondes moderne et contemporains’’ ; 2019, Université Côte d’Azur – argue que cette implantation n’est pas isolée, mais partie d’un espace maçonnique européen, où les loges agissent comme des nœuds relationnels transnationaux.

Sans s’attarder excessivement sur les détails internes, notons que ce mode associatif se distingue par son rituel secret et son égalitarisme symbolique, contrastant avec les académies royales ou les salons littéraires.

In Eminenti

Le climat politico-religieux en ce début de XVIIIe siècle

Les oppositions politico-religieuses marquent profondément les débuts, avec le cardinal de Fleury comme figure antagoniste jusqu’à sa mort en 1743, voyant dans les maçons des agents de sédition. La bulle papale In Eminenti de 1738 excommunie les membres, les accusant de promouvoir un naturalisme contraire à la foi catholique. Pierre-Yves Beaurepaire démontre que ces querelles s’inscrivent dans une perception de l’étranger (souvent britannique) comme menace, mais aussi comme opportunité d’ouverture culturelle.

Argumentant pour une résilience accrue post-1743, les sources montrent une acceptation progressive par l’État, bien que l’antimaçonnisme persiste via pamphlets, illustrant une tension entre tolérance naissante et conservatisme religieux. Séverine Dupuis ajoute que ces conflits influencent la constitution même des loges parisiennes, forçant une navigation subtile entre loyauté royale et réseaux internationaux.

Des débats philosophiques ?

Les loges émergentes deviennent des forums pour des débats philosophiques alignés sur les Lumières, promouvant tolérance, raison et philanthropie. Pierre-Yves Beaurepaire explore comment cette « fraternité universelle » coexiste avec des exclusions (genre, religion), stimulant des réflexions sur l’universalisme.

Encyclopédie

La traduction des Constitutions dites d’Anderson en 1742 par de la Tierce renforce ces idéaux, comme analysé par Labbé, tandis que la cantate de Clérambault en 1743 défend la moralité maçonnique contre les accusations.

Séverine Dupuis argue que ces espaces favorisent une « sociabilité en mouvement », où circulent idées déistes et scientifiques, préfigurant l’Encyclopédie.

Sans approfondir outre mesure, ces débats illustrent une transition vers une maçonnerie plus inclusive intellectuellement.

Évolution au XVIIIe siècle : vers la naissance du Grand Orient de France

Au-delà de 1738, la franc-maçonnerie française connaît une mutation sociologique et institutionnelle. Séverine Dupuis divise cela en trajectoires : d’une élite aristocratique initiale à une inclusion croissante des professions judiciaires vers 1773, année de fondation du GODF.

Argumentant pour une démocratisation relative, les sources montrent un accroissement des effectifs de 1770 à 1790, avec des loges comme Saint-Louis exemplifiant cette évolution.

Pierre-Yves Beaurepaire (Source Wikipedia)

Pierre-Yves Beaurepaire étend cela aux réseaux européens, où les loges facilitent des mobilités physiques et intellectuelles, liant Paris aux Antilles via le négoce.

Le GODF, codifiant rites comme le Français ou l’Écossais, marque une centralisation qui argumente pour une adaptation aux idéaux révolutionnaires imminents.

Quid des mobilités maçonniques et autres réseaux – déjà ? – transnationaux

Un argument clé de Séverine Dupuis et Pierre-Yves Beaurepaire est la mobilité. Les maçons circulent idées et biens, reliant l’Europe aux colonies. Ce dernier, dans L’Europe des francs-maçons – XVIIIe-XXIe siècles (Belin, coll. Alpha, 2018), démontre comment ces réseaux transcendent querelles nationales, favorisant une identité commune malgré les conflits. Séverine Dupuis insiste sur les liens avec les outre-mers, où le négoce antillais intègre des maçons, argumentant pour une globalisation précoce de la sociabilité. Cela élargit le débat philosophique à des questions d’universalisme et d’esclavage, préfigurant les tensions du XIXe siècle.

Blason GODF

La Franc-Maçonnerie face à la Révolution et aux siècles suivants

La Révolution de 1789 teste la résilience : bien que traversée par les idéaux maçonniques (liberté, égalité), l’ordre est persécuté sous la Terreur. Le GODF renaît sous l’Empire, avec Napoléon favorisant une centralisation. Au XIXe, scissions et croissance : le GODF devient un bastion laïque, influençant la IIIe République. Argumentant pour une pertinence continue, les travaux montrent une adaptation aux défis modernes, comme la mixité en 1893.

Finalement, ce tricentenaire en 2025, quelles réflexions contemporaines mais surtout quel héritage

En 2025, le tricentenaire revitalise ces débats… Mais les Journées européennes du patrimoine 2025 montrent des ouvertures de temples de plus en plus nombreux soulignant l’héritage vivant.

Pierre-Yves Beaurepaire, dans des entretiens récents, réfute les théories conspirationnistes, affirmant la transparence croissante.

Cela argumente pour une franc-maçonnerie comme espace de dialogue face aux divisions sociétales actuelles, reliant passé et présent.

Les Constituions d’Anderson (1723) – musée de la franc-maçonnerie ; Hôtel du Grand Orient de France.
Les Constituions d’Anderson (1723) – musée de la franc-maçonnerie ; Hôtel du Grand Orient de France.

De 1725 à 2025, la franc-maçonnerie française évolue d’un mode associatif contesté à un pilier culturel, argumenté par les travaux de Séverine Dupuis et Pierre-Yves Beaurepaire comme une sociabilité dynamique. Sans s’appesantir sur les débuts, cet élargissement démontre sa capacité à intégrer querelles et débats pour forger une identité résiliente, pertinente pour les défis contemporains de tolérance et de fraternité.

*La franc-maçonnerie universelle, telle que définie dans les sources historiques et encyclopédiques, désigne l’ensemble des principes fondamentaux de la franc-maçonnerie moderne, ancrés dans les Constitutions dites d’Anderson de 1723, qui servent de charte universelle à l’ordre. Ces principes incluent explicitement la croyance en un Être Suprême (souvent désigné comme le Grand Architecte de l’Univers),

qui représente Dieu, ainsi que l’utilisation d’un Volume de la Loi Sacrée (VSL) – un livre saint comme la Bible, le Coran ou d’autres textes révélés – symbolisant la « volonté révélée » de cet Être Suprême. Ce VSL est placé sur l’autel lors des rituels et sert de fondement moral et spirituel, exigeant des membres une adhésion à une morale stricte, au respect des autorités civiles et à une liberté en matière de confession religieuse (sans imposer une religion spécifique, mais en excluant l’athéisme).

Loge d’adoption

Concernant l’acceptation des femmes, la franc-maçonnerie universelle dans sa forme traditionnelle et « régulière » (fidèle aux Constitutions d’Anderson) n’accepte pas les femmes en tant que membres initiés. Les obédiences dites « régulières et de tradition », comme United Grand Lodge of England (UGLE)

ou en France la Grande Loge Nationale Française (GLNF) sont exclusivement masculines, considérant l’initiation comme réservée aux hommes libres et de bonnes mœurs.

Historiquement, dès le XVIIIe siècle, des loges « d’adoption » permettaient une participation limitée des femmes (sans initiation pleine), mais cela n’équivaut pas à une adhésion égale. Cependant, la franc-maçonnerie au sens large inclut des branches « libérales » ou « adogmatiques » qui s’écartent de ces exigences strictes : elles n’imposent pas la croyance en Dieu ni l’usage d’un VSL, et acceptent les femmes (obédiences mixtes comme Le Droit Humain, fondé en 1893, ou la Grande Loge Féminine de France). Ces variantes, comme le Grand Orient de France (qui a supprimé la référence au Grand Architecte en 1877), ne sont pas reconnues comme « régulières » par les obédiences dites  »traditionnelles », mais elles se revendiquent tout de même de l’idéal maçonnique universel de fraternité et de tolérance.

2 Commentaires

  1. Belle prose et surtout très instructive. Et surtout bien loin du blabla de la langue de bois obédientielle. Une véritable bouffée d’oxygène. Avec 450, j’apprends tous les jours.

  2. Merci, Charles-Albert, pour ton texte très clair et surtout pour ta définition de la franc-maçonnerie universelle. On voit bien, malheureusement, qu’elle est encore loin de se concrétiser lorsque certains se considèrent comme le centre du monde, se croyant supérieurs aux autres sous prétexte qu’ils seraient soi-disant « réguliers ».
    TAF

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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