mer 15 octobre 2025 - 17:10

Faut-il repenser la Franc-maçonnerie française ?

Par Olivier de Lespinats & Christian Belloc

I. Le constat d’une dérive

La Franc-maçonnerie française traverse aujourd’hui une crise majeure d’identité et de finalité. Conçue à l’origine comme une avant-garde spirituelle de l’humanité, elle risque désormais de se transformer en un simple acteur profane parmi d’autres, voire en un contingent anachronique de pensées uniques, plutôt qu’en un véritable moteur évolutif.

On voit se multiplier les loges et obédiences qui s’engagent dans le champ sociétal et politique : bioéthique, GPA, débats sur la laïcité, sur l’éducation, sur l’immigration ou encore sur les questions économiques. Certes, ces thèmes sont importants dans la vie publique, mais ce n’est pas la mission de la Franc-maçonnerie de s’ériger en tribunal moral ou en think-tank. D’autres institutions, associations ou ONG sont faites pour cela.

Alain Bauer

L’un des dangers de cette dérive est que l’Ordre se dissout dans le profane : il se confond avec des structures extérieures, perd son mystère, et devient prévisible. Le Temple, lieu de silence, de symboles et de travail intérieur, est alors transformé en salle de débats. Comme le disait Alain Bauer, ancien Grand Maître du GODF :

« Les francs-maçons ont-ils de facto appuyé sans le savoir sur le bouton d’autodestruction de l’Ordre ? »

Là où nos fondateurs avaient voulu une école initiatique, un cadre de perfectionnement intérieur, nous voyons trop souvent une scène d’ego, de carrière, d’ambition et d’idéologie. Les mots « tolérance » et « fraternité », jadis porteurs d’un souffle, deviennent de simples slogans vidés de leur substance, derrière lesquels prospèrent parfois la compétition, le narcissisme et la division.

La Maçonnerie, si elle continue sur cette voie, court le risque d’être oubliée par l’histoire, réduite à n’être qu’un avatar du militantisme profane, au lieu d’être un chemin de lumière.

II. Retrouver nos racines et notre vocation

Pour comprendre ce qu’est véritablement la Maçonnerie, il faut revenir à ses racines spirituelles et initiatiques.

À sa naissance, au XVIIIᵉ siècle, elle s’inspire des anciennes corporations d’ouvriers bâtisseurs, mais elle puise aussi dans une tradition intellectuelle et religieuse profondément marquée par le christianisme. Les Constitutions d’Anderson de 1723 placent au cœur du dispositif une référence claire à Dieu, au Grand Architecte de l’Univers, et aux Écritures comme règle morale et spirituelle.

Image générée par Intelligence Artificielle (IA)

Certes, la Maçonnerie n’est pas une Église ni une religion. Mais elle est une école initiatique dont le socle a toujours été transcendant. Ce socle s’est exprimé, selon les rites, par des formes plus ou moins explicites : la Bible ouverte sur l’autel, l’appel à la lumière divine, la référence aux vertus cardinales et théologales, l’idée d’une réintégration de l’homme en Dieu (chez Willermoz et le Rite Écossais Rectifié).

Oublier cet enracinement, c’est risquer de transformer la Maçonnerie en une simple morale humaniste, certes respectable, mais privée de verticalité. C’est faire de l’initiation un simple exercice intellectuel, coupé de la transcendance.

Revenir à nos racines, c’est au contraire assumer que la Maçonnerie est une voie de transformation intérieure. Elle n’est pas là pour dicter une orientation politique, mais pour façonner des êtres capables d’incarner dans leur vie quotidienne la vérité, la justice, la charité, la fidélité.

Olivier de Lespinats
Olivier de Lespinats

Comme Olivier de Lespinats l’écrit ailleurs : « La Maçonnerie ne se déploie pleinement que lorsqu’elle forme des êtres transformés intérieurement, capables de rayonner dans la cité. La question n’est pas de choisir entre l’homme et la société, mais de rappeler que la voie maçonnique commence toujours par l’initiation intérieure. »

Cela implique de redonner toute sa place au rituel, au symbole, à la méditation et au silence. Cela suppose aussi de rappeler que la Maçonnerie n’est pas seulement un club de sociabilité, mais une école exigeante. L’initiation n’est pas un droit, mais une grâce qui appelle à l’humilité et à l’effort.

Comme le dit Christian Belloc, « ce ne sont pas les discours ou les leçons théoriques qui comptent, mais les exemples concrets et opérationnels ». Autrement dit : le témoignage de vie des anciens doit redevenir la première école. Le frère ou la sœur expérimenté(e) doit se comporter comme un maître humble et discret, à l’image d’un père ou d’une mère qui transmet, par l’exemple, les vertus essentielles.

III. Une Maçonnerie de combat… mais d’un autre ordre

Faut-il alors parler d’une « Maçonnerie de combat » ? Oui, mais à condition de ne pas la confondre avec un militantisme. Le combat dont il s’agit est spirituel, chevaleresque et intérieur.

  • C’est le combat contre les ténèbres de l’ignorance, contre l’égoïsme, contre la complaisance dans le monde matériel.
  • C’est le combat pour la lumière, pour la vérité, pour la justice et pour la fraternité universelle.
  • C’est un combat chevaleresque, où la truelle et l’épée se tiennent ensemble : construire et défendre, élever et protéger.

La Maçonnerie doit redevenir ce qu’elle a toujours été au meilleur d’elle-même : une chevalerie de l’Esprit. Comme les Templiers, elle ne doit pas se contenter de contempler, mais être prête à défendre l’essentiel. Comme les bâtisseurs, elle doit travailler patiemment à la construction d’un édifice invisible : le Temple intérieur.

Dans un monde où les repères spirituels et moraux s’effondrent, où notre civilisation occidentale est désorientée, la Franc-maçonnerie a une responsabilité particulière. Elle doit rappeler que l’homme ne se réduit pas à ses pulsions ni à ses idéologies, mais qu’il est un être appelé à la transcendance.

La fraternité universelle n’est pas un slogan abstrait : elle se vit concrètement dans la diversité, mais à partir d’un socle solide. Sans ce socle, elle se dilue et se fragmente. Comme le disait Newton : « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. » Cette phrase résonne fortement pour nous. Car notre mission n’est pas d’ériger des barrières idéologiques entre obédiences, mais de bâtir des ponts : ponts entre traditions, ponts entre générations, ponts entre cultures. Mais ces ponts ne tiennent que si les piliers en sont solides. Or, notre socle, ce sont nos racines spirituelles.

Enfin, il faut redire que ce combat spirituel appelle une régénération interne :

  • Sélection rigoureuse des impétrants.
  • Refus des carriérismes et des prébendes.
  • Redonner la souveraineté aux loges plutôt qu’aux bureaucraties.
  • Mettre au centre de nos travaux la quête initiatique et la transmission vivante, plutôt que les discours creux ou les débats stériles.

Conclusion : un choix décisif

chemins dans les champs

La Franc-maçonnerie se trouve à la croisée des chemins. Soit elle persiste dans le militantisme profane et s’expose à l’oubli, réduite à un rôle sociologique mineur. Soit elle retrouve le sens de son combat originel : le combat spirituel, chevaleresque et intérieur.

Ce n’est pas un repli : c’est une renaissance. Ce n’est pas un refus du monde : c’est une manière plus profonde de le servir. Car ce n’est pas par des manifestes politiques que la Maçonnerie changera la société, mais par le rayonnement d’hommes et de femmes transformés intérieurement, fidèles à l’esprit de leurs fondateurs.

La Maçonnerie est, et doit rester, une école initiatique universelle, enracinée dans la tradition chrétienne qui l’a vue naître, mais ouverte à toutes les sagesses, afin d’élever l’homme, de purifier son cœur, et de l’orienter vers la Lumière.

« Ce n’est pas en imitant le monde profane que nous l’éclairerons, mais en étant fidèles à notre vocation : façonner des hommes debout, dépouillés d’eux-mêmes et revêtus de la lumière. » (O de Lespinats)

La Maçonnerie n’est pas un parti, ni une ONG, ni un club mondain. Elle est un chemin initiatique, une chevalerie, une école spirituelle universelle. Son devoir est clair : retrouver le sens du combat intérieur, afin de redonner au monde des témoins vivants de la lumière, une truelle à la main et l’épée dans l’autre.

Phare, lumière, unité
Phare, lumière, unité

Telle est la mission qu’il nous appartient aujourd’hui de rappeler et d’assumer, si nous voulons que la Franc-maçonnerie demeure ce qu’elle fut : un phare pour l’humanité en quête de sens, une truelle à la main et l’épée dans l’autre, au service de la vérité, de la fraternité et de Dieu.

Contacts :

  • FMIGS : sgc.scmplf@gmail.com
  • IMU : institutionmaconniqueuniversel@gmail.com
Par Olivier de Lespinats (Fondateur de la Fédération Maçonnique Internationale des Grades Supérieurs)
Par Christian Belloc
(Fondateur de l’Institution Maçonnique Universelle), et de nombreux Grands Maîtres d’Obédiences et de Présidents de structures de Degrés Supérieurs

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Olivier de Lespinats
Olivier de Lespinats
Olivier de Lespinats est né en 1961 au sein d’une vieille famille de la noblesse poitevine. Famille dont ses ancêtres ont été Francs-Maçons dès 1738, au sein de la loge « l’Intimité » à l’Orient de Niort. Après des études supérieures d’ingénieur et d’officier, il est devenu expert en ingénierie financière publique, chargé de Travaux Pratiques universitaire et directeur de nombreuses sociétés de conseils et de services auprès du secteur public en France et à l’International. Initié en 1991 à la GLNF au sein de la Respectable Loge « La Clé de Voûte » à l’Orient de Coulommiers, il deviendra en 2000 Vénérable Maître de la Respectable Loge « Saint-Fursy » à l’Orient de Lagny. Désireux de rejoindre une obédience mixte, il démissionnera de la GLNF en 2011 pour rejoindre la GLCS dans un premier temps avec la création d’une loge à Nantes, puis en 2017 la Grande Loge Mixte Nationale avec la création d’une loge à Saintes en 2023. En 2019, à la demande du Passé Grand Maître et du Conseil Fédéral, il deviendra le 4ème Grand Maître de la GLMN pour un mandat de 3 ans. Parallèlement à son parcours en loges bleues, il poursuivra l’enseignement maçonnique pour atteindre le 33ème degré du REAA et celui de CBCS au RER. Reconnu pour son expertise en symbolique ésotérique, il a créé en mars 2020 au sein de la GLMN une newsletter « l’Epi de blé » présentant de nombreuses planches sur la tradition de l’art royal et la vie de l’obédience. En parallèle, il vient d’acquérir et poursuivra, sous une forme moderne, l’ancienne revue « Le Symbolisme ».

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