lun 13 octobre 2025 - 18:10

Le symbole, clé d’accès à l’éveil

Selon René Guénon, la Franc-maçonnerie demeure la dernière voie initiatique traditionnelle valable en Occident. Comme je le répète souvent avec plaisir, sa méthode s’appuie sur la parabole de la construction du Temple pour guider chaque individu dans l’édification de sa propre spiritualité. Après le réordonnancement des états constitutifs de son être – marqué par sa mort symbolique et les trois voyages initiatiques –, l’apprenti peut enfin entamer un travail intérieur.

Aidé par ses Frères en loge, il devient l’artisan de sa propre transformation, non pas dans le vacarme d’un chantier opératif, mais dans le silence méditatif d’une introspection profonde, taillant sa pierre brute avec des outils symboliques.

Qui n’a pas en mémoire sa première rencontre avec les symboles en loge, ce moment où la Lumière lui fut donnée, suivi d’un étonnement mêlé de curiosité ? L’apparition de ces signes énigmatiques – présents dans chaque recoin de l’atelier – et les questions qu’ils suscitent lors des premières tenues restent gravées dans l’esprit de tout nouvel initié.

Le Rite Écossais Ancien et Accepté (comme d’autres rites) se distingue par sa richesse. Dès les premiers pas de l’initiation, il conduit chaque Frère ou Sœur vers des niveaux de conscience spirituelle de plus en plus élevés. Progressivement, la conscience s’éclaire et s’élargit au fil du parcours initiatique, ouvrant la réalité à une dimension spirituelle. Cette voie invite à concevoir le divin – que l’on nomme GADLU, Unité primordiale ou autrement – en travaillant sur les symboles. Elle permet de perfectionner sa vision de soi et du monde, de dompter un ego aveuglant, de se détacher de la matière pour s’élever en esprit, et ainsi mieux intervenir dans le réel et la société. N’est-ce pas là l’essence de toute quête spirituelle : développer une perception spirituelle de la réalité pour favoriser l’humanisation de l’homme ? Ainsi, le développement spirituel de l’individu, loin d’être un luxe égoïste, constitue la base de la liberté de conscience et sert l’humanité tout entière, unissant les aspirations spirituelles et humanistes.

À cet égard, les Frères et Sœurs engagés dans des chantiers sociétaux ou humanistes ont pleinement leur place parmi nous. Leur action renforce la nôtre, à condition qu’elle reste dénuée de partisanerie ou de politique. Car à quoi bon s’élever spirituellement si c’est pour perdre de vue la terre ferme et négliger le bien de l’humanité dans un esprit fraternel ? Une élévation déconnectée de cette réalité risque de conduire à de graves dérives. Ces deux approches – intérieure et sociétale – sont complémentaires et convergent inévitablement vers un même idéal.

Il ne saurait exister de Franc-Maçonnerie spéculative totalement « hors sol » !

Le symbole : clé d’accès à l’éveil

Pour moi, le symbole est la porte d’entrée vers l’éveil dans la méthode maçonnique. Mais comment le définir ? Quelle lecture permet de le saisir ? Qu’est-ce que cet éveil, but ultime de la voie initiatique ? Autant de questions fascinantes auxquelles je vais tenter d’apporter un éclairage.

1. Le symbole, une clé vivante

Crane posé sur les symboles maçonniques

Commençons par quelques définitions. Selon Wikipédia, le terme « symbole », dérivé du grec ancien sumbolon (de sumballein, « mettre ensemble » ou « comparer »), désignait à l’origine un tesson de poterie brisé en deux, partagé entre deux contractants. La réunion des morceaux, s’emboîtant parfaitement, servait de preuve d’identité ou de reconnaissance, un peu comme un mot de passe. Plus largement, un symbole est une représentation pensée, individuelle ou collective, suscitant une idée (sécurité, autorité) ou une sensation (joie, paix) à partir d’une perception sensorielle.Le Larousse le définit comme un signe figuratif – objet ou être – incarnant un concept (le drapeau comme symbole de la patrie) ou une personne exemplaire d’une idée (un symbole de générosité). Avec tant de définitions possibles, sa complexité devient évidente.

En loge, le symbole se distingue du signe profane, qui n’a qu’une signification unique, par sa polysémie : il porte des sens multiples convergeant vers un archétype commun. Tandis que le signe se décode par analogie, le symbole maçonnique se vit par anagogie, une élévation vers un sens supérieur.

Main sur la Bible lors du serment

Le symbole est une entité vivante, indépendante de l’esprit humain. Lors d’une récente initiation au Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, le serment du nouvel initié invoquait « les Vivants Symboles que je touche de ma main » comme aides, aux côtés du Grand Architecte des Mondes. N’est-ce pas chaque Frère ou Sœur, dès son initiation, un symbole vivant ?

En frappant trois fois le maillet sur sa pierre brute – reflet de son imperfection –, puis en épelant le mot sacré et échangeant signes et attouchements avec les Surveillants, l’initié devient à la fois signifiant et signifié, tel un sumbolon reconstitué. Cette union des parties brisées évoque l’idée de rassembler ce qui est épars pour retrouver l’unité originelle.En serrant la main du Surveillant, l’initié prouve sa qualité d’« ayant droit » au plan symbolique, accédant à des états supra-humains.

Buste de Platon. Marbre, copie romaine d’un original grec du dernier quart du IVe siècle av. J.-C.

On peut ainsi avancer que la méthode maçonnique permet « l’incorporation du symbole en soi », conférant à celui qui l’intègre la capacité d’être lui-même un symbole, ouvrant les portes des réalités supérieures. Cette puissance de l’esprit élargit notre vision du réel, un enseignement clé des grades symboliques. Comme une « réalité augmentée » à redécouvrir, le symbole stimule nos facultés cognitives, un concept que certains philosophes grecs, comme Platon et Jamblique, ont lié à une puissance divine autonome.

Platon voyait dans les idées – archétypes vivants d’où naît la matière – une réalité accessible par élévation vers le monde intelligible, le symbole agissant comme un miroir à double face reflétant une unité supérieure. Jamblique, dans Les Mystères d’Égypte II, 11, renchérit :

« Ce n’est pas notre pensée qui opère [le pouvoir des symboles] ; les signes, par eux-mêmes, réalisent leur œuvre, et l’ineffable puissance des dieux les reconnaît sans notre intervention. »

Jules Boucher

Jules Boucher, citant Jean C.M. Travers, ajoute que le symbole est un être sensible, doté d’une consistance propre, révélant une signification au-delà de lui-même. Qu’il émane du divin ou de l’esprit humain, le symbole fertilise la pensée, liant immanence chamanique et transcendance spirituelle, et inspire même la recherche scientifique.

2. La lecture par le cœur

Les travaux en loge – espace sacré comme la cavité où réside le cœur, délimitée par poumons, diaphragme, sternum et médiastin – ne s’appuient pas sur un intellect discursif. Le symbole relève d’un « sur-intelligible », d’une intuition supérieure. Dans la méthode maçonnique, le divin ou le GADLU se perçoit par une lecture des symboles avec le cœur.

Dès l’initiation, l’épée contre le cœur et le compas pointé vers celui-ci symbolisent un rayon de lumière sacrée perçant l’enveloppe corporelle, tandis que l’écartement du compas guide l’initié vers une ouverture spirituelle.

La tenue rejoue la création de l’univers, propageant la lumière dans le présent, autant à l’extérieur qu’en chacun. Comme je le dis souvent, je suis dans le Temple autant que le Temple est en moi. La compréhension d’un symbole par le cœur émerge avec le temps, variable selon chaque Frère ou Sœur, et reflète une expérience unique, non une vérité absolue.

Pourtant, toutes ces perceptions d’un même symbole convergent vers un principe archétypal commun.

Au centre de la loge, sur le pavé mosaïque, le tableau de loge concentre les symboles, accessibles selon le niveau de conscience de chacun. En passant entre les deux colonnes, du profane au sacré, le Vénérable, aidé des officiers, ordonne le chaos et fait jaillir la lumière. L’Expert lève le voile de l’ego, révélant le tableau – miroir de notre intériorité. Autour de cet axe, de midi à minuit, nous tournons, animant les symboles dans nos cœurs et tissant un égrégore fraternel, reliant chacun à l’unité primordiale.

3. L’éveil : une porte ouverte

Si le symbole est une clé, c’est pour ouvrir la porte de l’éveil. Cette méthode maçonnique, semblable à un empilement de poupées russes, superpose idées et symboles en analogie et anagogie. À chaque tenue, en franchissant la porte des initiés, le Frère ou la Sœur vit un éveil spirituel renouvelé, unique selon le rite et le degré, même dans un même lieu. Lors d’une visite à un atelier différent à Ollioules, j’ai ressenti une expérience distincte, prouvant la puissance agissante des symboles rituels.

René Guénon, photographie de 1925 (à 38 ans)
René Guénon, photographie de 1925 (à 38 ans)

Les trois premiers degrés, ou « petits mystères », élèvent l’âme sur le plan humain, comme le souligne Guénon : une préparation aux « grands mystères » non abordés ici. L’éveil de l’apprenti est plutôt un « réveil », une récupération de la vision totale de soi et du monde, une conscience éclairée centrée sur sa lumière intérieure – sa pierre philosophale. Le V.I.T.R.I.O.L. guide cette quête, traversant la gangue de l’ego comme Thésée dans le labyrinthe.

Selon le prologue de l’Évangile de Saint Jean, lu avec compas et équerre sur l’autel, « Le Verbe était la vraie Lumière » en chacun, oubliée par le monde. Redécouvrir cette parcelle divine, se retrouver « ni nu ni vêtu, dépourvu de tous métaux », c’est viser l’état originel de l’homme primordial, pour un retour à la Lumière lors de la chaîne d’union.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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