sam 11 octobre 2025 - 19:10

Le processus d’individuation en 6 étapes de Carl Gustav Jung : (5/6) « L’expérience numineuse des archétypes »

La pensée analogique est la troisième grande méthode d’éveil initiatique des Maçons, avec celle des pas de côtés et des pensées cycliques, trois procédés stimulant l’intelligence et structurant le mental pour accéder au royaume de l’imaginaire où règne le chaos. Pour être souverain en ce royaume imaginaire et y faire régner l’ordre, l’être conscient doit descendre en son subconscient et affronter les forces désordonnées qui le parcourent en tous sens, pour apprendre à les connaître, les apprivoiser, les unifier et coordonner leurs actions.

Il scelle par là même un pacte entre le subconscient et le conscient devenus deux forces aux puissances complémentaires alliées au service d’une unité indivise, enveloppées l’une et l’autre par une lumière commune qui les transcende, et cet ordonnancement des forces cosmiques doit être respecté, au risque de tout perdre et d’anéantir tous les efforts faits pour relier le conscient et le subconscient. Cet anéantissement est symbolisé par le mythe d’Orphée, coupable de s’être retourné vers son subconscient avant d’atteindre la lumière commune transcendant le conscient et le subconscient.

Le Sublime Docteur Orphique, 55è degré de la Maçonnerie égyptienne, confère une dimension dramatique inégalée à la cinquième étape du voyage vers l’individuation de C.G. Jung et le Soi Atman, où la « numinosité » des archétypes découverts lors des étapes précédentes (le trauma, la persona, les ombres, et le couple anima/animus) est à l’œuvre en puissance dans la psyché. C’est toute l’énergie des archétypes qui se découvre et se manifeste à ce degré à travers le mythe d’Orphée. Les archétypes sont des formes instinctives des représentations mentales, et sont issus des instincts les plus anciens de la bio-psychologie humaine qui conditionnent et déterminent les pensées ou les perceptions reliant la personne à son environnement. Ils ne sont pas de simples traces mnésiques ou cognitives, mais sont avant tout une forme donnée à un potentiel d’énergie psychique.

Archetypes

Ils représentent les thèmes universels à la source de toute interrogation humaine sur son devenir ou sa nature, et forment un champ de significations regroupant la totalité des représentations humaines, semblable au champ physique énergétique généré par un groupe d’électrons. Les symboles archétypiques sont ainsi corrélés les uns aux autres, Jung les dit « contaminés » les uns par les autres. La « loi de contamination » est le concept au moyen duquel Jung décrit cette réalité, impossible à schématiser tant les archétypes sont fusionnés et tant l’espace imaginaire humain est étendu. Ils forment un ensemble idéel aux limites indéfinies, structurent et bornent la conscience humaine, et leurs thèmes se font mutuellement écho.

Les degrés de la Maçonnerie égyptienne traversés par les Maçonnes et les Maçons reflètent cette diversité d’archétypes prêts à éclairer leur imaginaire tout en les comblant d’énergie. Les archétypes sont répartis sur l’échelle des degrés de cette Maçonnerie pour qu’en se reliant les uns aux autres ils s’appuient les uns sur les autres et fassent levier pour délivrer les forces primaires de la nature humaine qui n’attendent que cela pour se déployer en puissance. Ces structures « contaminées » deviennent ainsi « contaminantes » et propulsent l’imaginaire des initié(e)s dans d’inimaginables révélations « dérangeantes » sur soi-même et le monde environnant.

Dieu grec et égyptien

Mais à force de se laisser « contaminer » pour la bonne cause et de se dé-ranger soi-même pour en recueillir les bienfaits psychiques, les initié(e)s peuvent aussi être tentés de déranger le monde environnant, et sont invariablement sanctionnés en retour pour ce dérèglement. Car il ne faut pas mélanger les plans spirituel et matériel, divin et humain, qui doivent d’abord être découplés l’un de l’autre pour bien se développer et fonctionner, avant de tendre l’un vers l’autre grâce à la présence active des archétypes qui les relient l’un à l’autre. Les mythes de l’Ancienne Égypte et de la Grèce Antique, vécus et intégrés mentalement par les peuples égyptien et grec, témoignent de ce décalage préalable entre les humains et leurs dieux. Ce décalage est destiné à être réduit jusqu’à disparaître dans la conscience cosmique des égyptiens, alors qu’il est maintenu et entretenu par la pensée des grecs. Les égyptiens « pensaient leurs dieux » et les intégraient en eux-mêmes jusqu’à devenir des dieux en puissance, et les grecs « pensaient à leurs dieux » en les maintenant toujours à distance, une attitude mentale détachant le Dieu du peuple de soi-même au fondement de la pensée judéo-chrétienne.

L’ Égypte fut le terreau, la terre noire (kemet) de la philosophie et des connaissances scientifiques des grecs anciens, mais à quel niveau ? À l’époque, comme aujourd’hui, il y avait deux niveaux de connaissances : exotériques délivrées au plus grand nombre, et ésotériques réservées à des initié(e)s lors de cérémonies secrètes dans des lieux où les grecs comme Hérodote, le grand historien, n’avaient pas accès. Il le dit dans son livre « Histoires » à propos d’un immense labyrinthe souterrain : « les Égyptiens gouverneurs du labyrinthe ne permirent point qu’on me les montrât« . Et on peut deviner pourquoi quand on met en regard la pensée égyptienne où la magie et les forces invisibles sont très actives et la pensée grecque où ne règne que la raison.

Les forces qui se concentrent et s’expriment dans la psyché sous la forme d’archétypes ont pour fonction de la propulser à un niveau de conscience transcendante. Jung postulait que la vraie essence de l’archétype est transcendante, la conscience ne pouvant la percevoir mais juste la pressentir. L’archétype transgresse ainsi la réalité psychique, évoluant dans sa forme inconsciente et indéterminée dans un non-lieu et un non-temps où règne la « synchronicité« , où le sens de l’existence est donné par des événements a priori déconnectés les uns des autres et pourtant donnant ensemble un sens inattendu à la vie. Dans ces grands moments de révélation, l’âme ressent un sentiment de vertige et d’arrêt devant le grand vide du tout cosmique indéterminé qui l’attire.

Le mythe d’Orphée évoque le grand choc de l’âme qui se produit en ce moment charnière déterminant la poursuite de l’élévation spirituelle, l’état « numineux » qu’il engendre marquant cette cinquième étape vers l’individuation de C.G. Jung. En ce moment de tension extrême, l’avenir et la croissance spirituelle se réalisent devant soi et non derrière soi, car l’avenir contenu dans la dimension cosmique qui s’annonce contient et sublime tout du passé, du présent, et de l’avenir, un tout incommensurable et insécable absolument et définitivement.

Mais Orphée néglige cette règle ultime, lui qui sublime toute réalité matérielle et spirituelle, et charme de sa lyre la Nature, les humains, et les dieux, perdant ainsi tout sens des lois et des limites aux forces qui existent et s’exercent à tous les niveaux dans l’univers, y compris sur ses charmes apparemment sans limites. Et il se retourne vers son amour immédiat incarné par Eurydice revenant des enfers, mettant au même niveau l’amour cosmique et l’amour humain, alors que le cosmique est la matrice de l’humain, une puissance exigeant de lui qu’il patiente (la Patience, vertu alchimique) et attende la lumière du jour, du grand jour quand son amour et lui sortiront des enfers.

Orphée, pris de vertige en cet instant déterminant, choisit ainsi de ne pas attendre et de se retourner au lieu de poursuivre avec Eurydice sa remontée des enfers vers la lumière, et ce faisant, annihile son union fusionnelle avec elle, l’œuvre d’amour de toute sa vie, semblable à une « Œuvre au blanc » alchimique brutalement interrompue. En se retournant sans attendre le terme lumineux de son œuvre sacrée, il confond le temps sacré et le temps matériel de la montre et réduit l’un à l’autre, ce qui a pour effet de détruire toute l’œuvre déjà effectuée, car on ne compose pas et on ne fait pas montre d’impatience matérielle au temps cosmique et sacré de l’être.

Autrement dit, il doit croire comme un alchimiste à la dimension cosmique de son œuvre de transmutation intérieure, et l’incarner pour qu’elle se réalise, sinon elle disparaît de ses pensées et de son horizon mental. « C’est ici le vrai portrait des Artistes impatients qui s’ennuient de la longueur de l’œuvre. Ils aiment la Pierre éperdument ; ils aspirent sans cesse après l’heureux moment où ils la verront dans le séjour des vivants, c’est-à-dire sortie de la putréfaction et revêtue de l’habit blanc, indice de joie et de résurrection. Mais cet amour outré les pousse à ne pas attendre le terme prescrit par la Nature. Ils veulent la forcer à précipiter les opérations, et ils gâchent tout. C’est pourquoi, dit Basile Valentin, chaque Artiste, diligent opérateur des effets merveilleux de l’Art et de la Nature, doit prendre garde de ne pas se laisser emporter par une curiosité dommageable, de peur qu’il ne recueille rien, et que la pomme des Hespérides qui aurait dû avec le temps parvenir à une maturité parfaite, ne lui tombe des mains. » (Dom Pernety, Fables Égyptiennes et Grecques)

Ce temps est celui de la dialectique du Moi et de l’inconscient archétypal, sixième et dernière étape de l’Opus alchimique vers l’individuation.

Les six degrés de la Maçonnerie égyptienne (51è au 56è) illustrant les six étapes du processus d’individuation sont extraits des 60 degrés (34è au 93è) développés dans le livre Méditations du Sphinx de Patrick Carré, Éditions GAMAYUN)

Retrouvez l’intégralité des épisodes

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Patrick Carré
Patrick Carré
Patrick Carré est un poète, philosophe et franc-maçon français, connu pour son œuvre mêlant littérature, spiritualité et symbolisme maçonnique. Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, passé membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, il est à présent à l'OIAPMM (Ordre Initiatique Ancien et Primitif de Memphis Misraïm) membre de la Loge de recherche Imhotep à l'Orient de Nice, Souverain Grand Inspecteur Général (33è degré), et Sublime Prince de la Maçonnerie, Grand Régulateur Général de l'Ordre (87è degré).. Son travail explore l’initiation traditionnelle et la quête spirituelle, notamment à travers des poèmes et textes philosophiques. En 2023, il publie L’épopée alchimique des Maçons et Maçonnes (LiberFaber, 228 pages, 25 €), un recueil de plus de 1000 vers qui retrace les degrés maçonniques du premier au dix-huitième, accompagné d’un CD de textes lus et mis en musique par Gérard Berliner. Patrick Carré a également écrit d’autres ouvrages maçonniques, comme Francs-Maçons Alchimistes et Nous sommes tous androgynes, enrichis de contenus multimédias sur le tarot (chaîne youtube Le Tarot de la Renaissance, 12h de vidéos et 800 illustrations). Son œuvre met en lumière les liens entre franc-maçonnerie et alchimie, célébrant la transformation personnelle et spirituelle. Il fut Itinérant en 1980 durant 6 mois à l'Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis, et Potier tourneur 5 ans dans une poterie artisanale et Artisan créateur indépendant.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES