
Dans un paysage maçonnique souvent critiqué pour sa rigidité ou ses dépenses somptuaires en communication, la Grande Loge Féminine de France (GLFF) fait preuve d’une inventivité qui force l’admiration. Alors que certaines obédiences rivalisent d’imagination ou investissent des fortunes dans des agences de marketing pour attirer de nouveaux membres, la GLFF frappe un grand coup avec un concept inédit : organiser, à la même adresse, dans deux temples différents, sur un même thème d’actualité brûlante (sic) : l’euthanasie, deux conférences simultanées (le même jour et à la même heure !) avec des intervenants aux points de vue diamétralement opposés. Sinon, ce ne serait pas drôle…
Ce tour de force, prévu pour le 10 octobre prochain à la cité du Couvent, ne se contente pas de doubler l’auditoire : il incarne une approche moderne et inclusive qui pourrait redéfinir l’engagement maçonnique. Explorons cette initiative novatrice, son déroulement, ses implications philosophiques et son potentiel pour revitaliser l’Art Royal féminin.
Un concept marketing brillant : doubler l’audience avec une polémique contrôlée

L’idée est aussi simple qu’ingénieuse. En plaçant l’euthanasie – un sujet clivant qui divise les consciences entre défenseurs du droit à mourir dans la dignité et opposants au nom de la sacralité de la vie – au cœur de deux conférences simultanées, la GLFF jette-t-elle un pont entre les camps adverses ? Ou oblige-t-elle, par ce procédé, à choisir son camp, sans possibilité de dialogue ? Le 10 octobre, à la cité du Couvent, deux temples distincts, situés à deux étages différents, accueilleront des conférenciers profanes aux avis opposés. Les sympathisants de l’euthanasie se dirigeront vers l’un, les détracteurs vers l’autre, attirant ainsi un public varié – franc-maçonnes et invitées initiées – dans un même lieu et à la même heure.
Résultat : Deux salles à combler en nombre et en ardeur.

Ce coup de génie marketing s’appuie sur une logique d’inclusion paradoxale : en offrant deux perspectives, la GLFF semble éviter de prendre parti, tout en captant l’attention de tous, à moins qu’il ne s’agisse de contrer l’initiative de la loge qui a fait la première annonce .
Contrairement aux obédiences qui dépensent des fortunes en campagnes publicitaires stéréotypées, la GLFF fait mine de miser sur l’intelligence collective et le débat, un choix qui pourrait résonner avec l’esprit maçonnique d’ouverture et de recherche de vérité, si un dilemme ne venait brouiller cette intention, en imposant à chaque participante de choisir son camp dès son arrivée, sans aucune possibilité de rattrapage pour écouter l’autre conférence. À défaut d’un débat argumenté, un débat cornélien pour certaines en leur for intérieur, une pointe de tension attisée par la dramaturgie de l’événement !
Une tenue blanche fermée au service du débat philosophique

Ces conférences s’inscrivent dans le cadre d’une Tenue Blanche Fermée, un rituel maçonnique réservé aux initiées, où des profanes compétents sont invités à enrichir les réflexions. La GLFF a soigneusement sélectionné des conférenciers experts pour chaque point de vue : dans l’un des temples, un médecin ou un éthicien défendra l’euthanasie comme un acte de liberté et de compassion, citant des exemples comme la législation belge (2002) ou néerlandaise (2001). Dans l’autre, un philosophe arguera de la valeur intrinsèque de la vie, s’appuyant sur des références comme la Déclaration universelle des droits de l’homme ou des textes religieux adaptés.
Cette dualité reflète une tradition maçonnique ancienne : depuis les Lumières, les loges ont été des lieux de confrontation d’idées, où la vérité émerge du débat plutôt que de l’imposition. La GLFF, fondée en 1952 par des femmes cherchant une voix autonome dans un monde maçonnique dominé par les hommes, perpétue cette vocation avec une touche contemporaine. En invitant des profanes à s’exprimer, elle ouvre ses portes tout en préservant l’intimité rituelle, un équilibre délicat.
Implications philosophiques : transgression et harmonie
L’euthanasie, en tant que thème, incarne une transgression morale et sociale : elle défie les normes culturelles établies, qu’elles soient religieuses ou juridiques, pour poser la question ultime de la liberté individuelle face à la fin de vie. En franc-maçonnerie, où la transgression est souvent un moteur d’initiation – penser à Voltaire défiant l’Église ou Garibaldi brisant les chaînes féodales –, ce sujet est une invitation à dépasser les dogmes.
La GLFF ne tranche pas, mais offre un espace où les sœurs peuvent, plutôt que confronter, conforter leurs convictions, sans accepter de soumettre, en un seul et même exercice, des points de vue mettant ensemble à l’épreuve les lois universelles de la raison et de la compassion.
Cette approche résonne, toutefois, avec l’idéal maçonnique, dans des registres quelque peu artificiellement séparés. Si elles avaient été à même de se nourrir concomitamment de visions opposées, les franc-maçonnes auraient été plus pleinement invitées à mourir à leurs préjugés pour renaître à une compréhension plus profonde. En conciliant les contraires ? Cependant, le choix imposé – écouter une seule conférence – peut aussi être vu comme un moindre risque : éviter toute discussion enflammée… En tout cas, la synthèse harmonieuse, chère à la franc-maçonnerie, reste, ce jour-là, hors de portée.
Un modèle pour l’avenir de la maçonnerie féminine ?

Cet événement n’est pas qu’une prouesse logistique : il pourrait aussi bien marquer un tournant pour la GLFF, qui compte aujourd’hui environ 13 000 membres dans plus de 400 loges en France et à l’international. En attirant un public diversifié – des franc-maçonnes curieuses aux invitées potentiellement initiables –, la GLFF renforce son rayonnement. De plus, en s’attaquant à un sujet aussi sensible que l’euthanasie, elle affirme son rôle de penseur social, à l’image de son engagement historique pour les droits des femmes et la laïcité… certes, petit point faible, en accueillant les camps dans des enceintes différentes.
D’autres obédiences pourraient s’inspirer de cette stratégie. Imaginez une loge mixte comme le Droit Humain organisant des débats sur l’intelligence artificielle, ou le Grand Orient de France explorant le revenu universel avec deux visions opposées, à chaque fois, en même temps, à des étages différents. Pourquoi ne pas imaginer des entrées et des sorties différentes, pour éviter les rencontres fâcheuses ? La GLFF ouvre ainsi une voie à une époque où les opinions se radicalisent et s’hystérisent : celle d’une maçonnerie active, qui ne se contente pas de préserver des rituels, mais en réoriente l’usage, pour faire face, chacun dans son couloir, aux défis du XXIe siècle. MDR (Mort de Rire), comme on écrit quand on échange encore par SMS.

Bref, la maçonnerie féminine sait encore nous surprendre : rendez-vous, le 10 octobre, à la cité du Couvent, si vous avez décidé à quelle tenue blanche fermée vous rendre…
Alors, mesdames, préparez vos tabliers et vos esprits : le débat… en salle humide, promet d’être incandescent !
(PS : Les Frères sont les bienvenus)

Commencer cet article en félicitant la GLFF… de ce beau coup de pub, ou très exactement « concept marketing brillant »… pour attirer de nouveaux membres et « revitaliser l’Art Royal Féminin », me semble être un « compliment » un peu vachard. Continuer ensuite en partant du principe que les « pour » iront entendre la conférence des « pour » et les « contre », la conférence des « contre » , donc « sans possibilité de dialogue », pour éviter « toute discussion enflammée », me semble relever d’une certitude partisane. C’est oublier notamment que les FF et SS ont soif de s’enrichir d’autres avis/opinions que les leurs. A titre personnel, et je ne suis pas un cas isolé, en tant que favorable au droit de mourir dans la dignité et membre de l’ADMD, si j’avais pu me libérer, j’aurais assisté à la conférence des « contre » justement pour que » la synthèse harmonieuse, chère à la franc-maçonnerie, reste, ce jour-là », à ma portée.
Développer par ailleurs que la GLFF « fait mine de miser sur l’intelligence collective et le débat », et critiquer le fait qu’on ne puisse pas « se rattraper » (?) en passant d’une conférence à l’autre pour argumenter d’un manque d’ouverture de la GLFF (au passage, ce n’est ni un cocktail, ni un musée où on passe de salle en salle, ne serait-ce que pour le respect des conférenciers), me semble manquer d’un peu de hauteur de vue. Si vous aviez raison, alors il n’y aurait aucune « pointe de tension attisée par la dramaturgie de l’événement ».
En tout état de cause, et si votre agenda vous le permet, je vous invite, si vous êtes « pour » à écouter la conférence des « contre », et vice-versa.
Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultam Lapidem.
La thématique est dans le fond fort intéressant mais brouillée et interrogatrise sous la forme.
En effet, le thème central qui renvoie à l’euthanasie est très sensible et nécessite une approche approfondie sur la question qui relève non seulement du domaine de la médecine mais aussi de la théologie afin de déboucher non pas sur une convergence d’opinions, mais plutôt sur des regards croisés et contrebalancés.
À mon humble avis, le débat loin d’être inclusif, semble s’orienter plus vers un concept marketing audacieux ou devrais-je dire vers le marchandising à ciel ouvert, s’éloignant de facto du principe fondamental de la Franc-maçonnerie à savoir : <> .
Attendons simplement voir le rapport final qui sera présenté à l’issue de cette double conférence simultanée.
Très respectueusement…
Idée technique intéressante!
dans toutes nos boutiques on se plaint des coûts trop élevés de certaines réunions et si un format hybride voyait le jour?
au point de vue communication bravo mes sœurs c’est un coup de maître nos « tenues communes « prennent un sacré coup de vieux. ce type de format est améliorable mais mérite que l’on se penche dessus
quand à la sacrosainte tradition au début de mon parcours je recevais par la poste les convocations et bon nombre de planche était écrite à la main maintenant…
j’aimerai avoir un retour d’expérience sur cette tenue points positifs et négatifs cela m’intéresse beaucoup .
Faire intervenir des conférenciers philosophes et/ou scientifiques est pertinent mais sûrement insuffisant. La fin de vie, est le sujet important .Pour certains Frères et Soeurs pratiquant le Rite Ecossais Rectifié, il est important aussi d’avoir un éclairage de la part de théologiens, qu’ils soient catholiques ou protestants. c’est faire preuve d’anathème que de les exclure et d’entendre leurs pensées, sentiments et arguments. Que l’on soit croyant ou pas. Nous nous faisons fort d’entendre en Franc-Maçonnerie de pouvoir recevoir toute parole pour nous faire progresser.
Pas sûr que cette idée soit géniale. En effet le principe même de la maçonnerie c’est d’avoir des idées contradictoires dans le même espace et en même temps et de pouvoir échanger dans la sérénité. Et non de réunir les gens selon leur opinion. Le principe de base c’est quand même réunir ce qui est epars….
La FM n’est pas un concept marketing pour FF et SS en recherche. Cette idée de cloisonner se nomme dans le monde profane le communautarisme. Au lieu de confronter au doute , à l’échange et l’ouverture et donc à l’évolution il enracine les idées premières et sépare les rencontres possibles. Tout le contraire d’une tenue où les regards différents sinon divergents doivent être proposés pour faire évoluer les positions. N’est ce pas le but..? Il aurait fallu simplement le samedi les pour et le dimanche les contre pour que chacun puisse entendre les deux … et se faire sa propre opinion..! Mais ce monde même maçonnique se vêt des habits du profane au contraire des traditions utiles .
CQFD : les deux conférenciers de la conférence « l’euthanasie et son angle mort » sont, d’une part, un médecin néphrologue à la Fondation Santé des Étudiants de France, également docteur en sciences ainsi qu’en éthique et philosophie appliquée à la santé, et, d’autre part, une psychiatre-psychanalyste, chercheure associée à la Chaire de Philosophie à l’Hôpital et doctorante en philosophie contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne.
Il ne s’agit donc pas de théologiens.
Hummm…. »concept marketing audacieux », « révolutionne la Franc-maçonnerie », « une inventivité qui force l’admiration », « approche moderne et inclusive », « coup de génie marketing »….. vous y allez fort – superlatifs ridicules. Elle est où « l’intelligence collective » si les avis opposés ne se rencontrent pas dans une seule et unique conférence-débat pour « rassembler ce qui est épars », principe de base de la FM ?
totalement d’accord
De mon point de vue, il faut s’interesser non pas aux lignes, mais à ce qui est non dit entre les lignes. Sous couvert de « félicitations » de l’autrice de cet article, quelques commentaires, bien tournés certes, semblent bien moins bienveillants…
On s’était dit rendez-vous dans dix jours,
même lieu, même heure, même Temple au détour,
mêmes colonnes, mêmes questions qui brûlent,
même écho sous la voûte où la parole circule.
Rendez-vous dans dix jours, 4 cité du Couvent,
mêmes mains qui se cherchent pour penser le vivant,
même table dressée pour l’agape fraternelle…
mais pas la même obole au panier des chandelles.
Dix euros d’un côté, treize euros de l’autre,
mêmes couverts pourtant, même pain, même nôtre.
Est-ce l’inflation des symboles ou du vin du soir,
la variable du triangle ou l’humeur du devoir ?
Rendez-vous dans dix jours, même salle, même porte :
que l’on compte nos idées plus que l’on compte nos sortes.
Si la note diverge, gardons l’esprit égal :
que la mesure soit juste, et le partage principal.
C’est marrant… ou pas ! Même endroit, mais pas le même tarif à l’agape…
Il est intéressant de noter que certains considèrent vraiment cette loi sur la fin de vie bioéthique comme une forme d’euthanasie subtile. Il m’est arrivé de côtoyer des francs-maçons chrétiens pour qui cette loi, qu’ils perçoivent plutôt comme une euthanasie déguisée, serait un moyen astucieux pour les pouvoirs publics de réduire les coûts de la Sécurité sociale liés à la prise en charge des personnes âgées, dépendantes ou non…
Un sujet qui mériterait un vrai débat unifié, plutôt que des conférences cloisonnées !
bien d’accord sur la critique d’une organisation séparée alors qu’en FM, en tout cas celle que je pratique, le débat d’idées contradictoires est fondamental. par contre l’argument de l’euthanasie est déguisée est une muleta agitée par les culs bénis. il est indispensable que le choix de la personne concernée de préférence inscrit dans ses directives anticipées, soit respecté, quel qu’il soit.
Notre sœur Alice pointe du doigt les « dépenses somptuaires » en communication au sein du paysage maçonnique français…
Et elle a entièrement raison. Le « combien ça coûte » ne semble pas être un souci pour les grands maîtres et grandes maîtresses en exercice… Ni d’ailleurs l’aspect « c’est Nicolas qui paie ». Alice suggère que certaines obédiences gaspillent des fonds – provenant souvent des cotisations des membres – en campagnes publicitaires stéréotypées ou en agences externes, dans le but d’attirer de nouveaux membres face à un contexte de déclin ou de rigidité perçue.
Nous verrons bien, à la fin des mandats des grands maîtres, si cela a fonctionné… Et combien de nouvelles sœurs et frères auront enrichi nos colonnes.