lun 08 septembre 2025 - 15:09

Les origines du christianisme – 7

Si vous n’avez pas lu l’épisode d’hier…

L’article aborde un moment clé du christianisme primitif : le concile de Jérusalem (vers 48-49), où Jacques, Pierre et Paul débattent de l’admission des non-Juifs dans le mouvement chrétien.
Un an plus tard, Paul rédige la Première Épître aux Thessaloniciens, considérée comme le texte le plus ancien du Nouveau Testament. Nous examinerons le contexte de cette assemblée, l’authenticité des lettres de Paul, et la controverse autour d’un passage virulent contre les Juifs dans 1 Thessaloniciens 2:14-16, qui soulève des questions sur son authenticité et son impact sur l’antisémitisme chrétien.

Le concile de Jérusalem : une décision fondatrice

Pierre rencontre paul

Vers 48 ou 49, le concile de Jérusalem réunit les figures majeures du christianisme primitif : Jacques (le frère de Jésus), Pierre et Paul. Cette assemblée vise à trancher une question cruciale : quelles sont les conditions d’admission des non-Juifs (païens) dans le mouvement chrétien ? Faut-il leur imposer la circoncision et l’observance de la Loi mosaïque, comme l’exigent certains judéo-chrétiens, ou peuvent-ils être intégrés sans ces obligations ? Cette réunion, décrite dans Actes 15 et Galates 2, marque un tournant en officialisant l’ouverture aux païens, avec un compromis basé sur les lois noachiques (interdiction des viandes sacrifiées aux idoles, du sang et des viandes étouffées).
Jacques, figure dominante à Jérusalem, exerce un droit de regard sur les pratiques missionnaires, tandis que Paul, représentant d’Antioche, plaide pour une ouverture sans ces exigences.
Paul, représentant de l’Église d’Antioche, défend l’idée que la foi en Christ suffit pour le salut, sans nécessité de devenir juif. Cette position, qui s’oppose aux judéo-chrétiens traditionalistes, est validée lors du concile, bien que des tensions persistent, comme le montre l’incident d’Antioche (Galates 2:11-14). Le concile établit une répartition des champs missionnaires : Pierre pour les Juifs, Paul pour les païens, bien que les Actes harmonisent cette division pour minimiser les conflits.

La Première Épître aux Thessaloniciens : le texte le plus ancien

Écrite vers l’an 50, la Première Épître aux Thessaloniciens est considérée par la majorité des exégètes comme le texte le plus ancien du Nouveau Testament.
Adressée à une communauté mixte de Thessalonique, en Asie Mineure, composée de Juifs et de non-Juifs (avec une majorité de païens), cette lettre reflète les débuts du christianisme, une période dite « tunnel » où les sources sont rares. Ce document offre un aperçu précieux des premières communautés chrétiennes, fondées par Paul, et de leurs défis, notamment les persécutions et les tensions internes.

La communauté de Thessalonique, comme d’autres fondées par Paul, est caractérisée par sa diversité : elle inclut des Juifs d’origine, des prosélytes et des « craignants-Dieu » (païens attirés par le judaïsme). Cette mixité reflète la spécificité de la mission paulinienne, qui s’adresse à un public varié dans les synagogues de la diaspora. Cependant, la composition exacte de la communauté reste difficile à reconstituer, faute de sources détaillées.

L’authenticité des épîtres de Paul : un débat fondamental

Sur les 14 lettres attribuées à Paul dans les Bibles catholiques, certaines soulèvent des questions d’authenticité et d’intégrité. Le texte distingue plusieurs catégories :

  1. Lettres unanimement authentiques (7) : Romains, 1 et 2 Corinthiens, Galates, Philippiens, 1 Thessaloniciens et Philémon. Ces lettres, dictées par Paul, sont reconnues comme des témoignages directs de sa pensée.
  2. Lettres contestées (3) : 2 Thessaloniciens, Colossiens et Éphésiens, dont l’authenticité est débattue en raison de différences stylistiques ou théologiques.
  3. Lettres non pauliniennes (3) : Les épîtres pastorales (1 et 2 Timothée, Tite), presque universellement considérées comme rédigées par un disciple postérieur.
  4. L’Épître aux Hébreux : Non incluse dans le corpus paulinien dans les Bibles protestantes, elle est attribuée à un autre auteur.

Un problème central est l’intégrité des lettres : certaines, comme 1 Thessaloniciens, pourraient être des compilations de plusieurs écrits de Paul ou contenir des interpolations (ajouts postérieurs). Cette question est cruciale, car elle affecte l’interprétation des textes et leur valeur historique.

La polémique de 1 Thessaloniciens 2:14-16 : une diatribe controversée

Dans 1 Thessaloniciens 2:14-16, Paul écrit : « En effet, frères, vous avez imité les Églises de Dieu qui sont en Judée dans le Christ Jésus, puisque vous aussi avez souffert de vos propres compatriotes, ce qu’elles ont souffert de la part des Juifs, eux qui ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes, ils nous ont aussi persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu et sont ennemis de tous les hommes, ils nous empêchent de prêcher aux païens pour les sauver, et mettent ainsi en tout temps le comble à leurs péchés. Mais la colère est tombée sur eux à la fin. » Ce passage, d’une virulence inhabituelle, accuse les Juifs d’avoir tué Jésus et les prophètes, d’être ennemis de l’humanité et d’avoir attiré la colère divine.

Le texte souligne que ce passage s’inscrit dans un contexte intra-juif. Paul, lui-même juif, s’exprime dans une logique prophétique, reprenant la tradition deutéronomiste selon laquelle le peuple d’Israël rejette souvent les envoyés de Dieu. L’accusation selon laquelle les Juifs ont « tué les prophètes » est un cliché issu du judaïsme post-exilique, retrouvé dans des textes comme Matthieu 23:37 ou les Actes 7:52. De même, l’idée que les Juifs sont « ennemis de tous les hommes » reprend des stéréotypes de la propagande païenne anti-juive, que Paul réinterprète théologiquement : pour lui, les Juifs s’opposent à la mission chrétienne en empêchant l’annonce de l’Évangile aux païens, ce qui entrave leur salut.

L’expression finale, « la colère est tombée sur eux à la fin » (1 Thessaloniciens 2:16), pose un problème particulier. En grec, le verbe à l’aoriste (ephthasen) suggère une action accomplie, ce qui pourrait évoquer un événement historique précis, comme la destruction du Temple de Jérusalem en 70. Cependant, cette épître, datée de 50-51, est antérieure à cet événement. Cette anomalie conduit certains exégètes à suspecter une interpolation postérieure, rédigée après 70 pour refléter la séparation croissante entre judaïsme et christianisme.

Débat sur l’authenticité des versets 2:14-16

Plusieurs indices suggèrent que 1 Thessaloniciens 2:14-16 pourrait être une addition postérieure :

  1. Contexte historique : La référence à la « colère » divine semble renvoyer à la destruction du Temple (70), un événement postérieur à la rédaction de l’épître. Certains proposent que le texte évoque plutôt la crise de Caligula (vers 40), mais cette interprétation est moins convaincante.
  2. Tonalité inhabituelle : La virulence du passage contraste avec le ton généralement mesuré de Paul envers les Juifs, notamment dans Romains 9-11, où il exprime un amour profond pour son peuple.
  3. Cohérence textuelle : En supprimant les versets 14-16, le texte passe fluidement du verset 13 au verset 17, suggérant que ces versets pourraient être une « rustine » ajoutée ultérieurement. Le mot « en effet » (gar) au début du passage semble artificiel, comme une transition forcée.
  4. Contexte de relecture : Après 70, avec la séparation entre le judaïsme rabbinique et le christianisme, un scribe aurait pu insérer ce passage pour refléter les tensions croissantes entre les deux communautés.

D’autres exégètes défendent l’authenticité du passage :

  1. Vocabulaire paulinien : Les termes comme « Christ Jésus », « plaire à Dieu » ou le thème de l’imitation sont typiques des épîtres authentiques de Paul.
  2. Présence dans les manuscrits : Le passage figure dans tous les manuscrits connus, y compris les plus anciens (comme le Codex Claromontanus du VIe siècle). L’absence de variantes textuelles affaiblit l’hypothèse d’une interpolation.
  3. Contexte communautaire : Le passage s’inscrit dans la situation de Thessalonique, où la communauté mixte subit des persécutions, peut-être de la part de Juifs ou de païens. Paul, exaspéré par l’opposition à sa mission, pourrait avoir utilisé un langage prophétique pour exprimer sa frustration.

Le débat reste ouvert, sans certitude définitive. Les défenseurs de l’interpolation soulignent la rupture stylistique et historique, tandis que ceux de l’authenticité insistent sur la cohérence avec le contexte paulinien. Le texte invite à une approche critique : même si le passage est authentique, il reflète un moment de tension intra-juive, et non une condamnation universelle des Juifs.

Cependant, son interprétation ultérieure, notamment dans le christianisme postérieur, a contribué à l’antisémitisme, en faisant des Juifs les « ennemis de l’humanité ».

Les persécutions et l’identité des « compatriotes »

Dans 1 Thessaloniciens 2:14, Paul compare les souffrances des Thessaloniciens à celles des Églises de Judée, persécutées par leurs « compatriotes » (en grec, sumphuletēs, litt. « de la même tribu » ou « groupe »). Le texte explore deux interprétations possibles :

  1. Païens persécutant les chrétiens : Les « compatriotes » pourraient être des Thessaloniciens païens, hostiles aux convertis chrétiens, perçus comme un mouvement révolutionnaire perturbant l’ordre social.
  2. Juifs persécutant les judéo-chrétiens : Plus probablement, Paul fait référence aux Juifs de Thessalonique qui s’opposent à sa prédication dans les synagogues, un schéma récurrent dans les Actes (ex. Actes 17:5-9). Cette opposition crée des divisions au sein des communautés juives, les chrétiens étant vus comme une secte dissidente.

Paul, ancien persécuteur des chrétiens (Galates 1:13), s’exprime en tant que Juif dans un débat interne au judaïsme. Sa diatribe reflète sa déception face à l’opposition des Juifs de Thessalonique, qui ne suivent pas son propre chemin de conversion au christianisme. Cependant, en reprenant des clichés anti-juifs de la propagande païenne (comme la « misanthropie »), Paul donne à ces accusations une portée théologique : les Juifs, en s’opposant à la mission chrétienne, entravent le salut des païens.

Impact historique : un texte au service de l’antisémitisme

Les versets 2:14-16, qu’ils soient authentiques ou interpolés, ont eu un impact désastreux dans l’histoire chrétienne. Interprétés hors de leur contexte intra-juif, ils ont servi de fondement théologique à l’antisémitisme chrétien, en présentant les Juifs comme responsables de la mort de Jésus et comme « ennemis de l’humanité ». Cette lecture, amplifiée après la séparation entre judaïsme et christianisme (après 70), a alimenté des siècles de persécutions.

Le texte insiste sur la nécessité de contextualiser ces versets. Paul, en tant que Juif, ne rejette pas son peuple – comme en témoigne Romains 9:1-5, où il exprime sa douleur pour Israël. Sa colère dans 1 Thessaloniciens reflète un conflit spécifique, lié à l’opposition rencontrée dans sa mission. Cependant, l’absence de nuance dans le texte, combinée à son interprétation ultérieure, en fait un « chapitre triste » de l’histoire de l’Église.

De Jérusalem à la révolte juive

Paul, Pierre et Jacques meurent avant la fin des années 60, probablement entre 62 et 64 pour Paul et Pierre, et vers 62 pour Jacques. En 66, une révolte juive éclate en Judée contre les Romains, culminant en 70 avec la destruction de Jérusalem et du Temple. Cet événement, catastrophe majeure pour le judaïsme, marque un tournant dans la séparation entre judaïsme rabbinique et christianisme naissant.

Rédigés vers 80-90, les Actes des Apôtres racontent la naissance héroïque du christianisme, minimisant les conflits internes pour présenter une continuité entre Jésus, Pierre et Paul. Écrits après la destruction du Temple, ils reflètent un contexte où le christianisme s’affirme comme un mouvement distinct, s’adressant de plus en plus aux païens.

Le concile de Jérusalem (48-49) pose les bases de l’ouverture du christianisme aux païens, une décision portée par Paul, mais dans un cadre encore juif.
La Première Épître aux Thessaloniciens (50-51), texte clé du Nouveau Testament, reflète les tensions de cette période, notamment dans le passage controversé de 2:14-16. Ces versets, qu’ils soient de Paul ou interpolés, expriment une frustration intra-juive, mais leur réinterprétation postérieure a alimenté l’antisémitisme chrétien. Le débat sur leur authenticité – soutenu par des indices comme la référence à la « colère » divine ou la fluidité du texte sans ces versets – reste irrésolu, mais il souligne la complexité de l’histoire du christianisme primitif.

Découvrir la suite… (demain)

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES