sam 06 septembre 2025 - 16:09

Les origines du christianisme – 5

Si vous n’avez pas lu l’épisode d’hier.

Aujourd’hui nous abordons le rôle central de Paul dans l’histoire du christianisme primitif, sa conversion (ou vocation), ses épîtres authentiques, ses relations avec les autres figures apostoliques (Pierre, Jacques), et les contrastes entre l’autoportrait de Paul dans ses lettres et le portrait idéalisé dans les Actes des Apôtres. Il sera mis en évidence l’importance exagérée de Paul due à ses écrits, et les implications théologiques de sa vision du Christ, en soulignant la diversité originelle du christianisme et les reconstructions littéraires ultérieures.

Paul, une figure centrale du christianisme primitif

Avant sa conversion, Paul, alors appelé Saul, est décrit comme un adversaire acharné de l’Église chrétienne naissante. Selon les Actes des Apôtres (chapitre 9), Saul « respirait toujours la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur » (Actes 9:1). Il demandait des lettres au Grand Prêtre pour persécuter les adeptes de Jésus dans les synagogues de Damas, cherchant à les arrêter et à les ramener enchaînés à Jérusalem. Cette image d’un Saul zélé, pharisien rigoriste, reflète son engagement initial dans le judaïsme, où il se présente comme un défenseur fervent de la Loi mosaïque.

Paul lui-même confirme cette période de persécution dans ses épîtres. Dans l’Épître aux Galates (1:13), il écrit : « Vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme, avec quelle frénésie je persécutais l’Église de Dieu et je cherchais à la détruire. » Le terme grec utilisé, porthein, traduit par « ravager », souligne l’intensité de son opposition. Cette période sombre constitue l’« avant » dans le schéma narratif de sa vie, qu’il oppose radicalement à l’« après » de sa vocation.

La conversion de Paul : un tournant décisif

Pieter Brueghel l'Ancien, La Conversion de saint Paul (1567), Musée d'Histoire de l'Art, Vienne (Autriche)

Le moment clé de la transformation de Saul en Paul est son expérience sur le chemin de Damas, décrite à trois reprises dans les Actes des Apôtres (chapitres 9, 22 et 26). Alors qu’il approche de Damas, une lumière céleste l’enveloppe, le faisant tomber à terre. Une voix divine lui demande : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Actes 9:4). Jésus se révèle à lui, déclarant : « Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes. » Incapable de voir, Saul est conduit à Damas, où il reste aveugle pendant trois jours, sans manger ni boire, jusqu’à ce qu’Ananiae, un disciple, le guérisse et le baptise.
Les Actes insistent sur l’aspect héroïque et providentiel de cet épisode, qui marque le passage de Saul, le persécuteur, à Paul, l’apôtre des Gentils. Cependant, ce récit est avant tout littéraire, conçu pour souligner l’intervention divine dans la vie de Paul et son rôle dans l’expansion du christianisme.

Dans ses propres écrits, Paul évoque sa vocation de manière plus sobre, mais le schéma fondamental reste similaire. Dans Galates 1:15-16, il affirme : « Lorsqu’il a plu à Dieu de révéler son Fils en moi pour que je l’annonce parmi les nations… » Il ne mentionne pas explicitement l’épisode du chemin de Damas tel que décrit par Luc, mais il insiste sur une révélation directe de Dieu, qui le distingue des apôtres ayant connu Jésus de son vivant. Cette expérience mystique, où le Christ ressuscité lui apparaît, confère à Paul une autorité apostolique qu’il revendique avec force, malgré son absence de lien direct avec le Jésus historique.

Paul lui-même ne parle pas d’« abjuration » du judaïsme, contrairement à ce que certains récits postérieurs pourraient suggérer. Sa transformation est davantage une vocation, un appel à annoncer le Christ aux non-Juifs, plutôt qu’un abandon total de son identité juive. Cette nuance est essentielle pour comprendre la continuité entre son passé pharisien et sa mission chrétienne, même si les Actes tendent à dramatiser cet événement pour en faire une rupture nette.

Paul dans le contexte du christianisme naissant

Paul n’est pas un acteur isolé dans le christianisme primitif. Il s’inscrit dans une « grande constellation » de courants et de figures missionnaires. Le texte identifie plusieurs courants distincts :

  1. Le judéo-christianisme de Jérusalem, centré sur Jacques, le frère de Jésus, et attaché à la Loi mosaïque.
  2. La mission de Pierre, qui s’étend d’Antioche à Rome, marquant l’expansion du christianisme vers l’Occident.
  3. Le courant joannique, qui se cristallise dans le quatrième Évangile (Jean) et les épîtres de Jean.
  4. La tradition des paroles de Jésus, recueillie dans les Évangiles de Luc et de Matthieu.

Paul, vecteur du courant helléniste issu d’Antioche, représente une branche spécifique du christianisme, marquée par son ouverture aux Gentils (non-Juifs). Cependant, il n’est pas le premier à prêcher aux non-Juifs, contrairement à ce que sa centralité dans le canon du Nouveau Testament pourrait laisser croire. D’autres missionnaires, moins documentés, ont également joué un rôle dans la diaspora juive.

Paul occupe une place démesurée dans le Nouveau Testament, en partie à cause de la conservation de ses lettres authentiques (comme Romains, 1 et 2 Corinthiens, Galates, Philippiens, 1 Thessaloniciens et Philémon). Ces écrits, rares pour un penseur religieux de l’Antiquité, offrent un témoignage direct et personnel, contrastant avec le silence des sources sur d’autres figures contemporaines, comme Yohanan ben Zakkai, le père du judaïsme rabbinique. Cette abondance de sources pauliniennes crée un effet de « lumière excessive », où Paul semble éclipser d’autres missionnaires chrétiens de son époque.

Les épîtres de Paul : un témoignage irremplaçable

Les épîtres de Paul constituent une source majeure pour comprendre sa pensée et son rôle. Contrairement aux Actes, qui présentent une vision extérieure et postérieure, les lettres offrent un accès direct à la théologie et à la personnalité de Paul. Elles révèlent un homme complexe, à la fois humble et audacieux, revendiquant son titre d’apôtre tout en se décrivant comme « le moindre des apôtres » (1 Corinthiens 15:9) ou un « avorton » (terme utilisé pour exprimer son indignité face à ceux qui ont connu Jésus de son vivant).

Les lettres authentiques, rédigées entre les années 50 et 60, abordent des questions théologiques (comme la justification par la foi), des conflits avec ses communautés, et des débats avec ses adversaires. Elles témoignent de son activité missionnaire intense, marquée par la fondation de communautés chrétiennes dans des régions comme la Galatie, la Macédoine et l’Achaïe.

La pensée de Paul se distingue par son accent sur la mort et la résurrection du Christ comme événements centraux du salut. Contrairement aux judéo-chrétiens, qui mettaient l’accent sur la vie et les enseignements de Jésus, Paul considère que la vie terrestre de Jésus est secondaire par rapport à son rôle cosmique. Dans ses épîtres, il cite rarement les paroles de Jésus (seulement quatre mentions explicites, principalement dans 1 Corinthiens), ce qui a conduit certains chercheurs à supposer qu’il connaissait peu la vie de Jésus. Cependant, le texte soutient que Paul en savait probablement davantage, mais qu’il choisissait de se concentrer sur la dimension rédemptrice de la mort et de la résurrection du Christ.

Cette focalisation théologique s’explique par la vision mystique de Paul : pour lui, Jésus est avant tout un « personnage céleste », révélé par Dieu, et non un maître terrestre dont les paraboles ou les miracles seraient centraux. Cette perspective entre en conflit avec celle de ses adversaires judéo-chrétiens, qui prônaient un Jésus attaché à la Loi mosaïque et à la tradition juive.

Les Actes des Apôtres : une vision aseptisée de Paul

Un point frappant du texte est le silence des Actes des Apôtres sur l’activité épistolaire de Paul, pourtant centrale dans sa mission. Les lettres, qui représentent un labeur considérable et une expression clé de sa théologie, ne sont jamais mentionnées par Luc, l’auteur présumé des Actes. Ce silence intrigue, d’autant plus que les épîtres circulaient probablement à la fin du Ier siècle, période où les Actes auraient été rédigés (vers 80-90).

Plusieurs hypothèses expliquent cette omission :

  1. Ignorance de Luc : Bien que peu probable, il est possible que Luc n’ait pas eu connaissance des lettres de Paul.
  2. Choix délibéré : Luc aurait choisi de ne pas mentionner les épîtres, soit parce qu’elles ne cadraient pas avec son projet narratif, soit parce qu’elles contenaient des éléments théologiques ou conflictuels qu’il préférait passer sous silence.
  3. Priorité aux voyages : Luc met l’accent sur les voyages missionnaires de Paul, présentés comme des actes héroïques, plutôt que sur son activité intellectuelle et épistolaire. Les Actes privilégient une image de Paul en action, prêchant et fondant des communautés, plutôt qu’un théologien écrivant des lettres.

Les Actes dépeignent Paul comme un missionnaire héroïque, mais aussi comme un personnage « domestiqué » et orthodoxe, subordonné à l’autorité de l’Église de Jérusalem. Contrairement à ses épîtres, où il apparaît comme un penseur radical, prenant ses distances avec certains aspects du judaïsme, les Actes le présentent comme un Juif pieux, respectueux de la Loi mosaïque. Par exemple, Luc insiste sur le lien de Paul avec Jérusalem, suggérant qu’il aurait étudié auprès de Gamaliel, un maître pharisien, une affirmation absente des épîtres et contredite par Paul lui-même, qui affirme n’être allé à Jérusalem que trois ans après sa vocation (Galates 1:18).

Cette image aseptisée répond à un projet littéraire : Luc cherche à harmoniser l’histoire du christianisme naissant, en minimisant les conflits et en présentant Paul comme un continuateur de la tradition juive. Les divergences entre les Actes et les épîtres reflètent donc une tension entre l’autoportrait de Paul et le portrait postérieur de Luc, rédigé une génération plus tard.

Les différences entre les Épîtres et les Actes

Plusieurs contradictions sont évidentes entre les Épîtres de Paul et les Actes des Apôtres :

  1. La chronologie et les détails biographiques : Les épîtres offrent peu de détails biographiques, rendant difficile la reconstitution d’une chronologie précise. Les Actes, en revanche, proposent une narration plus linéaire, mais parfois en désaccord avec les épîtres. Par exemple, Paul mentionne un séjour en Arabie après sa vocation (Galates 1:17), un épisode absent des Actes.
  2. L’identité juive de Paul : Dans ses lettres, Paul revendique son identité pharisienne et sa fidélité à la tradition juive (Philippiens 3:5), mais il ne mentionne jamais avoir étudié à Jérusalem ou auprès de Gamaliel, contrairement aux Actes. De même, l’idée qu’il soit citoyen romain ou qu’il maîtrise l’hébreu, avancée par Luc, semble peu plausible à la lumière des épîtres, où Paul s’appuie exclusivement sur la Septante (la Bible grecque) et non sur le texte hébraïque.
  3. Les conflits et les crises : Les épîtres révèlent des tensions entre Paul et ses communautés, ainsi qu’avec d’autres missionnaires chrétiens, notamment les judéo-chrétiens. Les Actes, en revanche, minimisent ces conflits pour présenter une image harmonieuse de l’Église primitive.

Contrairement à l’idée ancienne selon laquelle le christianisme aurait été unifié à ses débuts avant de se diversifier, la recherche contemporaine montre que la diversité théologique et institutionnelle était première. Le christianisme primitif était marqué par une pluralité de courants, de pratiques et de rapports à la tradition juive. Ce n’est qu’au IIe siècle que des efforts d’unification, comme la constitution du canon du Nouveau Testament ou l’adoption de confessions de foi, ont cherché à réguler cette diversité.

Paul s’inscrit dans cette diversité, mais sa centralité dans le canon donne l’impression qu’il domine le mouvement chrétien. En réalité, il n’est qu’un acteur parmi d’autres, bien que son influence ait été déterminante pour le christianisme occidental, en raison de son ouverture aux Gentils et de sa théologie universaliste.

Paul et ses adversaires : une théologie en débat

Pour comprendre la portée du message de Paul, il est essentiel d’examiner ses adversaires. Ses épîtres révèlent des conflits avec des missionnaires judéo-chrétiens, qui insistaient sur la nécessité de respecter la Loi mosaïque pour être chrétien. Ces opposants, parfois qualifiés de « super-apôtres » dans 2 Corinthiens, prêchaient un Jésus terrestre, fidèle à la Loi, en opposition à la vision de Paul, centrée sur le Christ céleste et la rédemption par la foi.

Le texte suggère que les ennemis de Paul sont plus utiles que ses collaborateurs pour comprendre sa théologie, car ils mettent en lumière les idées contre lesquelles il s’oppose. Par exemple, en Galates, Paul critique ceux qui exigent la circoncision des chrétiens non juifs, défendant l’idée que la foi en Christ suffit pour le salut.

Vers l’an 49, un incident majeur éclate autour de la question : faut-il être juif avant d’être chrétien ? Jacques, le frère de Jésus, convoque les représentants de l’Église d’Antioche, dont Paul, pour débattre de cette question à Jérusalem (Actes 15). Ce « concile » marque un tournant dans l’histoire du christianisme, car il officialise l’ouverture aux Gentils sans l’obligation de se conformer à la Loi mosaïque. Paul, dans ses épîtres, revendique son rôle dans cette décision, affirmant son apostolat auprès des non-Juifs (Galates 2:7-9).

Paul, apôtre des Gentils : une mission universelle

Paul se revendique comme apôtre, un titre qu’il défend avec vigueur dans ses lettres, bien qu’il n’ait pas connu Jésus de son vivant. Dans 1 Corinthiens 9:1, il déclare : « N’ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur ? » Cette vision du Christ ressuscité, qu’il mentionne également dans 1 Corinthiens 15:8 (« Il m’est apparu à moi aussi, comme à un avorton »), constitue la base de son autorité apostolique. Paul refuse de se considérer comme inférieur aux autres apôtres, malgré les critiques de ceux qui valorisent le lien direct avec le Jésus historique.
La mission de Paul se concentre sur les Gentils, auxquels il annonce un salut universel, détaché des prescriptions de la Loi mosaïque. Cette approche le distingue des judéo-chrétiens et explique son succès dans la diaspora juive, où il prêche en grec et s’adresse à des communautés mixtes. Cependant, il ne fonde pas le mouvement missionnaire auprès des Gentils, qui existait avant lui. Comme il le revendique dans Romains 15:20, Paul préfère « planter des communautés sur des sols vierges », évitant de prêcher là où d’autres ont déjà établi des Églises, comme à Rome.

À l’évidence il y a une tension fondamentale entre deux portraits de Paul : celui des épîtres, où il apparaît comme un penseur radical, et celui des Actes, où il est dépeint comme un missionnaire héroïque mais orthodoxe. Cette dualité reflète les objectifs distincts des sources : les épîtres sont des écrits contextuels, où Paul défend sa théologie et répond à des crises spécifiques, tandis que les Actes visent à construire une histoire harmonieuse du christianisme naissant.

Pour l’historien, cette diversité des sources pose un défi : les Actes ne sont pas une biographie fiable, mais un récit littéraire destiné à unifier l’Église. Les épîtres, bien que fragmentaires, offrent un témoignage direct sur la pensée de Paul.

Paul reste une figure énigmatique, dont l’influence sur le christianisme occidental est indéniable, mais dont la vie et la théologie doivent être abordées avec prudence, en tenant compte de la diversité originelle du christianisme et des silences des sources.

La suite demain même heure…

1 COMMENTAIRE

  1. Gamaliel, rabbin du premier siècle et enseignant très respecté du Sanhédrin, mérite mieux qu’un seul trait de plume… Luc affirme que Paul fut instruit aux pieds de Gamaliel (Actes 22 : 1). Que signifie avoir été instruit aux pieds de Gamaliel ? Sur ce point, le professeur Dov Zlotnick, d’un institut américain de théologie juive, déclare : “ L’exactitude de la loi orale, sa fiabilité donc, dépendait presque exclusivement de la relation maître-disciple : du soin que le maître apportait à l’enseignement de la loi et de l’ardeur que le disciple mettait à l’apprendre. (…) Les disciples étaient donc invités à s’asseoir aux pieds du maître (…) et ils buvaient ses paroles dans la soif. ” — Mishna, Avot 1:4 ; Avot 2:8 ; Avot 3:8. De surcroît, la première référence à Rabbi Gamaliel figure dans les Actes 5 : 29. Au cours d’une séance du Sanhédrin, Jean et Pierre y furent traduits à cause de leurs prêches à Jérusalem au nom de Jésus. Gamaliel ordonna de les libérer et puis il dit : « Hommes d’Israël, faites attention à vous quant à ce que vous voulez faire à propos de ces hommes. (…) Je vous le dis : Ne vous occupez pas de ces hommes, mais laissez-les (…) ; sinon il se peut que vous soyez trouvés comme des hommes qui combattent en fait contre Dieu (Actes 5 : 34-40) ». Le conseil de Gamaliel porta, et les apôtres furent libérés. Je veux bien accepter que Mick Jagger, le chanteur des Rolling Stones, est plus connu de nos jours que Gamaliel. Mais, deux mille ans après, Gamaliel demeure la meilleure référence universelle de la tolérance religieuse. Il incarne un trait de lumière.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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