De notre confrère sénégalais seneweb.com
La Franc-maçonnerie, souvent entourée de mystère et de spéculations, occupe une place particulière au Sénégal, où elle suscite à la fois curiosité et méfiance. Présente depuis l’époque coloniale, cette institution discrète a connu des développements significatifs, mais son implantation reste marquée par des tensions avec certains segments de la société sénégalaise, notamment les groupes religieux. Cet article explore l’histoire, la présence et les controverses liées à la Franc-maçonnerie au Sénégal, en s’appuyant sur plusieurs sources disponibles.
Une implantation ancienne mais discrète

La franc-maçonnerie est arrivée au Sénégal dès 1781, avec la création de la première loge par le Grand Orient de France à Saint-Louis, alors capitale coloniale. Cette implantation s’inscrivait dans le contexte de la colonisation européenne, où les loges maçonniques servaient souvent de lieux de rencontre pour les élites administratives et intellectuelles. Parmi les figures historiques associées à la franc-maçonnerie sénégalaise, on cite souvent Blaise Diagne, premier député africain élu à l’Assemblée nationale française, dont l’appartenance présumée à la franc-maçonnerie a alimenté de nombreux débats, bien que des incertitudes persistent sur son initiation effective.

Aujourd’hui, la franc-maçonnerie au Sénégal reste active, mais ses activités se déroulent largement dans la confidentialité. Selon Jeune Afrique, le Sénégal compterait cinq antennes du Grand Orient de France, qui se réunissent de manière discrète. La Grande Loge du Sénégal (GLS) est également mentionnée comme une structure active, organisant régulièrement des conclaves à Dakar. Ces organisations se présentent comme des espaces de réflexion humaniste et philanthropique, visant à promouvoir des valeurs telles que la fraternité, la liberté et l’éducation.
Les Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram) : un rendez-vous controversé

Un événement clé de la Franc-maçonnerie africaine est les Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram), un congrès annuel qui réunit des francs-maçons de divers pays pour discuter de thèmes comme le développement, l’éducation et la gouvernance. En 2018, Dakar devait accueillir la 26e édition de cet événement les 2 et 3 février, avec pour thème :
« Quel modèle de développement économique et social pour le progrès de nos sociétés : Libertés, Éducation, Gouvernance ? »
Cependant, cette rencontre a suscité une vive opposition de la part d’organisations religieuses, notamment l’ONG Jamra, qui y voyaient une menace à leurs valeurs.

L’opposition, menée par des groupes musulmans et chrétiens, a conduit à une forte pression sur les autorités sénégalaises, aboutissant à l’annulation de l’événement au King Fahd Palace. Le Grand Orient de France a dénoncé ce qu’il a qualifié de « manœuvres liberticides » orchestrées par des « forces obscurantistes », affirmant son intention de ne pas céder aux intimidations. Malgré les rumeurs d’une annulation officielle, certaines sources, comme Seneweb en janvier 2018, ont rapporté que la rencontre n’avait pas été formellement annulée, laissant planer le doute sur une possible délocalisation dans un autre lieu au Sénégal. Cette controverse a mis en lumière les tensions entre la laïcité prônée par l’État sénégalais et les sensibilités religieuses d’une partie de la population.
Perceptions et critiques dans la société sénégalaise

La Franc-maçonnerie au Sénégal est souvent perçue à travers le prisme du secret et du pouvoir. Des rumeurs persistantes associent des personnalités politiques et économiques de premier plan, comme d’anciens présidents ou hommes d’affaires, à des loges maçonniques. Ces allégations, bien que rarement étayées par des preuves concrètes, alimentent un imaginaire collectif où la Franc-maçonnerie est vue comme une force influente, voire manipulatrice, dans les sphères du pouvoir. Par exemple, des commentaires sur Seneweb en 2018 évoquaient des figures comme Macky Sall ou Abdoulaye Wade comme étant potentiellement liées à la franc-maçonnerie, sans toutefois apporter de preuves formelles.
Pour certains Sénégalais, la franc-maçonnerie est perçue comme incompatible avec les valeurs religieuses dominantes, dans un pays à majorité musulmane (environ 95 %) et avec une forte présence chrétienne. Des critiques, souvent relayées par des groupes comme Jamra, associent la franc-maçonnerie à des pratiques ésotériques ou même sataniques, bien que ces accusations soient rejetées par les francs-maçons eux-mêmes, qui insistent sur leur engagement humaniste. D’autres voix, plus modérées, appellent à une approche pragmatique, soulignant que la franc-maçonnerie n’est pas une religion et qu’elle coexiste avec d’autres formes d’associations dans un Sénégal laïc.
Une institution en quête de légitimité
Malgré les controverses, la franc-maçonnerie sénégalaise cherche à se positionner comme une force de réflexion et de progrès. Un initié sénégalais, Zorobabel Ndiaye, interviewé par Seneweb en 2025 et par 450.fm en 2022, a décrit la franc-maçonnerie comme une organisation favorisant les rencontres intellectuelles et professionnelles, tout en insistant sur son caractère non religieux et son attachement à des valeurs morales. Cependant, le secret entourant ses rituels et son fonctionnement continue de nourrir les suspicions, notamment dans un contexte où les dérives de certaines confréries religieuses ou pratiques mystiques locales sont également critiquées.

L’annulation des Rehfram en 2018 a marqué un tournant, révélant la difficulté pour les francs-maçons de s’afficher publiquement au Sénégal. Comme l’a souligné Mame Makhtar Guèye, vice-président de Jamra, l’abrogation de l’arrêté interdisant les rencontres maçonniques ne signifiait pas une autorisation explicite de leurs activités, soulignant un terrain social et politique peu favorable.
En conclusion
La Franc-maçonnerie au Sénégal, bien qu’historiquement ancrée depuis plus de deux siècles, reste une institution discrète, souvent incomprise et sujette à des controverses. Entre son ambition de promouvoir des valeurs humanistes et les résistances qu’elle rencontre dans une société profondément religieuse, elle navigue dans un équilibre précaire. Les événements comme l’annulation des Rehfram en 2018 illustrent les défis auxquels elle fait face pour s’intégrer pleinement dans le paysage sénégalais. Toutefois, son existence continue d’alimenter des débats sur la laïcité, la liberté d’association et le rôle des organisations ésotériques dans un pays en constante évolution.
Sources :
- Seneweb, « Congrès des francs-maçons : La rencontre n’a pas été (officiellement) annulée », 31 janvier 2018.
- Seneweb, « Comment les organisations religieuses ont obtenu l’annulation de la rencontre des francs-maçons à Dakar », 20 février 2023.
- Seneweb, « Franc-maçonnerie : Les confessions d’un initié sénégalais », 9 avril 2025.
- Seneweb, « L’histoire de la franc-maçonnerie au Sénégal », 3 mai 2025.
- Senenews, « Annulation du meeting de Dakar : les francs-maçons menacent », 29 janvier 2018.