mer 03 septembre 2025 - 13:09

Les origines du christianisme-2

Si vous n’avez pas lu l’épisode d’hier :

Aujourd’hui nous abordons la succession de Jésus après sa mort, le rôle de sa famille (notamment Jacques, le frère du Seigneur), les tensions au sein de la communauté primitive, et l’évolution des interprétations théologiques et historiques en explorant les sources bibliques (Évangiles, Actes des Apôtres, épîtres de Paul) et extra-bibliques, en soulignant les anachronismes, les conflits de pouvoir et les développements dogmatiques ultérieurs.

La question de la succession de Jésus : absence d’organisation et émergence des figures clés

Persuadé que le royaume de Dieu se manifesterait de son vivant, Jésus n’a pas organisé sa succession. Cette question ne se pose qu’après sa mort, et parmi les disciples, Pierre semble initialement désigné pour succéder au maître. Cependant, l’Évangile de Matthieu est le seul à soutenir ouvertement la cause de Pierre. À l’inverse, le Livre des Actes des Apôtres, qui décrit la première communauté chrétienne, met en avant la famille de Jésus, et particulièrement Jacques, le frère du Seigneur.

Dans les premiers chapitres des Actes, l’organisation de la communauté semble tourner autour de personnalités comme Pierre, Jacques et Jean, les disciples de Jésus. Pourtant, au fil des années, il apparaît que c’est en réalité la famille qui assure une forme de succession dynastique. Jacques, en tant que représentant de la famille de Jésus, prend en charge la communauté chrétienne de Jérusalem. Cela est étonnant, car les Actes placent la famille de Jésus, y compris Marie sa mère, au milieu du cercle des Douze Apôtres, une attestation unique que les Évangiles ne relatent pas.

L’interprétation proposée est que Luc, l’auteur des Actes et historien de la continuité, cherche à manifester les éléments reliant les événements entre eux pour tisser une continuité théologique. Il met ainsi en évidence la position de la famille de Jésus, notamment de sa mère, avec les Douze, juste après la Résurrection et avant l’Ascension. Cela rassemble les éléments constitutifs du réseau relationnel de Jésus durant sa vie. L’auteur des Actes tend à décrire non pas ce qui se passe réellement, mais ce qui devrait se passer : une communauté profondément unie. Il sait qu’il y a des tensions à Jérusalem, mais il invite à l’unité, en insistant sur des sommaires où la communauté est décrite comme unanime, d’un seul cœur, assidue à la prière, incluant les disciples, quelques femmes, Marie la mère de Jésus et ses frères.
Luc laisse entendre qu’il n’y a plus de tensions entre les disciples et la famille de Jésus. Pourtant, il est probable que la famille ait eu une attitude réservée, voire négative, envers les activités de Jésus. Dans l’Antiquité, les rapports familiaux étaient très forts, et Jésus était perçu comme un marginal, un outsider. Il est fort probable que la famille ait réagi négativement à cela.
Dans l’Évangile de Luc (14,26), Jésus déclare que quiconque vient à lui sans haïr son père, sa mère ou son épouse ne peut être son disciple. Dans celui de Matthieu 10,37, celui qui aime son père ou sa mère plus que lui n’est pas digne de lui.

Les aspects négatifs de la famille de Jésus dans les Évangiles

Il est étrange que les Évangiles insistent sur les aspects négatifs de la famille de Jésus, excepté sa mère. Par exemple, dans Luc, il est question des rapports de Jésus avec les siens lors de son activité à Nazareth, où sa famille habite et où ses sœurs sont mariées. Dans l’Évangile de Marc, les membres de sa famille tentent de l’arrêter, s’opposant à son messianisme et à sa manière de propager ses idées. Ils attendent dehors pour lui parler, et Jésus répond : « Qui sont ma mère et mes frères ? », désignant ceux assis autour de lui comme sa vraie famille.
Marc décrit ces tensions au chapitre 3 : Jésus exorcise des démons et guérit des malades, mais sa famille le croit fou ou possédé par un démon. Jésus affirme alors que sa vraie famille est composée de ses disciples. Dans la jeune communauté chrétienne après Pâques, on est conscient du scandale de cette incompréhension de la part de la famille et des gens de Nazareth.
Dans l’Évangile de Jean au chapitre 7, les frères de Jésus l’invitent à monter à Jérusalem pour se manifester, ne comprenant pas que sa mission se réalise humblement. Les disciples ont la même difficulté. Jean note perfidement que ses frères ne croyaient pas en lui.

Une hypothèse défendue par des spécialistes est que les Évangiles de Marc et de Jean ne reflètent pas la situation exacte des rapports familiaux, mais des luttes de pouvoir et d’influence entre les communautés associées à ces textes. Ils chercheraient à déconsidérer la famille en montrant qu’elle ne l’avait pas soutenu ni compris, et que Jésus les avait implicitement déshérités, affirmant que sa vraie famille est celle des croyants.

Même si la famille croit, elle n’a pas de statut supérieur.

Un autre texte intéressant est celui de Jésus sur la croix, où il confie sa mère au disciple bien-aimé. Certains y voient une preuve qu’il n’avait pas de frères, mais cela passe à côté du sens : Jésus constitue une nouvelle communauté rassemblant disciples et famille, où le vrai disciple et membre de famille est celui qui se comporte comme le disciple aimé.

Les frères et sœurs de Jésus : débats historiques et théologiques

La communauté après la mort de Jésus regroupe compagnons, partisans, membres de la famille et frères de Jésus. Cela surprend, car la tradition catholique n’a jamais accordé à Marie d’avoir eu d’autres enfants que Jésus. Pourtant, durant le premier siècle, c’était différent. À la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, l’Église impose vigoureusement que Marie était vierge lors de la conception de Jésus et toute sa vie, et que Joseph n’avait jamais couché avec elle. Cela contraste avec les premiers textes chrétiens, où Jésus a des frères et des sœurs.

Dans l’Évangile de Marc au chapitre 6, l’évangéliste cite les noms des frères de Jésus : Jacques, Joseph, Judas et Simon, et sous-entend qu’il avait au moins deux sœurs. Derrière ces noms traduits en hébreu se cachent subtilement ceux des grands fondateurs d’Israël : Jacques (Jacob), Joseph, Judas et Simon (patriarches des tribus). C’est une famille très patriote. Marc parle sans réticence de la mère, des frères et des sœurs de Jésus. Ce texte a posé des problèmes dans l’Église en raison d’une affirmation christologique : Jésus comme Fils unique du Père, interprétée biologiquement, rendant indécente l’idée de frères et sœurs.
Marc ignore la naissance virginale, mais même Luc et Matthieu, qui la reprennent, parlent des frères et sœurs. Il n’y a aucune raison de prendre les mots au sens figuré ; les textes doivent être compris littéralement. Dans Luc, Marie met au monde son « premier-né », suggérant d’autres enfants. Les évangélistes après Paul parlent des frères et sœurs sans interprétation artificielle, et c’est cette lecture qui prévaut aujourd’hui, même dans l’exégèse catholique.

Le problème émerge quand Marie est proclamée éternellement vierge, lors de l’élaboration de la doctrine de la conception miraculeuse. Pendant des siècles, les théologiens expliquent l’inexplicable. Cette doctrine reflète la perception théologique de la sexualité aux IVe et Ve siècles : négative. Elle se fonde sur des textes de la fin du Ier siècle mentionnant la virginité à la naissance, et sur des citations détournées de la Bible grecque. Les récits de naissance sont contradictoires, et la virginité vient d’une prophétie mal interprétée pour placer Jésus dans un contexte davidique.
La doctrine se développe avec Ambroise et Augustin, quand le péché originel devient une maladie sexuellement transmissible, sauf pour Marie et Jésus. Cela n’apprend rien sur Marie historiquement ni sur la relation biologique entre Jacques et Jésus. Dans Marc, Jésus est appelé « fils de Marie », ce qui peut impliquer un père inconnu, car on désignait habituellement les gens comme fils de leur père. Une hypothèse est que Jésus était un enfant illégitime de Marie, accepté par Joseph, idée retrouvée dans la littérature polémique juive postérieure (Jésus fils d’un légionnaire romain). C’est peut-être de la diffamation, mais considéré sérieusement par certains spécialistes.

Des sources non chrétiennes, comme le philosophe païen Celse, rapportent que Jésus était fils d’un soldat romain, mais cela vient de sources juives, et les chrétiens y voient une calomnie. L’historien peine à gérer ces documents manipulés. Sur la naissance virginale, il faut interroger l’intention théologique avant l’historicité. Affirmer que Marie était vierge avant la naissance est une chose ; prétendre qu’elle l’est restée toute sa vie (dogme de l’Immaculée Conception) est un développement tardif difficile à soutenir.

Pourtant, la théologie affirme que Marie a donné des frères et sœurs à Jésus sans relations sexuelles, voyant la sexualité négativement.

Les protestants refusent de dénigrer les fondements catholiques, notant que les protestants ont leurs propres fables. Le problème des frères émerge quand on insiste sur la virginité pendant et après la naissance. Il est résolu de plusieurs manières : un texte du IIe siècle ( le Protoévangile de Jacques, ou Nativité de Marie) dit que Joseph, en IX.2, âgé, avait des enfants d’un premier mariage, faisant des frères des demi-frères de Jésus, fils de Joseph mais pas de Marie.

Une autre ligne, développée par Jérôme au IVe siècle, affirme que les frères sont fils d’une autre Marie, rendant Jacques cousin de Jésus. Sa démonstration est peu crédible, mais convainc les convaincus. Dans la tradition catholique, Jacques reste cousin. On argue que les textes grecs sont marqués par une culture sémitique, où « frères » (adelphos) signifie proches parents ou cousins. Mais en grec, il y a des termes distincts pour frères et cousins (anepsios), et l’historien n’a pas de raison d’interpréter autrement.
Cette lecture est confirmée par Paul, qui parle de « Jacques le frère du Seigneur », et adelphos signifie frère, pas cousin. Paul n’utilise pas anepsios. Au niveau historique, en respectant l’autre position, ces frères sont de même père et mère, pas au sens large de parenté.

La question reflète l’étonnement entre l’identité juive palestinienne de Jésus et l’affirmation de foi en son unicité, menant à des spéculations sur les deux natures. Maintenir que Jésus appartient biologiquement à une famille avec frères et sœurs confirme son appartenance au judaïsme, son humanité concrète.

Jacques : figure éminente

Non seulement Jésus a eu des frères, mais Jacques est vite devenu une figure éminente.
Le plus célèbre, connu comme James en anglais, de l’hébreu Ya’akov (prononcé yakov ou yakovers à l’époque). Probablement le plus doué après Jésus. Jacques est la clé de nombreux mystères, un personnage mystérieux, fondamental pour comprendre les conflits internes à la communauté chrétienne et avec le judaïsme.

C’est un personnage clé mais problématique, avec des images contradictoires chez Paul et dans les Actes. Comment est-il devenu majeur ? Paul dans la Première épître aux Corinthiens témoigne que le Christ ressuscité est apparu à Jacques, une histoire unique que seul Paul connaît. Cette apparition, listée dans 1 Corinthiens 15, représente une deuxième vague après celle centrée sur Pierre.

Le texte est construit comme un TGV avec deux rames parallèles : apparitions à Pierre, aux Douze, à plus de 500 frères, puis à Jacques. Le reste du Nouveau Testament n’y fait aucune allusion, montrant que les documents ne donnent pas beaucoup d’importance à Jacques. Pierre et Jacques n’ont laissé aucune trace directe ; on en parle via des conflits ou des présentations extérieures.

En examinant les textes comme en stratigraphie, au milieu du Ier siècle, regarder en arrière est obscur. Jacques disparaît dans la tradition évangélique plus récente, alors qu’il est présent chez Paul. Dans les Actes, il est de première importance. La tradition fluctue.
Chronologiquement : dans l’Épître aux Galates (années 50), Jacques a une certaine importance, avec des tiraillements entre ses partisans et Paul. Dans Marc (65-70), simple mention comme frère. Dans les Actes (plus tard), Jacques est le chef clé de Jérusalem.
Paul, témoin de la première heure, confirme que Jacques était important à Jérusalem, comme Luc. Selon les Actes, la disparition de Pierre (mort ou exil) correspond à la prise de pouvoir par Jacques. Durant la première décennie et une partie de la deuxième après la mort de Jésus, Pierre est le principal chef, mais dans les réunions, Pierre parle en premier, Jacques en dernier, avec ambivalence.
Selon Luc et les apocryphes, Pierre disparaît : il se déplace, sort de prison libéré par un ange, part vers d’autres lieux. Jacques a alors champ libre à Jérusalem. Lors de l’assemblée de Jérusalem (48-49), Jacques est l’homme fort.

Deux mystères : pourquoi Jacques succède-t-il à Pierre ? Et pourquoi une telle autorité à quelqu’un hors des Douze ? Réponses : dans la famille, succession dynastique ; pour les disciples, par affinité. En 30 après J.-C., le christianisme est naissant : Jésus est perçu différemment par Galiléens, Judéens. Suite aux apparitions, Jacques émerge comme figure nouvelle, avec la famille.

C’est une rivalité classique entre famille et compagnons, comme dans l’école lacanienne ou philosophique. Parallèles dans l’islam après Mahomet, ou chez les Mormons : propagation via famille ou disciples.

Dans le christianisme primitif, succession affinitaire avec Pierre (disciple succède au maître), dynastique avec Jacques (membre de famille).

On fait appel à la famille pour régler les problèmes. Jacques est un juif pieux, respecté, pratiquant la loi, allant au temple, comme les premiers chrétiens à Jérusalem. Il incarne une continuité familiale et inscrit la foi au Christ dans le judaïsme.
L’Épître de Jacques reflète peut-être ses opinions conservatrices, proches d’un juif pieux orthodoxe, fidèle à Jésus.
Selon Flavius Josèphe, Jacques meurt lapidé en 62 à l’instigation du grand prêtre Hanane, vu comme rival. Il est connu comme Jacques le Juste, fidèle à la loi, un ascète.


La tradition chrétienne place une épître sous son nom à la fin du Nouveau Testament, mais efface paradoxalement son souvenir. Jacques apparaît initialement central, puis marginal, oublié, réutilisé symboliquement.
Il souffre de trois handicaps : 1) Frère de Jésus à une époque où Jésus n’est plus supposé en avoir (embarrassant). 2) Juif strict, fidèle à la loi mosaïque, pas positif envers les païens, alors que l’histoire va vers l’abandon de la loi et la prééminence des gentils (fossile dépassé). 3) Chef de l’Église de Jérusalem, initialement dominante, mais Rome devient principale avec Pierre et Paul comme patrons (anachronique).

Il perd son identité : de frère, il devient cousin, identifié à Jacques d’Alphée, un apôtre sans personnalité. Victime de la déjudaïsation progressive de l’Église.

Juste après la mort de Jésus, du vivant de Jacques, Pierre et les Douze, la communauté primitive est animée par l’espérance imminente du royaume. Ils se disputent les places dans ce nouvel ordre, un royaume d’Israël purifié de l’occupation romaine, terrestre.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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