lun 01 septembre 2025 - 18:09

La Franc-maçonnerie dans le monde séfarade (suite) : un héritage vivant et symbolique

Du site enlacejudio.com – Par Maria José Arevalo Gutierrez

(Suite de l’article n°1 sur le même thème)

Dans la continuité de notre exploration de la franc-maçonnerie dans le monde séfarade, cette troisième partie s’attarde sur l’empreinte durable de cet ordre initiatique dans les communautés séfarades, non seulement à travers les loges, mais aussi dans les symboles, les cimetières et les traditions culturelles qui transcendent les frontières géographiques et temporelles. De l’introduction du Rite Écossais dans le Nouveau Monde à l’héritage architectural et funéraire, la franc-maçonnerie séfarade illustre une quête d’universalité et de fraternité, marquée par une riche interaction entre identités culturelles et spirituelles.

L’Expansion du Rite Écossais et les « Sociétés de Pensée »

Yucatan - Mexique
Yucatan – Mexique

Dès le XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie s’est implantée en France et en Espagne, portée par des idéaux de liberté et d’égalité. Le Rite Écossais, introduit dans le Nouveau Monde par Morín, voyagea de France aux Antilles, puis se diffusa progressivement en Amérique latine, notamment au Mexique. Les origines de la franc-maçonnerie mexicaine remontent à des « Sociétés de Pensée », fondées à la fin du XVIIIe siècle en Espagne et dans ses colonies. Ces cercles intellectuels, précurseurs de l’ordre maçonnique, attiraient des esprits éclairés, dont certains deviendraient plus tard francs-maçons. La première trace documentée d’une loge au Mexique remonte au 24 juin 1791, établie par des résidents français récemment arrivés, marquant le début d’une présence maçonnique durable dans la région.

Dans le monde séfarade, ces loges ont souvent servi de refuge pour des communautés en quête d’intégration. À Thessalonique, par exemple, la première loge, fondée en 1904 sous le patronage du Grand Orient de France, fut initiée par des dirigeants juifs. Rapidement, des Grecs, des Arméniens et des musulmans rejoignirent l’initiative, bien que les Juifs séfarades restèrent majoritaires. Cette diversité reflète l’universalité de la franc-maçonnerie, qui transcendait les clivages religieux et ethniques, tout en s’appuyant sur des liens linguistiques et culturels forts, notamment l’usage du ladino dans les loges hispanophones.

Une fraternité forgée dans l’adversité

Les loges séfarades étaient souvent composées de réfugiés ou d’immigrants ayant fui des persécutions, comme les Cubains luttant contre le régime espagnol au XIXe siècle. Ces loges, unies par la langue et des idéaux communs, offraient un espace de solidarité face aux oppressions, qu’elles soient religieuses ou politiques. Manuel Creso, directeur d’une loge séfarade, soulignait cette fraternité en déclarant :

« Parce que leurs ancêtres ont fondé de vastes colonies en Espagne au XIe siècle, ou ont épousé des femmes indigènes, ils pourraient être considérés comme nos frères de sang, fiers d’être appelés Espagnols, et nous sommes heureux de les appeler frères. »

Synagogue of Bayonne (France) – Inside.

Ce sentiment d’appartenance, renforcé par une langue commune, a permis aux Juifs séfarades d’Orient de s’intégrer dans des loges hispanophones, malgré les persécutions historiques subies par les francs-maçons de la part de l’Église catholique et de certains gouvernements.

Cependant, la franc-maçonnerie séfarade ne se limitait pas aux travaux des loges. Les traditions extra-logiales, comme les coutumes alimentaires, ont parfois souffert d’un relâchement, conduisant à des conséquences dramatiques. En Galice, par exemple, la consommation excessive de maïs, presque exclusif dans l’alimentation, a provoqué des épidémies de pellagre, ou « mal de rosa », au XIXe siècle. Ce laxisme dans la transmission des pratiques culturelles montre comment l’oubli des principes fondamentaux peut avoir des répercussions sociales profondes, un enseignement que les francs-maçons, attachés à la mémoire et à la symbolique, s’efforcent de préserver.

Un héritage gravé dans la pierre : les cimetières séfarades

L’influence maçonnique dans le monde séfarade ne s’éteint pas avec la mort. Les cimetières juifs, comme celui de Coro au Venezuela, témoignent de cette pérennité. Fondé en 1832 par Joseph Curiel et Débora Levy Maduro, ce cimetière, considéré comme le plus ancien d’Amérique utilisé sans interruption, abrite 182 tumulus, dont 16 portent des symboles maçonniques tels que le sablier, l’ouroboros, les fleurs, les griffes de lion ou le pavé à damier. La tombe d’Abraham de Meza Myerston, ornée d’une colonne commémorative, concentre plusieurs de ces symboles, illustrant l’importance de l’appartenance maçonnique, même dans l’au-delà.

Ce phénomène n’est pas unique au Venezuela. À Guadalajara, au Mexique, comme dans de nombreux cimetières à travers le monde, les pierres tombales révèlent des symboles maçonniques, non seulement comme marque d’appartenance, mais aussi comme témoignage de l’importance accordée à la fraternité. En Espagne, ces traces se retrouvent dans l’architecture quotidienne : sur les façades des maisons, les balcons, les linteaux ou les vitraux, voire dans les plans polygonaux d’églises flanquées de colonnes, rappelant les temples maçonniques. Ces détails, souvent discrets, invitent à une lecture attentive du paysage, où l’héritage maçonnique dialogue avec l’histoire séfarade.

Une symbiose culturelle et spirituelle

La franc-maçonnerie séfarade incarne une symbiose unique entre identité culturelle et quête spirituelle. Les Juifs séfarades, en rejoignant les loges, ont non seulement trouvé un espace d’intégration, mais ont également enrichi l’ordre maçonnique de leur héritage kabbalistique et de leur langue. Le ladino, langue des Séfarades d’Orient, a joué un rôle clé dans la cohésion des loges hispanophones, renforçant les liens entre membres d’origines diverses. Cette fraternité linguistique et culturelle a permis à la franc-maçonnerie de prospérer dans des contextes parfois hostiles, où les Juifs et les maçons étaient stigmatisés comme des menaces par les autorités religieuses et politiques.

Pourtant, cet héritage n’est pas sans défis. La transmission orale des traditions maçonniques, qu’il s’agisse des rituels ou des coutumes, a parfois conduit à leur oubli, comme dans le cas des pratiques alimentaires.

Un héritage vivant

La franc-maçonnerie dans le monde séfarade, du XVIIIe siècle à nos jours, illustre une histoire de résilience, de fraternité et de dialogue interculturel. Des premières loges fondées par des réfugiés aux symboles gravés dans les cimetières, cet ordre initiatique a offert aux communautés séfarades un espace de liberté et d’émancipation, tout en laissant une empreinte durable dans l’architecture, les traditions et les mémoires collectives.

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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