De notre confrère elnacional.com – Par Mario Múnera Muñoz
« Le problème du monde, c’est que les gens stupides sont certains de tout, et les gens intelligents sont pleins de doutes. »

Ces mots de Bertrand Russell résonnent comme une mise en garde intemporelle contre les pièges de la certitude absolue. Dans la continuité de notre réflexion sur la quête de vérité, cet article explore la tension entre certitude et doute, et leur rôle dans le chemin initiatique, en s’appuyant sur des perspectives philosophiques, historiques et spirituelles. À l’heure où le dogmatisme et le fanatisme continuent de marquer nos sociétés, comment la franc-maçonnerie, en particulier au sein de l’Ordre maçonnique mixte international Le Droit Humain, peut-elle nous guider vers une sagesse équilibrée, mêlant humilité et discernement ?
Suite de l’article d’hier que vous trouverez sur ce lien
L’illusion de la certitude : un obstacle à la fraternité

La certitude, lorsqu’elle devient inflexible, peut se transformer en un frein à l’épanouissement individuel et collectif. Comme l’illustre Russell, l’arrogance de croire « j’ai toujours raison » est l’apanage des dictateurs, non des leaders. Un véritable leader maçonnique, incarne une approche différente : il propose, écoute et analyse en équipe, favorisant le dialogue et la collaboration. La certitude, lorsqu’elle est érigée en dogme, devient l’ennemie du travail d’équipe, essentiel à la démarche maçonnique qui prône l’union pour le bien commun.
Le dogmatisme et le fanatisme, souvent nés d’une quête de sécurité psychologique, prospèrent sur des certitudes absolues. L’histoire en témoigne tragiquement : de la Sainte Inquisition, qui brûlait les hérétiques au nom de vérités religieuses, aux régimes totalitaires du XXe siècle – Hitler, Mussolini, Staline – qui ont semé la guerre et la souffrance pour imposer leurs idéaux, la certitude mal placée a causé des ravages. Ces exemples montrent que le problème n’est pas la certitude en soi, mais son maintien aveugle, dépourvu d’humilité et de remise en question.
L’humilité épistémologique : une arme contre le dogmatisme

L’humilité épistémologique, qui consiste à reconnaître les limites de notre savoir, est une discipline essentielle pour distinguer une connaissance valide d’une croyance infondée. Comme l’écrivait Thomas Hobbes dans Leviathan (1651), les êtres humains sont mus par un désir incessant de pouvoir, et la certitude devient souvent une arme pour asseoir ce pouvoir. Karl Popper, défenseur de la société ouverte, affirmait quant à lui que le dogmatisme étouffe la pensée critique, annihilant toute possibilité de progrès. Le danger réside non dans la croyance, mais dans l’étroitesse d’esprit, comme le soulignait Protagoras :
« La pire forme d’ignorance est d’être certain de ce que l’on ignore. »

Dans le bouddhisme, l’attachement aux opinions est considéré comme une source de souffrance. Cette idée trouve un écho dans le chemin initiatique maçonnique, où le doute est sacré. La vérité ne s’impose pas comme une révélation figée ; elle se découvre à travers une quête dynamique, faite d’exploration et de questionnement. Georges Ivanovitch Gurdjieff, mystique et créateur de la Quatrième Voie, allait jusqu’à dire que « le rêve des certitudes est le plus grand ennemi de l’éveil ». Pour le maçon, abandonner le besoin de certitudes absolues revient à retirer des feuilles sèches d’un étang, laissant place à la clarté de l’introspection.
La justice : entre certitude des principes et doute dans l’application

La justice humaine illustre parfaitement cette tension entre certitude et doute. Le Code d’Hammourabi, avec son principe d’« œil pour œil », était considéré comme juste en son temps, mais apparaît aujourd’hui comme une rigidité excessive. Comme l’expliquait Aristote, « l’équité corrige la rigidité des lois », tandis que John Rawls, dans sa théorie de la justice comme impartialité, soulignait que la justice ne repose pas sur une vérité absolue, mais sur une approximation raisonnée. Une justice humaine, imparfaite par nature, exige des principes clairs – comme l’égalité devant la loi – mais aussi une humilité dans leur application, prenant en compte les circonstances et les nuances.
Dans le cadre maçonnique, cette réflexion s’applique à la manière dont les loges abordent les questions éthiques et sociétales.
Le doute initiatique : une voie vers la sagesse
Sur le chemin initiatique, la certitude absolue est un obstacle, car elle ferme les portes du discernement. Le maçon, en quête de lumière, apprend à embrasser le doute comme un outil sacré. Comme le suggère l’adage hermétique
« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas »

la vérité n’est pas une loi immuable, mais une invitation à explorer les correspondances entre le microcosme et le macrocosme. Croire « je sais déjà » équivaut à stagner spirituellement, car, comme le souligne Gurdjieff, l’égo spirituel est un frein à l’éveil.
Le véritable initié ne craint pas le doute ; il redoute l’arrogance de penser qu’il n’y a plus rien à découvrir. Avant chaque méditation, le maçon est invité à se défaire de son besoin de certitudes, répétant mentalement :
« Je ne cherche pas des réponses, mais de la profondeur dans les questions. »
Cette démarche, empreinte d’humilité, permet de cultiver un équilibre entre certitude et doute, où la première donne du sens à l’action et le second garantit l’ouverture d’esprit.
Vers une sagesse dynamique

La certitude, lorsqu’elle est dénuée d’humilité, est un piège qui enferme l’esprit dans l’illusion de la vérité absolue. Le doute, loin d’être une faiblesse, est une force qui ouvre les portes de la découverte et de la fraternité. En franc-maçonnerie, cette dialectique entre certitude et doute est au cœur de la quête initiatique. Comme le souligne Protagoras, l’ignorance véritable réside dans la certitude aveugle.
En cultivant l’humilité et en embrassant le doute, le maçon s’engage sur un chemin dynamique, où la vérité ne s’impose pas, mais se révèle à travers la patience, le dialogue et la quête incessante de lumière.