Soir d’été, Grand Temple Pierre Brossolette archicomble, retransmission au Temple Franklin Roosevelt : la Grande Loge de France a choisi la clarté plutôt que la confidence. Sous le fronton de l’Hôtel de la GLDF, 8, rue Louis Puteaux (Paris (Paris 17e).

Jean-Raphaël Notton, Grand Maître tout récemment élu, a proposé un voyage en trois temps – « nous, vous, moi » – qui fut moins un discours qu’un acte d’initiation partagé. L’énoncé du titre, « Osez pousser les portes ! », prit d’emblée double sens : pousser celles du Temple, certes, mais surtout pousser les nôtres, ces portes intérieures qu’un simple symbole – un fil à plomb – peut faire descendre « du plus haut au plus intime ».

Nous l’avons entendu rappeler, avec une élégance souriante, que la Franc-Maçonnerie n’est pas un ciel uniforme mais un arc-en-ciel. La GLDF y incarne une couleur singulière : le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) comme méthode de travail, héritier des loges de métier qui surent, il y a trois siècles, passer « des murs à l’homme ». Ici, pas de catéchisme, mais une langue : la langue symbolique. Un fil à plomb, une équerre, un maillet deviennent des instruments d’élévation, parce que la recherche de sens – et la perfectibilité qui l’accompagne – repose sur la liberté de conscience. Jean-Raphaël Notton l’illustra d’une scène fraternelle où se côtoient un juif, un bouddhiste et « un goy » qui les invite à s’embrasser :
La GLDF n’impose pas de croire, elle demande de respecter.
Au second temps, le Grand Maître s’adressa aux profanes avec franchise. Ce qui nous différencie, dit-il, n’est ni le statut, ni l’érudition, ni la puissance sociale, mais « un acte incroyable qui s’appelle l’initiation ». Entrer en Loge, c’est consentir à la mort de l’état antérieur, à cette métamorphose que les Anciens figuraient par la transmutation – « transformer le plomb en or » – non des métaux, mais du cœur. On entre et l’on sort librement, on vient pour se connaître mieux afin d’aider mieux, car la vertu n’est pas un vernis moral : « la capacité de l’âme à faire le bien ». Dans un monde pressé, saturé d’instantanés, l’invitation maçonnique redevient révolution douce : retrouver le temps long, accepter le doute fécond, parler sans être jugé.


Puis vint le « moi », non pour se raconter, mais pour promettre de servir.
Jean-Raphaël Notton revendique des racines républicaines et une gouvernance par les valeurs. Gardien d’une tradition « plus que bicentenaire », il la veut protégée et transmise, donc vivante. Deux couples structurent sa feuille de route : tradition et modernité – la preuve par cette conférence publique et connectée – ; initiation et sécularisation – l’exemple d’Arnaud Beltrame ou de Pierre Brossolette rappelant qu’on n’engage pas l’Obédience dans la Cité, mais qu’on y porte des valeurs. À l’horizon s’esquissent une Déclaration de Lomé affirmant l’égalité et la fraternité avec les Obédiences sœurs d’Afrique, le renforcement des liens au sein de la « Grande Chaîne » des traditions, l’ouverture des Temples lors des Journées européennes du patrimoine, et une réflexion partagée sur la liberté de conscience comme méthode du vivre-ensemble.
Une devise, comme au temps des chevaliers

Au moment d’ouvrir son mandat, Jean-Raphaël Notton a choisi de s’inscrire dans une continuité chevaleresque : prendre une devise. Il rappela que, jadis, tout chevalier recevait son épée accompagnée d’une maxime intime, ligne de vie et d’honneur. Lyautey, « la joie de l’âme dans l’action » ; Pascal Paoli, « donner des amis » : autant de sentences qui condensent une destinée.
La sienne, dit-il, est inscrite dans le langage même des alchimistes : V.I.T.R.I.O.L. — Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem.

Visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. Autrement dit, descends en toi-même, explore les profondeurs de ton être, et tu découvriras la lumière qui transforme. Dans la bouche du Grand Maître, cette antique formule prend valeur de serment : son rôle sera de créer les conditions pour que chaque frère, chaque loge, puisse accomplir ce voyage intérieur. La chevalerie spirituelle rejoint l’initiation maçonnique : le combat n’est pas extérieur, mais intime ; la victoire n’est pas sur l’autre, mais sur soi.
Une soirée placée sous le signe de l’Universel

La solennité du moment fut accrue par deux présences qui n’étaient pas de pure courtoisie, mais de sens. D’abord celle du Grand Maître de la Grande Loge Unie du Cameroun, salué avec chaleur. Sa présence donnait chair à ce « réseau écossais » vivant que la GLDF tisse de longue date sur les deux rives de l’Atlantique et de la Méditerranée. À l’évocation d’une Déclaration de Lomé, à préparer de concert avec nos Frères africains, l’intention se fit claire : dire haut et fraternellement que l’heure des tutelles est close, et que nous voulons l’égalité en actes, la réciprocité des regards, l’amitié des œuvres. Non une diplomatie de façade, mais une éthique : porter ensemble la triade maçonnique – liberté, égalité, fraternité – hors de tout paternalisme, à hauteur d’Homme et de Loge.
Autre présence majeure, et symbole puissant, celle de Très Respectable Sœur Liliane Mirville, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France.

Elle fut accueillie comme on accueille une sœur aînée et une alliée. Sa venue n’était pas un simple hommage : elle ouvrait déjà une porte sur le 6 novembre, date annoncée d’une conférence publique commune GLDF-GLFF au Grand Temple Pierre Brossolette. Il s’agira d’y célébrer les 80 ans de l’Obédience féminine née des Loges d’adoption de la GLDF – histoire partagée, fidélités croisées, différences assumées, convergences fécondes. On ne commémorera pas un passé figé, on redira une généalogie : ces « loges d’adoption » où des femmes, d’abord accueillies, voulurent – et surent – prendre leur indépendance, imposant par la qualité de leur travail ce qui devait devenir une évidence de justice et d’intelligence. En annonçant cette soirée, le Grand Maître ne programma pas un événement : il posa un jalon, rappelant que la Tradition n’est pas une relique mais un passage de flambeau.

Et maintenant ?
Quand la salle retombe dans le silence, que demeure-t-il ? Une invitation, simple et exigeante, mais aussi lumineuse : oser. Oser franchir la porte d’un Temple, oser entrouvrir celle de sa chambre intérieure, oser, dans la Cité comme en Loge, rester fidèle au vrai, au juste et au fraternel. À la Grande Loge de France, il n’est nullement question de promettre des pouvoirs mystérieux ou des raccourcis vers le bonheur ; il s’agit de proposer une méthode, une langue, un chemin. Ceux qui l’empruntent ne prétendent pas à la perfection : ils acceptent seulement de devenir, chaque jour, un peu meilleurs. C’est peu, c’est immense.
Dès la rentrée, les Ateliers s’attacheront à formuler un message contemporain dans l’esprit de Lausanne – liberté de conscience, primauté de l’esprit, hospitalité de la différence –, tout en poursuivant l’ancrage international et la préparation de la rencontre du 6 novembre. Les profanes, eux, savent désormais où frapper : 8, rue Louis Puteaux. La suite dépendra de leur courage et de leur désir de lumière.
L’écho de cette soirée peut se résumer en une seule image : celle d’un seuil. Le seuil d’un Temple, celui de la conscience, celui de l’histoire commune des Maçons et des Maçonnes, celui, enfin, de la fraternité universelle.
« Osez pousser les portes ! », lança Jean-Raphaël Notton. Ce n’était pas qu’une exhortation : c’était une devise. Une devise de chevalier, mais plus encore une devise d’homme du XXIᵉ siècle, rappelant que toute aventure spirituelle commence par un geste humble et décisif : ouvrir une porte !
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