mer 27 août 2025 - 10:08

Quand la Grande Loge Féminine de Roumanie condamne avant le procès

Une convocation transformée en exposition publique

Le 24 août 2025, la page officielle Marea Loja Feminina a Romaniei a publié sur Facebook une convocation adressée à l’une de ses sœurs, Ionela Cuciureanu. Le document, daté du 1er août et signé par Daniela Popa, présidente de la Chambre de justice, l’invite à comparaître le 30 août devant le tribunal maçonnique de l’Obédience.

Mais au-delà du texte lui-même, déjà problématique par sa mise en ligne, c’est le titre de la publication qui a sidéré :

« Grandeur et décadence !
 Chancelière de devenir une accusée comme l’amour fraternel est mal compris ! »

Un intitulé solennel, presque théâtral, qui jette l’opprobre sur Ionela avant même que son procès ne s’ouvre. Ce choix de mots, publié sur un canal officiel, s’apparente à une condamnation publique anticipée et transforme une sœur en symbole de déchéance.

Une sentence avant l’audience

La lettre rappelle qu’Ionela est suspendue de toutes ses activités maçonniques depuis le 9 juin 2025, soit trois mois avant son procès. L’association de cette suspension à un commentaire cinglant publié sur la page officielle constitue une atteinte manifeste à sa réputation.

Ce qui devrait relever d’une procédure interne et confidentielle est exposé sur la place publique, accompagné d’un jugement de valeur qui fragilise définitivement la présomption d’innocence.

L’humiliation publique comme méthode

Dans la tradition maçonnique, la justice interne vise à préserver la dignité de chacun, même lorsqu’il existe des désaccords profonds. Ici, le procédé inverse est adopté : la convocation est présentée comme une pièce à conviction pour la foule, et le titre de la publication agit comme une sentence morale.

En qualifiant Ionela de figure de « décadence », la Grande Loge Féminine de Roumanie dépasse largement le cadre de l’information interne. Elle procède à une stigmatisation personnelle devant un public profane, ce qui est en totale contradiction avec les principes de discrétion, de respect et de fraternité.

Réactions : un rejet massif

La publication a déclenché un torrent de critiques, en Roumanie comme à l’étranger. Les voix s’élèvent d’une même tonalité :

  • Cette affaire aurait dû rester strictement interne, afin de ne pas nuire à l’image de l’Ordre.
  • Publier un document nominatif, à charge, avant toute décision est jugé « inadmissible », contraire au principe du contradictoire.
  • Plusieurs rappellent qu’une convocation n’est pas un jugement : la rendre publique, accompagnée d’accusations graves, constitue une violation de la dignité et de la présomption d’innocence.
  • D’autres encore dénoncent un traitement dégradant, contraire aux lois du pays comme aux règles maçonniques, notamment l’interdiction de dévoiler l’identité des membres impliqués dans une procédure interne.

En somme, le choix de rendre cette convocation publique est perçu non comme un acte de transparence, mais comme une dégradation volontaire d’une sœur et une faute institutionnelle.

Le profil de la sœur : une voix libre et engagée

Ionela Cuciureanu

Au-delà du prisme de son statut disciplinaire, il est essentiel de souligner le parcours remarquable de cette sœur, figure respectée dans plusieurs cercles maçonniques internationaux.

Elle est l’auteure et animatrice d’un blog dédié à la réflexion critique sur la franc-maçonnerie, l’art et la société. Ce blog, espace de libre-pensée maçonnique, rassemble articles, interviews, symbolisme et actualités internationales, toujours sous une plume engagée, sensible et érudite Hermana Spes.

Par ailleurs, elle occupe désormais la fonction de Secrétaire Générale du CLIPSAS, la Confédération maçonnique libérale internationale, ce qui fait d’elle une personnalité centrale sur la scène maçonnique mondiale g-o-s.org.

Sa convocation publique ne touche donc pas une inconnue, mais une sœur engagée, dont la légitimité intellectuelle et institutionnelle était reconnue par ses pairs.

Le regard du droit roumain et européen

En Roumanie, la diffamation est dépénalisée depuis 2014, mais une personne dont l’image est salie publiquement peut saisir un tribunal civil et obtenir réparation pour préjudice moral. Dans ce cas précis, Ionela pourrait invoquer non seulement la diffusion de la convocation, mais aussi le libellé dénigrant qui l’accompagnait.

La jurisprudence européenne est claire : l’absence d’intérêt public manifeste rend ce type de publication disproportionnée et attentatoire à la réputation.

Une fracture irréversible

En choisissant de publier la convocation d’Ionela sous le titre provocateur « Grandeur et décadence », la Grande Loge Féminine de Roumanie a franchi une limite : celle qui sépare la justice fraternelle du procès médiatique humiliant.

Cette atteinte à l’image d’une sœur dépasse le cadre du droit maçonnique : elle s’inscrit dans une logique de discrédit public, contraire tant à l’éthique de l’Ordre qu’aux droits fondamentaux de la personne. Ionela devient, malgré elle, le symbole d’une dérive où l’amour fraternel, au lieu d’être protégé, est ouvertement tourné en dérision.

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