Ce numéro consacré aux mythes, contes et légendes et paru à la veille du Convent 2025, s’avance tel un vaisseau de mémoire et d’imaginaire, une loge lumineuse où se conjuguent l’érudition, la spiritualité et la quête initiatique dans une même respiration fraternelle. Il ne se donne pas comme un simple périodique, mais comme une expérience de pensée, un espace où la parole symbolique circule entre disciplines et traditions, où l’histoire, la théologie, l’ethnologie et l’art se nouent dans un seul et même élan. Lire ces pages, c’est s’engager dans une forêt profonde, dont les clairières successives dévoilent des figures, des récits et des archétypes qui se répondent de civilisation en civilisation, de rite en rite.

L’éditorial rappelle avec force que le mythe est la première langue de l’humanité. Il n’est pas une illusion mais une vérité en images, une architecture de récits qui fonde et qui relie. De cette clé de lecture procède la richesse du volume. Annick Drogou distingue avec clarté le mythe, la fable, le conte et la légende, et cette mise en lumière agit comme un seuil initiatique. Elle ne se contente pas de classer, elle nous restitue l’énergie propre des mots, leur capacité à féconder l’imaginaire et à nourrir une mémoire vivante.

Thomas Römer, philologue et bibliste de renommée mondiale, titulaire de la chaire des Milieux bibliques au Collège de France, ouvre la dimension biblique. Dans son entretien, il montre combien la Bible elle-même est une bibliothèque plurielle, fruit de réécritures successives et de transmissions toujours réinterprétées. Ses lectures du Déluge, de Babel ou du premier Temple révèlent un entrelacs où l’héritage mésopotamien s’inscrit dans une exigence nouvelle, éthique et spirituelle. Pour nous, francs-maçons, cette perspective est capitale : elle enseigne que la parole révélée ne peut être fixée dans un dogme, qu’elle est une respiration permanente, une invitation à réinventer la tradition à la lumière du présent.


Michel Meley, président du Grand Conseil de la Fédération française du Droit Humain et membre du Suprême Conseil de l’Ordre, inscrit ce dossier dans le temps long de l’histoire maçonnique. Son étude sur le Convent de Lausanne éclaire l’événement fondateur de 1875 comme une tentative d’universalité, à la fois ambitieuse et inachevée, où se joua la tension entre unité et liberté. En revisitant ses décisions et ses suites, il souligne combien cette quête demeure actuelle : dépasser les exclusions, respecter la diversité des approches spirituelles, et bâtir une maçonnerie fidèle à son esprit universel. Ses pages résonnent comme un appel à l’union dans la fraternité, au-delà des querelles dogmatiques, et rappellent que l’initiation véritable est toujours un travail de concorde.


Pierre Pelle Le Croisa, auteur prolifique et passeur infatigable, retrace la présence des personnages mythiques dans la franc-maçonnerie. Ces figures – héros antiques, chevaliers, sages et initiés – sont autant de miroirs de l’âme maçonnique. Ils nous apprennent à lire nos propres épreuves et nos renaissances dans le grand livre de l’imaginaire. L’érudit, mais aussi le conteur, nous invite à reconnaître dans ces archétypes les jalons de notre chemin intérieur.
Jacques Samouelian, philosophe du langage, poursuit quant à lui une méditation sur le muthos et le logos. Sa réflexion nous rappelle que la franc-maçonnerie n’oppose pas la raison au récit, mais les marie en une alliance féconde. Le logos éclaire, le mythe fonde : ensemble, ils dessinent la voie initiatique où le discours rationnel ne détruit pas l’imaginaire, mais le porte à une vérité plus haute.
Nadine Wanono, anthropologue et cinéaste, nous transporte vers les cosmogonies dogons, où l’homme, la nature et le cosmos sont liés par des récits transmis oralement. Ses recherches nous font entendre d’autres voix, d’autres rythmes, d’autres visions du sacré. Par son regard, la revue s’élargit aux sagesses africaines, qui dialoguent avec les mythes bibliques, grecs ou maçonniques, pour composer une symphonie véritablement universelle.
Autour de ces grandes figures gravitent d’autres contributions qui élargissent encore le
champ : la moralisation du mythe des sirènes rappelle combien l’imaginaire peut servir d’éducation spirituelle ; les contes soufis révèlent la multiplicité des sens cachés, toujours porteurs d’énigmes et d’éveil ; Wagner incarne l’alliance de l’art et du mythe, où la musique sublime la légende ; l’ésotérisme des contes de fées dévoile les initiations cachées derrière les récits de l’enfance ; des méditations littéraires comme La dentelle de Clotaire ou L’autre Alice prouvent que le mythe s’invente encore aujourd’hui, dans de nouvelles formes d’écriture.
Ainsi se compose une véritable cathédrale de papier. Les auteurs ne livrent pas seulement des analyses : ils offrent des clefs, ils transmettent des flammes. Thomas Römer et sa philologie biblique, Pierre Pelle Le Croisa et son érudition maçonnique, Jacques Samouelian et sa philosophie du langage, Michel Meley et sa profondeur initiatique, Annick Drogou et sa rigueur, Nadine Wanono et sa connaissance des traditions orales, forment ensemble une constellation où se rejoignent l’Orient et l’Occident, l’Antiquité et la modernité, la science et l’art.

Ce numéro de Chemins de Traverse nous enseigne que les mythes ne sont pas derrière nous mais en nous. Ils sont les pierres vivantes de notre édifice intérieur, les récits qui nous façonnent et nous guident. Les lire, c’est recevoir une lumière, mais c’est aussi se préparer à la transmettre, afin que la chaîne d’or de la mémoire continue de vibrer dans le temple invisible de l’humanité. Plus qu’un dossier, cette revue est une initiation silencieuse, un compagnonnage spirituel. Elle nous rappelle que la franc-maçonnerie, par ses rituels et ses symboles, n’est rien d’autre que la réactualisation de cette parole mythique universelle, afin que chacun, homme ou femme, croyant ou libre chercheur, puisse apporter sa pierre à la construction d’un temple de fraternité.
Chemins de Traverse – Mythes, Contes et Légendes
Revue Maçonnique de la Fédération française du Droit Humain
Éditions Numérilivre, N°3, juillet 2025, 88 pages, 22,00 €
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