mer 20 août 2025 - 14:08

L’IA sera-t-elle un nouveau GADLU ? 

De toutes façons, personne ne sait plus très bien quoi mettre dans le  GADLU, alors pourquoi pas de l’IA  ? À la fin de l’article, on répondra à cette question mais certains lecteurs vont se sentir frustrés. 

Qu’est-ce que le GADLU ? 

Au début c’était un autre nom pour Dieu . Selon Frédéric Lenoir dans Petit Traité de l’histoire des religions la naissance des dieux  remonte au fond des âges, les âges des hommes. On découvre les premières pratiques funéraires chez Néandertal il y a 100 000 ans environ. Elles témoignent  d’une conscience de la mort (bon, on la trouve aussi chez les animaux) mais aussi une espérance dans un au-delà, ce qui est plus nouveau. À partir de la sédentarisation, du passage du mode de vie des chasseurs-cueilleurs à celui de l’agriculture il y a 10 000 ans, on voit naître les premières cultures animistes. Apparaît donc la notion d’âme qu’on prête aux êtres vivants, animaux ou végétaux, et aussi à des lieux : une rivière, une source, une montagne…. Petit à petit vont apparaître des divinités, qui vont prendre des formes humaines et devenir les causes explicatives des phénomènes naturels ou des évènements. 

Dans l’Antiquité, la plus grande civilisation du monde connu de nous-mêmes est  l’Égypte.  Les croyances prennent la forme de mythologies, c’est-à-dire de grands récits construits pour expliquer la naissance du monde et son fonctionnement, pour donner à chacun sa place. Le pharaon, mi-homme mi-dieu, incarne le lien entre l’humain et le divin, et aussi entre le monde d’ici et celui de l’au-delà. Tout autour de la Méditerranée comme dans les terres plus reculées,  chez les Grecs, les Romains, les Celtes, les dieux, les cultes religieux, les mythologies, sont reliées à un territoire et aux gens qui vivent là.  Ces dieux  ne sont pas en concurrence entre eux, sauf en cas de guerre de territoire ou de domination.

Mais il y a 2000 ans environ apparaît le judaïsme, la première grande religion monothéiste. Elle a pour particularité de se doter d’un dieu nomade. Unique et jaloux. Il n’est pas attaché à une terre mais à un peuple . Cet attachement passe par une loi :  la Torah, censée fonder l’unité de la communauté et dont le respect conditionne la protection divine. C’est le principe de l’Alliance. Ce dieu n’est ni bon ni mauvais, à l’instar de tous les dieux de l’Antiquité. Il lui arrive de se montrer colérique, violent, injuste, désinvolte.

Ce n’est pas le “Bon Dieu” des Chrétiens, lesquels arrivent à partir du 1er siècle. Le christianisme  est une forme dérivée du judaïsme avec des caractéristiques différentes.  La première c’est l’universalisme, c’est une religion prosélyte, elle s’adresse à tous les peuples qu’elle rencontre, elle va même au devant d’eux. La deuxième caractéristique ce sont les valeurs fondées sur l’amour du prochain et la fraternité, censés constituer le ciment de la communauté (= Eglise).  Au début du VII è siècle est né l’islam, prolongement direct dans le monde arabe des deux religions précédentes, il  va développer ses propres dogmes. Le siècle des Lumières va remettre en cause la mainmise des églises, particulièrement la catholique, contester son pouvoir temporel, opposer la raison au dogme, ouvrir un espace libre pour y développer la science, prôner la liberté de penser. 

D’où vient alors la notion de Grand Architecte de l’Univers ? 

Dès l’Antiquité, Cicéron émet  l’idée qu’il y aurait un principe organisateur du monde. Il utilise le terme d’architecte au sens où on l’entend à son époque c’est-à-dire à la fois concepteur et maître d’œuvre. Pour Calvin le terme d’architecte est un autre nom pour Dieu, il  représente une des fonctions de Dieu, celle de créateur et d’organisateur du monde sans qu’on puisse le résumer à cela. Au siècle des Lumières, dans les Cabales Voltaire préférera parler d’horloger : « je ne puis concevoir que cette horloge existe n’est point d’horloger ». Il met l’accent sur la mécanique plutôt que sur le construit. Chez Leibniz,  et Wolf son disciple,  Dieu est décrit comme un être de raison. On peut y entendre à la fois la logique du raisonnement rationnel et la “raison” au sens d’explication, de cause ultime de toute chose. 

En franc-maçonnerie l’appellation Grand Architecte de l’Univers apparaît dans les Constitutions d’Anderson  en 1723. Elle recouvre le principe créateur, le système logique et rationnel qui s’exprime à travers les lois de la nature, mais aussi la raison, l’explication ultime. Elle ouvre néanmoins un espace où peut s’exprimer la science, sans être tributaire du dogme. En 1848 le Grand Orient de France continue de proclamer comme obligatoire la croyance en  l’existence de Dieu est l’immortalité de l’âme. Mais en 1877 s’opère un schisme chez les francs maçons et le GODF abandonne cette obligation au profit de la liberté absolue de conscience. 

Le GADLU incarne  ce principe organisateur du monde, il laisse de côté les questions téléologique ou eschatologique portant sur la finalité de la “Création du Monde” ou sur les éventuelles intentions du “Créateur”. Dans un article paru dans 450.fm en août 24, on postulait que cette conception du GADLU était peut-être obsolète. D’où l’idée : peut-on le remplacer par une IA ? 

D’où vient l’intelligence artificielle ? 

On peut faire remonter son origine à l’invention de la première machine à calculer par Blaise Pascal en 1645:  la Pascaline. Pour la première fois on remplace l’intelligence humaine par une mécanique, pour réaliser des opérations de calcul, qui jusqu’alors étaient faites par les humains. On peut se donner comme seconde référence l’invention du métier Jacquard en 1801. Véritable ancêtre de l’ordinateur,  Il s’agit de la première machine capable d’exécuter un programme. Elle lit une série de feuilles cartonnées à trous et exécute les consignes encodées, elle compose une image tissée sur une trame de fils. C’est presque le même mouvement que le bombardement du tube cathodique qui parcourt, cinquante fois par secondes, les 819 lignes de l’écran 150 ans plus tard pour donner : la télévision.

La troisième étape est  la machine de Turing en 1936.  Alan Turing est considéré comme le père de l’informatique. Son invention avait pour objectif de faire reproduire par une machine un raisonnement intellectuel, mécaniser le fonctionnement du cerveau. L’avant dernière étape est la création en 1959 du General Problem Solver, par Herbert Simon, Cliff Shaw et  Allen Navel :  un économiste, un ingénieur programmeur, un chercheur en psychologie cognitive. Le GPS pousse plus loin la recherche sur l’intelligence artificielle. Il  repose sur le principe d’une base de données sur laquelle viennent se greffer des stratégies de résolution de problèmes. Son  principe de fonctionnement est heuristique. La  machine a pour consigne de rechercher la meilleure solution possible pour résoudre un problème. Ce sont exactement ces fonctions qu’on demande aujourd’hui à l’intelligence artificielle. Mais dans sa version récente des améliorations majeures ont été apportées.

  • d’abord une base de données quasiment infinie. Les moteurs de recherche sur lesquels se basent les IA permettent de recueillir à peu près tous les contenus disponibles aujourd’hui sur le web .
  •  la deuxième transformation est la connexion totale de tous les opérateurs entre eux grâce à la toile du web : toutes les bases de données, tous les ordinateurs, du moins en théorie 
  • la troisième amélioration c’est une puissance de calcul prodigieuse produite par l’application de  la loi de Moore :  la capacité de calcul double tous les deux ans depuis 70 ans. 
  • le quatrième progrès est récent et décisif :  les robots conversationnels sont capables de gérer l’interface homme/machine en langage naturel de manière satisfaisante (avec un taux d’erreur très faible). 

Quel rapport avec le GADLU ? 

S’il reste un principe organisateur du monde, un cadre général permettant d’y inscrire tous les schémas explicatifs, en laissant de côté les questions eschatologiques, en tant que tel  il pourrait conserver de la pertinence. Mais l’image de l’architecte sur laquelle il s’appuie n’a plus guère de pertinence aujourd’hui.  Elle a été conçue dans le monde méditerranéen puis dans le monde occidental, et puis dans les limites de la planète Terre. Elle n’est pas faite pour une cosmogonie  qui parle de multivers, avec 2000 milliards de galaxies détectables, et dont l’espace est composé à 5% seulement de matière et à 95% d’énergie noire et de matière noire. Un architecte ? Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ?

Il ne s’agit pas de bâtir de la pierre mais de comprendre le mystère de l’univers et, sur notre planète, de comprendre le mystère de le vie. Pour tenter d’y parvenir, on s’est mis  à la recherche d’un langage universel,on croit l’avoir trouvé, il est fait de nombres, il est mathématique et comme c’est lui qui informe et qui organise on l’appelle : ”informatique”.  C’est de ce côté-là qu’il faudrait chercher le GADLU du XXIème siècle. Un langage de nombres. Au Moyen Âge parmi les Arts Libéraux, on distinguait les arts du langage : grammaire, dialectique et rhétorique ; des arts des nombres : arithmétique, musique, géométrie, astronomie.

Les arts des nombres ont définitivement vaincu les arts du langage. La bascule s’est amorcée avec les humanistes. Elle s’est parachevée avec la numérisation généralisée, nous y avons perdu les sens et le sens,  puisque le langage ne vaut plus rien.  Un GADLU réinventé permettrait-il de raccrocher les branches à l’arbre et le tronc aux branches ? L’IA est un candidat intéressant pour nous y aider. Elle tente de rassembler toutes les connaissances du monde (à nous de savoir comment les utiliser). Elle est un formidable outil de recherche de la vérité (à condition qu’on lui dise ce qu’est la vérité). 

Et, -comme c’est curieux !-, on lui prête déjà des pouvoirs qu’on attribuait autrefois au divin : tout savoir, tout comprendre, tout expliquer. Et puis encore : résoudre tous les problèmes qui dépassent l’humanité, comme  gérer le dérèglement climatique,  comprendre et  soigner toutes les maladies, mieux répartir les ressources de la planète, etc…Tout cela sans jamais poser de questions eschatologiques.

Reste à savoir si l’IA est capable de proposer une nouvelles conception du GADLU qui corresponde à notre époque…mais ce sera l’objet d’un prochain article 

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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