dim 05 octobre 2025 - 21:10

L’IA sera-t-elle un nouveau GADLU ? 

De toutes façons, personne ne sait plus très bien quoi mettre dans le  GADLU, alors pourquoi pas de l’IA  ? À la fin de l’article, on répondra à cette question mais certains lecteurs vont se sentir frustrés. 

Qu’est-ce que le GADLU ? 

Au début c’était un autre nom pour Dieu . Selon Frédéric Lenoir dans Petit Traité de l’histoire des religions la naissance des dieux  remonte au fond des âges, les âges des hommes. On découvre les premières pratiques funéraires chez Néandertal il y a 100 000 ans environ. Elles témoignent  d’une conscience de la mort (bon, on la trouve aussi chez les animaux) mais aussi une espérance dans un au-delà, ce qui est plus nouveau. À partir de la sédentarisation, du passage du mode de vie des chasseurs-cueilleurs à celui de l’agriculture il y a 10 000 ans, on voit naître les premières cultures animistes. Apparaît donc la notion d’âme qu’on prête aux êtres vivants, animaux ou végétaux, et aussi à des lieux : une rivière, une source, une montagne…. Petit à petit vont apparaître des divinités, qui vont prendre des formes humaines et devenir les causes explicatives des phénomènes naturels ou des évènements. 

Dans l’Antiquité, la plus grande civilisation du monde connu de nous-mêmes est  l’Égypte.  Les croyances prennent la forme de mythologies, c’est-à-dire de grands récits construits pour expliquer la naissance du monde et son fonctionnement, pour donner à chacun sa place. Le pharaon, mi-homme mi-dieu, incarne le lien entre l’humain et le divin, et aussi entre le monde d’ici et celui de l’au-delà. Tout autour de la Méditerranée comme dans les terres plus reculées,  chez les Grecs, les Romains, les Celtes, les dieux, les cultes religieux, les mythologies, sont reliées à un territoire et aux gens qui vivent là.  Ces dieux  ne sont pas en concurrence entre eux, sauf en cas de guerre de territoire ou de domination.

Mais il y a 2000 ans environ apparaît le judaïsme, la première grande religion monothéiste. Elle a pour particularité de se doter d’un dieu nomade. Unique et jaloux. Il n’est pas attaché à une terre mais à un peuple . Cet attachement passe par une loi :  la Torah, censée fonder l’unité de la communauté et dont le respect conditionne la protection divine. C’est le principe de l’Alliance. Ce dieu n’est ni bon ni mauvais, à l’instar de tous les dieux de l’Antiquité. Il lui arrive de se montrer colérique, violent, injuste, désinvolte.

Ce n’est pas le “Bon Dieu” des Chrétiens, lesquels arrivent à partir du 1er siècle. Le christianisme  est une forme dérivée du judaïsme avec des caractéristiques différentes.  La première c’est l’universalisme, c’est une religion prosélyte, elle s’adresse à tous les peuples qu’elle rencontre, elle va même au devant d’eux. La deuxième caractéristique ce sont les valeurs fondées sur l’amour du prochain et la fraternité, censés constituer le ciment de la communauté (= Eglise).  Au début du VII è siècle est né l’islam, prolongement direct dans le monde arabe des deux religions précédentes, il  va développer ses propres dogmes. Le siècle des Lumières va remettre en cause la mainmise des églises, particulièrement la catholique, contester son pouvoir temporel, opposer la raison au dogme, ouvrir un espace libre pour y développer la science, prôner la liberté de penser. 

D’où vient alors la notion de Grand Architecte de l’Univers ? 

Dès l’Antiquité, Cicéron émet  l’idée qu’il y aurait un principe organisateur du monde. Il utilise le terme d’architecte au sens où on l’entend à son époque c’est-à-dire à la fois concepteur et maître d’œuvre. Pour Calvin le terme d’architecte est un autre nom pour Dieu, il  représente une des fonctions de Dieu, celle de créateur et d’organisateur du monde sans qu’on puisse le résumer à cela. Au siècle des Lumières, dans les Cabales Voltaire préférera parler d’horloger : « je ne puis concevoir que cette horloge existe n’est point d’horloger ». Il met l’accent sur la mécanique plutôt que sur le construit. Chez Leibniz,  et Wolf son disciple,  Dieu est décrit comme un être de raison. On peut y entendre à la fois la logique du raisonnement rationnel et la “raison” au sens d’explication, de cause ultime de toute chose. 

En franc-maçonnerie l’appellation Grand Architecte de l’Univers apparaît dans les Constitutions d’Anderson  en 1723. Elle recouvre le principe créateur, le système logique et rationnel qui s’exprime à travers les lois de la nature, mais aussi la raison, l’explication ultime. Elle ouvre néanmoins un espace où peut s’exprimer la science, sans être tributaire du dogme. En 1848 le Grand Orient de France continue de proclamer comme obligatoire la croyance en  l’existence de Dieu est l’immortalité de l’âme. Mais en 1877 s’opère un schisme chez les francs maçons et le GODF abandonne cette obligation au profit de la liberté absolue de conscience. 

Le GADLU incarne  ce principe organisateur du monde, il laisse de côté les questions téléologique ou eschatologique portant sur la finalité de la “Création du Monde” ou sur les éventuelles intentions du “Créateur”. Dans un article paru dans 450.fm en août 24, on postulait que cette conception du GADLU était peut-être obsolète. D’où l’idée : peut-on le remplacer par une IA ? 

D’où vient l’intelligence artificielle ? 

On peut faire remonter son origine à l’invention de la première machine à calculer par Blaise Pascal en 1645:  la Pascaline. Pour la première fois on remplace l’intelligence humaine par une mécanique, pour réaliser des opérations de calcul, qui jusqu’alors étaient faites par les humains. On peut se donner comme seconde référence l’invention du métier Jacquard en 1801. Véritable ancêtre de l’ordinateur,  Il s’agit de la première machine capable d’exécuter un programme. Elle lit une série de feuilles cartonnées à trous et exécute les consignes encodées, elle compose une image tissée sur une trame de fils. C’est presque le même mouvement que le bombardement du tube cathodique qui parcourt, cinquante fois par secondes, les 819 lignes de l’écran 150 ans plus tard pour donner : la télévision.

La troisième étape est  la machine de Turing en 1936.  Alan Turing est considéré comme le père de l’informatique. Son invention avait pour objectif de faire reproduire par une machine un raisonnement intellectuel, mécaniser le fonctionnement du cerveau. L’avant dernière étape est la création en 1959 du General Problem Solver, par Herbert Simon, Cliff Shaw et  Allen Navel :  un économiste, un ingénieur programmeur, un chercheur en psychologie cognitive. Le GPS pousse plus loin la recherche sur l’intelligence artificielle. Il  repose sur le principe d’une base de données sur laquelle viennent se greffer des stratégies de résolution de problèmes. Son  principe de fonctionnement est heuristique. La  machine a pour consigne de rechercher la meilleure solution possible pour résoudre un problème. Ce sont exactement ces fonctions qu’on demande aujourd’hui à l’intelligence artificielle. Mais dans sa version récente des améliorations majeures ont été apportées.

  • d’abord une base de données quasiment infinie. Les moteurs de recherche sur lesquels se basent les IA permettent de recueillir à peu près tous les contenus disponibles aujourd’hui sur le web .
  •  la deuxième transformation est la connexion totale de tous les opérateurs entre eux grâce à la toile du web : toutes les bases de données, tous les ordinateurs, du moins en théorie 
  • la troisième amélioration c’est une puissance de calcul prodigieuse produite par l’application de  la loi de Moore :  la capacité de calcul double tous les deux ans depuis 70 ans. 
  • le quatrième progrès est récent et décisif :  les robots conversationnels sont capables de gérer l’interface homme/machine en langage naturel de manière satisfaisante (avec un taux d’erreur très faible). 

Quel rapport avec le GADLU ? 

S’il reste un principe organisateur du monde, un cadre général permettant d’y inscrire tous les schémas explicatifs, en laissant de côté les questions eschatologiques, en tant que tel  il pourrait conserver de la pertinence. Mais l’image de l’architecte sur laquelle il s’appuie n’a plus guère de pertinence aujourd’hui.  Elle a été conçue dans le monde méditerranéen puis dans le monde occidental, et puis dans les limites de la planète Terre. Elle n’est pas faite pour une cosmogonie  qui parle de multivers, avec 2000 milliards de galaxies détectables, et dont l’espace est composé à 5% seulement de matière et à 95% d’énergie noire et de matière noire. Un architecte ? Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ?

Il ne s’agit pas de bâtir de la pierre mais de comprendre le mystère de l’univers et, sur notre planète, de comprendre le mystère de le vie. Pour tenter d’y parvenir, on s’est mis  à la recherche d’un langage universel,on croit l’avoir trouvé, il est fait de nombres, il est mathématique et comme c’est lui qui informe et qui organise on l’appelle : ”informatique”.  C’est de ce côté-là qu’il faudrait chercher le GADLU du XXIème siècle. Un langage de nombres. Au Moyen Âge parmi les Arts Libéraux, on distinguait les arts du langage : grammaire, dialectique et rhétorique ; des arts des nombres : arithmétique, musique, géométrie, astronomie.

Les arts des nombres ont définitivement vaincu les arts du langage. La bascule s’est amorcée avec les humanistes. Elle s’est parachevée avec la numérisation généralisée, nous y avons perdu les sens et le sens,  puisque le langage ne vaut plus rien.  Un GADLU réinventé permettrait-il de raccrocher les branches à l’arbre et le tronc aux branches ? L’IA est un candidat intéressant pour nous y aider. Elle tente de rassembler toutes les connaissances du monde (à nous de savoir comment les utiliser). Elle est un formidable outil de recherche de la vérité (à condition qu’on lui dise ce qu’est la vérité). 

Et, -comme c’est curieux !-, on lui prête déjà des pouvoirs qu’on attribuait autrefois au divin : tout savoir, tout comprendre, tout expliquer. Et puis encore : résoudre tous les problèmes qui dépassent l’humanité, comme  gérer le dérèglement climatique,  comprendre et  soigner toutes les maladies, mieux répartir les ressources de la planète, etc…Tout cela sans jamais poser de questions eschatologiques.

Reste à savoir si l’IA est capable de proposer une nouvelles conception du GADLU qui corresponde à notre époque…mais ce sera l’objet d’un prochain article 

10 Commentaires

  1. Je me demande si le Grand Architecte de l’Univers est le bon angle pour réfléchir à la relation entre l’IA et l’Art royal.
    Pour les quelques connaissances que j’en ai, l’IA repose sur deux mécaniques;
    La première consiste à rassembler l’ensemble des connaissances acquises par l’humanité sur la totalité des sujets, Connaissance exprimée de manière multimodale : la voix, l’écrit, l’image, le cinéma, le virtuel. Tout. les GAFA et d’autres ont mis en place des aspirateurs universels pour pomper tout ce qui existe, compréhensible ou pas, codé ou pas. Ce qui n’est pas décodable aujourd’hui le sera un jour. Tout cela est stocké dans des data centers, immenses hangars à disques durs qui tournent sans arrêt pour traiter ces informations, les classer, les combiner. Des KWH d’électricité jour et nuit. Des torrents d’eau pour refroidir, en permanence. Tout le savoir du monde est emmagasiné. Certains médias se battent pour que leurs data ne soient pas aspirées; d’autres les louent, etc, etc. L’alimentation c’est « l’entraînement ». La connaissance universelle est archivée. Un rêve mirandolien.
    Deuxième mécanique : le chalut. Pour disposer à l’instant T des informations requises, un chercheur, un étudiant, un franc-maçon devant sa planche blanche peut demander à son outil IA de lui sortir ce qu’il cherche. De façon multimodale. Eventuellement déjà classé. Une belle opération de communication.

    En fait, connaissance, d’un côté; transmission de l’autre : c’est notre ADN. Il serait donc surprenant que l’Art royal n’ait pas quelque chose à gratter du côté de l’IA.
    Mais, toujours dans nos modalités d’expression et de communication.

    Troisième paragraphe qui combine le stockage et l’exploitation : la génération. L’IA générative est capable de composer pour moi en réponse à ma question et aux rectifications de mes « prompts ». Alors les jeunes peuvent-ils ou les plus anciens veulent-ils utiliser l’IA générative pour rédiger leurs planches? C’est la question. Aux jeunes, l’école apprend déjà à s’en servir; pour les Mathusalem, certains s’y mettent. Essayez le très français Mistral AI, bien suffisant.

    J’ai apprécié le post de Chris sur le caractère désincarné de ce qu’elle a obtenu. Il ouvre à la question de « l’alignement » des IA génératives c’est-à-dire de leur ingestion de valeurs. Le GADLU en est une, cruciale. Mais, il faut le mettre en mot pour que les IA l’ingère et s’aligne. Alors, là…..

  2. bonjour,
    Juste une petite correction. le christianisme pourrait remonter a 2000 ans.
    si le judaisme n’a pas une « date de naissance » précise On peut cependant distinguer plusieurs étapes :
    Vers le IIe millénaire av. J.-C. : Les récits bibliques situent les origines du judaïsme avec les patriarches (Abraham, Isaac, Jacob). Abraham est souvent considéré comme le « père fondateur » car il aurait conclu l’alliance avec Dieu.
    XIIIe siècle av. J.-C. (environ) : La tradition rapporte l’Exode d’Égypte et l’alliance au mont Sinaï avec Moïse, moment où la Torah est donnée. C’est un jalon majeur dans la formation de l’identité religieuse d’Israël.
    Du Xe au VIe siècle av. J.-C. : Le judaïsme se structure autour du Temple de Jérusalem et du culte rendu à Yahvé.
    Après l’exil à Babylone (VIe siècle av. J.-C.) : Le judaïsme prend une forme plus proche de ce qu’il est aujourd’hui, avec la centralité de l’étude de la Torah, de la Loi et des pratiques religieuses, indépendamment du Temple.

  3. Evidemment cette IA nous interpelle et justement pour des FM, c’est bien d’être interpellé, obligé à nous remettre en question: n’est-ce pas “faire des progrès en maçonnerie “ ?
    “Vainquons donc nos passions “d’un conformisme facile!
    Ce qui préoccupe le plus, semble t il , c’est la facilité de rédiger des planches bien documentées.
    Pourtant ce n’est pas vraiment le sujet de l’article qui fait le parallèle entre cette “intelligence “ surpuissante et les attributs que les humains ont prêté à des etres inventés qu’ils ont appelé “dieux “ et renommé Gadlu en Fm.
    Jusqu’à présent l’IA n’a pas été sacralisée et ne fait pas l’objet de vénération, dévotion mais ça peut venir…
    Concernant les planches… la question peut se poser: Est-ce vraiment la vocation du FM de rédiger des planches, les présenter?
    Dans certains rites, pas de planches…
    Et le concours d’érudition ou de dissertations de philosophie, ne crée t il pas des discordances?
    Donc débat… initié … passionnant!

  4. J’ai observé dans 4 loges différentes , des
    Lectures de planches a vocable différents, et le VM et deux MM.’. ont demandé si c’était tiré de l’IA, et les 3 ‘orateurs et une oratrice ont acquiésés.
    Que doit faire le VM, dans ces cas là?.
    Toi fidèle lecteur et VM que ferait tu?
    Dans ces cas là , tout s’est passé comme avant, sur 4 planches 3 ont étés commentée , puisque la deuxième était une planche d’ A.’.
    Pour ma part, je suis restée sur mes impressions du passé, mais ai je raison? Je ne pense pas, l’IA sera intégrée à 100 % à notre vie ,donc à la F.M.
    Forte Accolade mes SS.’. et mes FF.’. et belle fin d’été.
    Bx3
    Yoda

    • MTCS Yoda
      Ton commentaire m’a intéressé à plus d’un titre. Je suis une jeune A et je vais bientôt présenter ma première planche sur le miroir. J’ai bien évidemment été tentée de voir que pouvait en écrire ChatGPT, me disant que ça pourrait m’inspirer, mais c’est la solution de facilité. Ce qu’a produit ChatGPT est totalement désincarné, il n’y a aucune implication.
      En y réfléchissant, cela m’a même paru contraire à l’esprit d’une planche – surtout sur le miroir – où il faut faire preuve d’introspection et se regarder et du dehors et d’en dedans. L’IA est une somme incommensurable de connaissances certes, mais elle a un seul travers, elle ne me connaît pas moi (Désolée, ça peut paraître prétentieux, lol). Donc je vais faire comme toi MTCS, je vais rester sur mes impressions du passé (très récent en FM) et me mettre face à ma feuille avec mon stylo. Et si mon VM me pose la question de l’utilisation de l’IA: je répondrai non. J’ai dit
      TAF mes TCF et TCS

      • Effectivement, l’IA peut être un outil formidable à condition que l’ouvrier sache s’en servir. Luc Julia (le père de Siri) ne parle pas d’intelligence artificielle mais d’intelligence augmentée. Quand on parle d’intelligence artificielle on dit que c’est la machine qui est intelligente (très discutable) quand on parle d’intelligence augmentée on dit que l’intelligence est humaine et quelle se sert d’outils pour être plus performante. C’est le franc-maçon qui tient le maillet et le ciseau (ou la souris) et c’est sa pensée qu’il construit.

  5. Pour ceux qui s’intéressent à l’IA le thème des Entretiens d’été du jeudi 28 août 2025 sera :
    Ainsi parlait “ChatGPT“
    Migration de l’intelligence
    par François DEYMIER
    Médiateurs :
    Dominique Gagliardi – GLFF
    Franco HUARD – GL ANI du Canada

  6. La notion de GADLU a bien été créé par l’Homme ? C’est un acronyme fait de mots français. C’est ce que montre l’article.

  7. Peut être l’auteur confond-il GADLU et GOLEM ?
    L’IA est de fait plus proche du Golem que du GADLU puisque le GOLEM a été créé par l’Homme et non le GADLU…. Mais bon, auteur du GODF…

    • Que ce soit Gadlu ou les dieux des différentes civilisations ou groupes, ça reste, jusqu’à preuve du contraire, des récits humains.

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Pierre Gandonniere
Pierre Gandonniere
Membre du Grand Orient de France et du Grand Chapitre Général. Journaliste, consultant, enseignant Auteur d’une thèse sur l’Ecologie de l’Information Auteur de : "L'Humanisme en Tablier Vert -L'Ecologie est-elle une question maçonnique ?" Detrad, 2023

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