Alors que le monde tourne à un rythme effréné, une leçon intemporelle nous rappelle l’importance de la présence et de la conscience dans nos vies et nos institutions. L’histoire de George Dantzig, l’étudiant en retard qui a révolutionné les mathématiques, et celle de « Sully » Sullenberger, le pilote héroïque de l’amerrissage sur l’Hudson, illuminent cette vérité : ce sont ceux qui osent sortir des sentiers battus, qui refusent de s’enfermer dans l’automatisme des habitudes, qui changent le cours de l’histoire.

En franc-maçonnerie, où les traditions et les rituels façonnent l’identité depuis des siècles, cette leçon prend une résonance particulière. Trop souvent, les loges se réfugient dans un confort passé, répétant « on a toujours fait comme cela » ou s’accrochant au « Rituel de 1823 » comme à une ancre immuable. Pourtant, le fil à plomb, symbole de rectitude, nous invite à une vigilance constante, à renaître à chaque instant, portés par une conscience vive. Cet article explore l’importance de cette présence, la dangerosité des routines aveugles, et la nécessité urgente de réinventer la maçonnerie pour qu’elle reste une force vive dans la société contemporaine.
George Dantzig : L’étudiant qui défia l’automatisme
Revenons à 1939, dans une salle de classe de l’Université de Californie à Berkeley.

George Dantzig, un étudiant en mathématiques, arrive en retard à un cours du professeur Jerzy Neyman. Sur le tableau, deux problèmes sont inscrits, présentés comme des exercices insolubles. Sans savoir qu’il s’agissait en réalité de défis mathématiques non résolus, Dantzig les copie, les ramène chez lui et, après des jours de travail acharné, trouve leurs solutions. Ces découvertes ont jeté les bases de la programmation linéaire, une révolution dans les mathématiques appliquées, utilisée aujourd’hui dans l’optimisation industrielle et économique.
Cette histoire, relatée par La Libre en juillet 2022, illustre une vérité universelle : beaucoup d’entre nous fonctionnent sur pilote automatique, prisonniers de routines et d’habitudes qui nous enferment. Dantzig, par sa simple présence consciente et son refus de se conformer à l’idée reçue d’un « exercice impossible », a transformé une erreur en génie.
Sully Sullenberger : le pilote qui prit les commandes
Le 15 janvier 2009, un autre exemple de présence éclatante surgit au-dessus de New York. Chesley « Sully » Sullenberger, aux commandes d’un Airbus A320, fait face à une double panne de moteur causée par une collision avec des oies. Contre les recommandations initiales de la tour de contrôle, qui lui suggéraient de retourner à La Guardia, Sully prend la décision audacieuse d’amerrir sur l’Hudson River. Grâce à son sang-froid et à sa responsabilité assumée, les 155 passagers et lui-même sont sauvés. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : rongé par le doute après coup, Sully s’est lancé dans une quête de sens, voyageant aujourd’hui à travers le monde pour enseigner la sécurité et la gestion de crise. Ce pilote incarne l’homme qui, face à une autorité défaillante et une logique routinière, choisit la conscience et l’action, sauve des vies et inspire une réflexion collective.
La Franc-maçonnerie : un immobilisme sous le poids des traditions

En franc-maçonnerie, ces récits résonnent comme un appel à l’éveil. Trop souvent, les loges, remplies de membres d’un certain âge ayant passé leur vie à obéir aux cadres et aux règles, se complaisent dans un conformisme paralysant. Les rituels, comme celui de 1823, sont brandis comme des étendards sacrés, et l’on entend fréquemment : « C’est ainsi que nos anciens l’ont fait, donc c’est ainsi que nous devons continuer. » Cette rigidité, bien que rassurante, étouffe la créativité et l’adaptation. Les salons maçonniques, comme les Rencontres Culturelles Maçonniques Lyonnaises ou la Biennale de Bordeaux, en témoignent : ils attirent les initiés et quelques curieux, mais échouent à toucher une société en mutation, préférant se mirer dans un passé glorifié plutôt que de s’ouvrir à un présent vivant.
Ce refuge derrière les traditions est un piège. Si les anciens ont structuré et viabilisé le terrain, leur héritage doit être une source d’inspiration, non une camisole. La maçonnerie risque de s’éteindre si elle ne se réveille pas, si elle ne comprend pas que la vraie force réside dans la capacité à renaître à chaque instant, nourrie par le passé mais ancrée dans le présent.
Le Fil à Plomb : symbole d’une conscience vivante

Le fil à plomb, cet outil symbolique brandi dans les loges, est bien plus qu’un rappel de rectitude. Il est une invitation à une présence consciente, à chaque geste, à chaque parole. Comme Dantzig face au tableau ou Sully face aux commandes, le maçon doit éviter de se laisser porter par l’habitude. La maçonnerie n’est pas un musée figé ; c’est un processus vivant, où l’initiation exige de mourir au passé pour renaître, enrichi mais libre. Cette idée, au cœur de l’instruction maçonnique, appelle à une vigilance constante : ne pas se contenter de répéter les rituels par réflexe, mais les habiter avec une intention claire, une présence qui transforme.
Remettre en cause pour sauver l’institution
Ceux qui remettent en cause l’ordre établi, comme Dantzig et Sully, sont souvent ceux qui sauvent des vies ou des institutions destinées à péricliter. En maçonnerie, cette audace manque cruellement.
Les loges qui s’accrochent aux « on a toujours fait comme cela » ou aux rituels intouchables se coupent du monde
ignorant les réalités d’une société numérique, diversifiée, en quête d’expériences authentiques. Les salons maçonniques, malgré leurs efforts pour s’ouvrir, restent des vitrines élitistes, incapables d’attirer les nouvelles générations. Une rupture s’impose : sortir des temples pour investir les places publiques, mêler les rituels à l’art contemporain, inviter des voix extérieures, créer des espaces interactifs où le profane devient acteur.
Une renaissance par la conscience

La franc-maçonnerie doit redevenir un lieu de conscience, où chaque frère ou sœur porte en lui la responsabilité de faire vivre les valeurs d’humanité, de liberté et de fraternité. Cela signifie oser abandonner les routines confortables, interroger les traditions avec respect mais sans idolâtrie, et s’ouvrir à un dialogue avec la société. Comme Sully a choisi l’amerrissage contre la logique établie, les maçons doivent prendre des risques pour préserver leur institution. La présence à chaque instant, cette capacité à être pleinement dans l’action et la réflexion, est la clé.
Alors que le soleil éclaire les temples maçonniques, un choix s’offre : rester dans l’ombre des habitudes ou briller par une renaissance consciente. George Dantzig et Sully Sullenberger nous montrent la voie :
c’est en sortant du pilote automatique que l’on construit l’avenir. La maçonnerie, avec son héritage riche, a le pouvoir de renaître, mais seulement si elle ose lâcher prise sur le passé pour embrasser le présent avec audace et cœur.