jeu 14 août 2025 - 08:08

Salons maçonniques de Lyon et de Bordeaux : « L’heure du grand remplacement ! »

Octobre 2025 s’annonce comme un tournant décisif pour la Franc-maçonnerie française, avec deux événements qui promettent de faire vibrer les amateurs d’ésotérisme et de réflexion philosophique. Le 4 octobre, à Villeurbanne, les Rencontres Culturelles Maçonniques Lyonnaises (RCML) déploieront leur charme discret : une journée intense, imprégnée d’atelier symbolique, où la lumière des initiations côtoie les débats sur la loi de 1905, ponctuée d’échanges avec quelques profanes curieux et d’un succulent mâchon lyonnais pour clore cette célébration fraternelle.

Bordeaux, pont Jacques Chaban-Delmas (source Wikimedia Commons).
Bordeaux, pont Jacques Chaban-Delmas (source Wikimedia Commons)

Puis, les 18 et 19 octobre, à Pessac, la Biennale Culturelle et Maçonnique de Bordeaux (BCMB) lèvera le rideau sur deux jours d’effervescence : des tables rondes sur le « vivre ensemble », des artistes en résidence, des élus passionnés, une librairie bien garnie et une convivialité débordante. Sur le papier, Lyon mise sur l’intimité, Bordeaux sur l’ampleur pluridisciplinaire – une danse de contrastes qui semble prometteuse.

Mais derrière ces affiches alléchantes se cache une réalité bien moins reluisante : ces salons, malgré leur faste apparent, tournent à vide. Ils attirent les initiés fidèles, quelques amis curieux, mais laissent la société

– cette vaste foule qui échappe aux cercles maçonniques – à l’écart, comme spectatrice d’un spectacle qui ne lui parle plus. Et si l’on creuse un peu, une vérité s’impose : le modèle du salon maçonnique du livre, tel qu’on le connaît, est essoufflé, à bout de souffle, condamné à tourner en rond dans un décor d’un autre temps. Accrochez-vous, car cette plongée dans les coulisses de ces événements pourrait bien changer votre regard sur l’avenir de la Franc-maçonnerie !

Un rituel qui se répète : Le plafond de verre maçonnique

Imaginez la scène : des stands alignés comme des sentinelles, des conférences qui s’enchaînent dans un ballet bien rodé, des questions-réponses où les mêmes voix s’élèvent, familières aux habitués. C’est le décor classique des salons maçonniques, un théâtre confortable où les initiés se retrouvent pour célébrer leur héritage, feuilleter des ouvrages ésotériques et trinquer à la fraternité. À Lyon, l’ambiance sera chaleureuse, presque familiale, avec ce mâchon lyonnais qui scelle la journée dans une odeur de saucisson et de vin. À Bordeaux, la 6e biennale offrira un éventail plus large : artistes, élus, débats citoyens, une vitrine qui semble ouverte au monde. Mais en réalité, ce monde reste à la porte.

Pourquoi ? Parce que ces salons ne parlent qu’à ceux qui maîtrisent déjà le code. Les profanes, ceux qui pourraient apporter un souffle nouveau, se heurtent à un langage codé, des références initiatiques qui les laissent perplexes, et une atmosphère qui, malgré les portes ouvertes, respire le « club fermé ». À Lyon, les échanges avec les non-initiés seront timides, limités à quelques curieux attirés par l’aura mystérieuse. À Bordeaux, les tables rondes, aussi nobles soient-elles, risquent de n’attirer qu’un public déjà convaincu, incapable de franchir le seuil symbolique qui sépare l’intérieur de l’extérieur. Résultat : ces événements deviennent des miroirs où les maçons se contemplent, se rassurent, mais ne s’ouvrent plus vraiment au-delà de leur cercle.

Le modèle du salon maçonnique : Une machine à bout de souffle

René Guénon

Il faut remonter dans le temps pour comprendre ce déclin. Le salon maçonnique du livre, dans ses grandes heures – disons il y a trente ou quarante ans –, était une révolution. À une époque où le livre régnait en maître sur la diffusion des idées, ces événements attiraient par la promesse d’érudition : conférences avec des penseurs comme René Guénon ou Jules Boucher, dédicaces d’ouvrages rares, débats sur les mystères de l’initiation. C’était une vitrine éclatante, un pont entre la Franc-maçonnerie et une société avide de savoir.

Mais aujourd’hui ? Le décor n’a pas bougé : stands poussiéreux, conférences en série, rituels convenus. La magie s’est éteinte, remplacée par une routine qui lasse même les plus dévoués.

Prenons Lyon – 16e Salon Lyonnais du Livre Maçonnique tout de même cette année ! – : une journée dense, oui, mais où l’on risque de revoir les mêmes visages, les mêmes thèmes ressassés sur la loi de 1905 ou les symboles du temple. Bordeaux, avec sa biennale ambitieuse, promet plus, mais retombe dans le piège du format classique : des tables rondes qui parlent de « vivre ensemble » sans jamais sortir des sentiers battus, une librairie qui attire les initiés mais laisse les néophytes indifférents. Ce modèle, conçu pour une époque d’imprimés et de conférences statiques, ne répond plus aux attentes d’une société connectée, avide d’expériences immersives et d’interactions en temps réel. Le salon maçonnique, tel qu’il existe, est une relique d’un âge d’or révolu, un bateau qui vogue encore, mais dont les voiles sont en lambeaux.

Une autocontemplation qui nous éloigne du monde

Conférence publique

La vérité est brutale : ces salons sont devenus des autoportraits. On y invite des profanes, on se félicite d’« ouvrir au public », mais en réalité, on les enferme dans un cadre qui ne leur parle pas. Le langage maçonnique, avec ses termes comme « colonne » ou « chaîne d’union », reste un mystère pour ceux qui n’ont pas franchi les portes d’une loge. L’ambiance, même festive, exhale une aura de club privé, où l’on se congratule entre initiés sans jamais vraiment tendre la main dehors. À Bordeaux, les artistes et élus pourraient être une ouverture, mais si le débat reste confiné à des experts maçonniques, le public extérieur risque de n’y voir qu’un écho de ses propres préjugés.

Ce repli sur soi est un danger mortel. Plus nous nous rassurons dans notre bulle, plus nous nous coupons de la Cité, cette société vibrante qui pourrait pourtant enrichir notre réflexion. Les salons actuels ne sont plus des fenêtres sur le monde ; ce sont des miroirs où nous nous admirons, persuadés que notre reflet suffit à nous rendre visibles. Mais hors des murs de Villeurbanne ou de Pessac, le monde continue de tourner, indifférent à nos rituels figés.

Une rupture urgente : vers une Franc-maçonnerie vivante

Face à cet essoufflement, une révolution s’impose. Pas de simples réformes cosmétiques – ajouter une conférence ou un stand supplémentaire ne suffira pas. Il faut oser une rupture totale, un saut dans l’inconnu pour faire vivre la Franc-maçonnerie dans l’espace public, là où bat le pouls de la société. Voici cinq pistes qui pourraient ranimer la flamme :

  • Quitter les salles closes pour les lieux de vie : Imaginez des événements en plein air, sur les places de Lyon ou dans les friches industrielles de Bordeaux, où les symboles maçonniques s’animent sous un ciel ouvert, accessibles à tous.
  • Mélanger les arts et les rituels : Pourquoi ne pas fusionner les tenues avec des performances de musique live, du théâtre immersif, de la danse contemporaine ou du street art ? Une loge qui vibre au rythme d’un DJ set pourrait captiver une nouvelle génération.
  • Ouvrir le dialogue avec des voix extérieures : Inviter des poètes, des activistes, des scientifiques – pas seulement nos auteurs maçonniques – pour des échanges spontanés, où les idées fusent sans filet.
  • Créer des expériences interactives : Transformez les visiteurs en acteurs ! Des ateliers où l’on construit un symbole, des débats participatifs où chacun vote en temps réel, des jeux immersifs qui font ressentir les valeurs maçonniques.
  • Proposer des expériences fortes : Organiser des marches symboliques dans la ville, des méditations collectives en public, des performances qui traduisent l’initiation en émotions brutes, avant même les mots.
Oubliettes (Crédit : Laurent Ridel)

Avec trois siècles d’histoire derrière nous, la Franc-maçonnerie risque de n’avoir plus que trois décennies d’oubli devant elle si elle persiste sur cette voie. Le temps presse, et les salons actuels, aussi précieux soient-ils pour les initiés, ne sont qu’un pansement sur une blessure plus profonde. Le livre et la conférence ont encore leur place, mais ils doivent s’intégrer dans une dramaturgie plus vaste, un spectacle vivant qui attire, surprend et transforme.

Un appel à l’audace

La Franc-maçonnerie ne doit plus se contenter de se dire : elle doit se montrer, s’immerger dans la Cité, prendre des risques. L’ouverture ne se mesure pas au nombre de portes entrouvertes lors d’un salon, mais aux pas que nous faisons dehors, vers un public qui ne nous attend pas forcément. Sinon, nos salons continueront de tourner en rond, comme des carrousels déserts, jusqu’à ce que même les initiés les délaissent. Octobre 2025 pourrait être le moment de tout changer :

Lyon et Bordeaux, au lieu d’être des échos du passé, pourraient devenir les étincelles d’un renouveau.

À nous de jouer – ou de disparaître dans l’ombre de notre propre histoire !

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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