lun 11 août 2025 - 18:08

La spiritualité active

Une fois la Spiritualité réveillée comme la Belle au bois dormant du conte de Charles Perrault par un baiser du Prince, c’est avec elle la réalité de la vie dans toutes ses dimensions qui reprend des couleurs à chaque instant, l’amour transformant le regard de l’être spiritualisé en art de voir ce qui est perçu avec beaucoup plus d’acuité. Car il ne perçoit plus seulement le monde de l’extérieur, mais il s’y attache aussi par le cœur et aime à prendre plus de temps pour mieux voir jusqu’à contempler ce qu’il perçoit.

Cette Spiritualité active est de tous les temps et a toujours relié les connaissances ésotériques des êtres spirituels et leur attachement aux connaissances scientifiques les plus avancées de leur temps. La matière et l’esprit, bien loin d’être séparées l’une de l’autre, sont appelées à se retrouver et s’unir chez les hommes et les femmes éveillés spirituellement, souvent au terme d’une profonde recherche en eux-mêmes. Les contes d’autrefois racontent de la plus belle manière ces retrouvailles, jusqu’à ces derniers mots « Et ils eurent beaucoup d’enfants. » …

Dans le conte de la Belle au bois dormant, la Belle s’endort après s’être piqué le doigt à sa quenouille en filant, c’est-à-dire en transformant un paquet informe de matière fibreuse attaché au bâton vertical de sa quenouille, en un fil s’enroulant régulièrement autour d’un rouet en rotation, ce qu’elle finit par faire sans vraiment y penser jusqu’à ne plus tenir sa quenouille et s’y piquer. Pour éviter de se piquer, la fileuse doit au contraire ne pas se laisser endormir par la monotonie répétitive du rouet en rotation, et veiller à transformer la matière fibreuse informe en un fil régulier, analogue au fil de ses pensées. Cet art de la pensée correspond à un « travail de fileuse », disent les alchimistes, à l’art de sentir en conscience défiler les secondes comme une fileuse au rouet sent passer le fil entre ses doigts et le transforme en fil d’or à mesure qu’il s’enroule sur la roue.

L’art de filer ses pensées est à la fois le plus simple et le plus difficile qui soit, car il consiste à laisser s’agréger les unes aux autres les pensées et les saisir toutes en donnant à chacune la même valeur absolue. À ce niveau de conscience, tout compte absolument à chaque instant, même les actions habituelles du quotidien et les détails les plus infimes de la vie, et tout ce qui est pensé a la même valeur absolue et n’a plus d’ombre. En termes symboliques, il s’agit de tout penser en se maintenant sous le soleil à son zénith, et en termes alchimiques d’être un soleil en soi-même pour soi-même. Il s’agit de laisser se produire les choses de la vie pour en reconstituer le fil, pour en saisir le sens et mieux se connaître soi-même.

Jung

C.G. Jung observait que ceux de ses patients qui arrivent à s’affranchir par eux-mêmes de l’esclavage où les maintenaient leurs problèmes et qui atteignent des niveaux supérieurs de développement et d’intégration psychique, ne font en réalité que permettre aux choses de se produire d’elles-mêmes. Ils laissent leur inconscient leur parler en silence, et ils écoutent ses messages avec patience avec le plus grand sérieux.

« L’art de laisser les choses arriver d’elles-mêmes, l’action par l’inaction, laisser les choses se faire d’elles-mêmes, comme le disait Maître Eckhart, devint pour moi la clef de la porte d’accès à la voie. Nous devons être capables de laisser les choses se produire d’elles-mêmes dans la psyché. Chez nous, il s’agit d’un art que la plupart des gens ignorent totalement. La conscience ne cesse d’interférer, d’aider, de corriger et de nier, ne laissant jamais se développer en paix le processus psychique. » (C.G. Jung, Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or) Quand, avec patience, l’être en soi-même autorise le processus psychique à se développer en paix, l’inconscient féconde la conscience, et la conscience illumine l’inconscient.

Il s’agit par ailleurs de reconnaître la nature plutôt rationnelle ou intuitive de ses pensées, et reconnaître au corps une capacité à penser équivalente à celle de l’esprit, quitte à malmener la pensée rationnelle qui invalide et marginalise trop souvent les pensées intuitives. La pensée rationnelle du cerveau gauche a pour fonction de garder l’esprit clair et la tête froide, alors que le cerveau droit intuitif est prêt à perdre la tête et à s’enflammer, et il ne s’agit pas de choisir l’eau de l’un ou le feu de l’autre, d’être plutôt rationnel ou plutôt intuitif, mais tout ensemble rationel/intuitif. Cette conjonction des deux natures, symboliquement masculine et féminine, est le creuset des regards et des sentiments percevant et suscitant l’harmonie en soi comme autour de soi.

Les croisements de pensées et de connaissances induits par cette conjonction s’effectuent symboliquement sur un plan horizontal en traçant le signe de l’infini, et c’est du point central de ce symbole situé au centre du cerveau que jaillirait verticalement l’axe lumineux de la conscience. Il appartient à chaque être spiritualisé de faire rejaillir encore et encore cette lumière à profusion comme une source d’eau et de feu embrassant sa vie et embrasant son cœur indéfiniment.

Alors les pensées se transforment en symboles en action qui s’impriment en puissance dans l’imaginaire et tendent à « dé-teindre » sur leur auteur(e) qui se libère de tout fil conducteur préconçu et se libère soi-même de ses ombres, jusqu’à renouveler ses idées et ses convictions les plus profondes. Les alchimistes ont l’art d’illustrer ces opérations de « teinture » par des scènes de la vie ordinaire qui n’attirent que le regard des cherchants et des initiés à leur langage. Dé-teindre peut signifier laver les vêtements et les idées (les « laveures alchimiques ») pour en extraire les teintures essentielles et parvenir à leur blancheur.

Mais surtout ces symboles-archétypes s’animent d’une vie propre et illustrent les pensées et les sentiments des initiés qui s’en nourrissent spirituellement pour en absorber les vertus, espérant un jour en goûter la quinte-essence, un cinquième élément, l’Éther, plus subtil que les quatre premiers. Les alchimistes se désignent eux-mêmes comme des « abstracteurs de quintessence ». François Rabelais a ainsi publié son livre Gargantua sous le même pseudonyme que son autre livre Pantagruel : Alcofribas Nasier, anagramme de François Rabelais : « Abstracteur de Quintessence ». Il appartient à chaque Maçonne et Maçon de trouver les mots et les idées justes inspirés par ces symboles essentiels (essence-ciel), afin d’en « révéler » et « fixer » le sens en eux-mêmes, chacun(e) trouvant comme le poète l’inspiration pour en exalter les sens en silence et en secret.

L’un des plus puissants symboles d’une spiritualité active est le lemniscate de Bernoulli. Ce signe de l’infini relie les grands artistes de la Renaissance aux mathématiciens contemporains, en particulier à James Booth qui fut à la fois pasteur, mathématicien et pédagogue anglo-irlandais, actif sur les trois plans spirituel, moral, et matériel, auteur au milieu du XIXè siècle de livres sur l’éducation des femmes et l’auto-amélioration de la condition ouvrière. Sa pensée a valorisé le rôle des femmes et des ouvriers dans une société élitiste dominée par les hommes, et a rendu plus responsables les hommes et les femmes pour qu’ils s’éduquent eux-mêmes et deviennent plus autonomes, cultivent leurs connaissances et s’élèvent matériellement, moralement, et spirituellement.

James Booth

À l’aide d’un compas à cinq pointes, James Booth trace simultanément le signe de l’infini et trois cercles emboîtés les uns dans les autres, symboles du corps, de l’esprit, et de l’âme. Ainsi, les courbes de Bernoulli, de Booth, et de tous les mathématiciens, sont non seulement les courbes de fonctions et d’équations mathématiques, mais aussi des instantanés d’états physiques, d’états d’esprit, et d’états d’âme. Ces tracés sont représentés sur le site : https://mathcurve.com/courbes2d/watt/wattbooth2.gif

L’emboitement des cercles de cette courbe de Booth illustre parfaitement l’étroite correspondance entre la matière et l’esprit, contrairement aux idéologies et aux religions qui les séparent en occident. Le cercle jaune spirituel n’est pas tracé en s’appuyant sur un point unique et central, l’Un du dieu monothéiste, mais se trace avec la tête du compas qui peu à peu fait le tour du cercle jaune, tout en entraînant en même temps le tracé d’un autre cercle bleu matériel qui lui est contigu avec les pointes du compas, tandis qu’apparaissent en leur centre un troisième cercle rouge moral et mental et un lemniscate horizontal. Tout apparaît simultanément, et les trois niveaux matériel, moral-mental, et spirituel de l’être sont tout de suite en parfaite correspondance.

À ce niveau de spiritualité, le symbole qui jusqu’alors reflétait le réel, le rejoint et se fond en lui. L’être spirituel est un symbole vivant qui s’inspire de toutes ces structures symboliques pour se maintenir éveillé, évitant ainsi de retomber dans le profond sommeil de la Belle au bois dormant. Pour la Belle à présent éveillée, le mouvement régulier qu’elle imprime au rouet illustre l’étroite correspondance entre le corps et l’esprit, une interdépendance elle-même régie par des fonctions cycliques (rythme circadien) reliées aux grands cycles de l’univers.

Voilà la grande intégration effectuée par les êtres spirituellement épanouis, vivants actifs à présent au service d’une grande roue cosmique en mouvement.

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Patrick Carré
Patrick Carré
Patrick Carré est un poète, philosophe et franc-maçon français, connu pour son œuvre mêlant littérature, spiritualité et symbolisme maçonnique. Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, passé membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, il est à présent à l'OIAPMM (Ordre Initiatique Ancien et Primitif de Memphis Misraïm) membre de la Loge de recherche Imhotep à l'Orient de Nice, Souverain Grand Inspecteur Général (33è degré), et Sublime Prince de la Maçonnerie, Grand Régulateur Général de l'Ordre (87è degré).. Son travail explore l’initiation traditionnelle et la quête spirituelle, notamment à travers des poèmes et textes philosophiques. En 2023, il publie L’épopée alchimique des Maçons et Maçonnes (LiberFaber, 228 pages, 25 €), un recueil de plus de 1000 vers qui retrace les degrés maçonniques du premier au dix-huitième, accompagné d’un CD de textes lus et mis en musique par Gérard Berliner. Patrick Carré a également écrit d’autres ouvrages maçonniques, comme Francs-Maçons Alchimistes et Nous sommes tous androgynes, enrichis de contenus multimédias sur le tarot (chaîne youtube Le Tarot de la Renaissance, 12h de vidéos et 800 illustrations). Son œuvre met en lumière les liens entre franc-maçonnerie et alchimie, célébrant la transformation personnelle et spirituelle. Il fut Itinérant en 1980 durant 6 mois à l'Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis, et Potier tourneur 5 ans dans une poterie artisanale et Artisan créateur indépendant.

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