lun 11 août 2025 - 12:08

EXCLUSIF – Interview de Sylvain Zeghni : deux années au service du Droit Humain

Propos recueillis par 450.fm

Micro tendu

Dans quelques jours, Sylvain Zeghni descendra de sa charge de Grand Maître National de la Fédération Française de l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain, au terme d’un mandat de deux ans. Figure connue et respectée du paysage maçonnique, il a conduit cette obédience amie avec conviction et ouverture, dans un contexte où la franc-maçonnerie doit, plus que jamais, conjuguer fidélité aux traditions et adaptation au monde contemporain.

Nous l’avons rencontré pour un entretien exclusif. Avec simplicité et franchise, il revient sur ses réalisations, ses regrets, les moments forts de son mandat… et livre un regard lucide sur l’avenir.

Le Saviez-vous ?

Le Droit Humain, fondé à Paris en 1893, est la première obédience maçonnique mixte et internationale. Présente dans plus de 60 pays, elle œuvre à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la fraternité universelle.

Un regard rétrospectif

Sylvain Zeghni

450.fm : Sylvain, comment vous sentez-vous à l’approche de la fin de ce mandat de deux ans ?

Sylvain Zeghni : Parfaitement serein ! C’est pour moi la fin d’un cycle où j’ai connu le doute et même, au moins une fois, l’envie d’abandonner cette charge. Mais ce fut aussi une période exaltante et enrichissante par la rencontre avec les frères et les sœurs. Donc serein, conscient du chemin accompli et sans grand regret.

450.fm : Si vous deviez résumer cette période en un mot ou en une image, que choisiriez-vous ?

SZ : Engagement

450.fm : Que signifie, pour vous, avoir porté la charge de Grand Maître National de la Fédération Française du Droit Humain ?

SZ : Une énorme responsabilité ! Le Droit Humain, c’est 15 000 sœurs et Frères répartis en 735 loges. Être grand Maître National, c’est porter l’histoire et l’avenir d’un groupe humain, faire évoluer une structure sans enfreindre ses traditions. Il faut être humble, autant que faire se peut, savoir écouter et prendre en compte des opinions souvent divergentes, tout en maintenant un cap. Comme dans tout poste à responsabilité, il faut aussi savoir encaisser les coups, ce qui n’est pas allé de soi, même si je m’y étais mentalement préparé.

Les réalisations marquantes

Sylvain Zeghni

450.fm : En 2023, au moment de votre élection, quels étaient vos objectifs prioritaires ?

SZ : Mon premier objectif, c’était d’assainir les finances de la fédération, sans remettre en cause son fonctionnement initiatique. Mon second objectif visait à mettre en place une gouvernance plus décentralisée, notamment en instaurant un système de représentation au convent rendant les loges plus autonomes. Ce qui me guidait était le principe de subsidiarité.

450.fm : Quels objectifs considérez-vous avoir pleinement atteints ?

SZ : Précisément, en premier lieu, la mise en place de la représentation pour le convent qui, même si cela n’a pas été facile, a été faite, tout en garantissant le principe une loge–une voix. En effet, chaque loge porte les mandats de deux autres loges au convent, ce qui réduit le coût du convent puisqu’il n’y a plus qu’une loge sur trois présente physiquement ; cependant, toutes les loges votent par l’intermédiaire de leur mandant. Il s’agit d’un système de représentation tournant. Ce mécanisme devrait permettre une collaboration étroite entre les loges, chacune siégeant à tout de rôle tous les trois ans. Mon second objectif était de rendre l’autonomie aux loges, puisque jusqu’à présent les loges n’étaient que des antennes sans personnalité juridique. Nous avons donc transformé la fédération en une fédération de loges ayant chacune un statut d’association. C’est pour nous une révolution culturelle.

450.fm : Pouvez-vous citer un projet qui, selon vous, a profondément marqué l’obédience ces deux dernières années ?

SZ : Je crois que la mise en place d’un système de représentation au convent a très fortement marqué l’obédience. C’est une véritable révolution culturelle pour nous mais je dois dire que d’autres obédiences se sont rapprochées de moi pour savoir comment tout cela aller fonctionner et, peut-être, tenter de mettre en place un tel système dans leur organisation… mais peut- être ne faut-il pas seulement un peu de courage politique mais un peu d’inconscience pour proposer un tel système…

450.fm : Y a-t-il eu une initiative imprévue qui s’est imposée, au fil du mandat ?

SZ : La collaboration entre le Grand Conseil des Grands Inspecteurs Généraux et le Conseil national, demeurée souhaitable pour la gouvernance de notre fédération, quoiqu’elle se fût révélée chaotique par le passé, s’est progressivement imposée comme une évidence, ce qui a permis de mettre en place la réforme de notre organisation.

Le Saviez-vous ?

Le Droit Humain fonctionne selon une gouvernance internationale unique : chaque fédération nationale contribue aux décisions de l’Ordre mondial, garantissant une vision globale et partagée.

Les défis et les zones d’ombre

450.fm : Quels ont été vos plus grands défis, sur le plan interne comme externe ?

SZ : Sur le plan interne, les trois piliers de la réforme (règle de représentation au convent, changement de statut des loges, principe de subsidiarité) ont été très contestés et le sont encore. La formule : « on a toujours fait comme ça, pourquoi changer ? », m’a été beaucoup répétée. Cette résistance bien connue au changement, que j’avais déjà rencontrée sur le plan profane, je ne la croyais pas aussi forte dans notre fédération. Sur le plan externe, il a fallu batailler pour maintenir la place de notre obédience au sein du monde maçonnique. Dans un monde où la concurrence est vive, maintenir une parole forte est essentiel.

450.fm : Y a-t-il des projets que vous auriez aimé concrétiser, mais que le temps ou les circonstances ne vous ont pas permis de réaliser ?

SZ : J’aurais aimé mettre en place une webradio ou une émission sur une webradio afin de permettre à la fédération française d’avoir un moyen plus efficace de communiquer. Le temps et les moyens ont manqué.

450.fm : Certaines démarches n’ont-elles pas donné les résultats escomptés ? Qu’en retenez-vous ?

SZ : Malgré la réduction de nos dépenses grâce au nouveau format du convent et à la renégociation de certains contrats, le résultat global reste insuffisant face à l’augmentation continue de nos charges. Certes, nous avons aussi beaucoup misé sur la communication pour accroitre nos effectifs mais ces actions n’ont pas suffisamment porté leurs fruits.

L’évolution de l’obédience

Sylvain Zeghni, Grand Maître National du DROIT HUMAIN.
Sylvain Zeghni, Grand Maître National du DROIT HUMAIN.

450.fm : Comment le Droit Humain a-t-il évolué pendant votre mandat, en termes de vie rituelle, d’organisation et de rayonnement ?

SZ : En termes de vie rituelle, la mise en place de nouveaux rituels dits rituels de référence a conduit à une réflexion sur nos pratiques. De même que la possibilité de choisir la bible comme troisième Lumière sur l’autel des serments a fait couler beaucoup d’encre mais a aussi permis à des loges plus spiritualistes de rendre plus « officielle » leur pratique… Sur le plan de l’organisation, les réformes de structures mises en place et précédemment évoquées ont révolutionné notre organisation. Sur le plan du rayonnement, c’est au monde maçonnique et au monde profane qu’il faut demander leur avis. Je pense, toutefois, que notre travail approfondi sur la loi sur la fin de vie a suscité, tant du côté des parlementaires que du côté de la ministre, un intérêt certain, si j’en juge par la reprise de certaines de nos propositions. De plus, le lancement de la revue Chemins de traverse a permis de renforcer l’image d’ouverture et de production intellectuelles de notre fédération.

450.fm : Quelles avancées majeures avez-vous observées dans le dialogue inter-obédientiel et les relations avec la société civile ?

SZ : Plutôt que des avancées, j’ai constaté un certain recul. Il est de plus en plus difficile, par exemple, de recueillir des signatures communes sur des communiqués. J’ai de plus en plus l’impression d’une séparation entre une maçonnerie mettant en avant une démarche initiatique et une maçonnerie qui se voudrait un « corps intermédiaire ». Cela se voit même au niveau européen où, d’un côté, nous avons l’Alliance Maçonnique Européenne (AME) et, de l’autre, l’Union Maçonnique Libérale Internationale (UMLI). Cela n’empêche pas le dialogue entre les obédiences et entre les Grands Maîtres.

450.fm : En quoi le caractère mixte et international de l’Ordre a-t-il guidé vos choix ?

SZ : J’ai cherché à renforcer les liens qui nous unissent à d’autres fédérations, notamment la fédération belge. La conférence internationale tenue à Strasbourg en 2024 et les rencontres méditerranéennes ont été également l’occasion de développer et de renforcer la coopération entre les fédérations.

Le Saviez-vous ?

Le Droit Humain pratique plusieurs rites maçonniques, dont le Rite Écossais Ancien et Accepté. Son ouverture à la diversité rituelle est l’un de ses atouts identitaires.

Les moments forts

450.fm : Quel moment restera gravé dans votre mémoire ?

SZ : Au printemps dernier, l’épuisement moral et la maladie m’ont conduit à proposer ma démission au Conseil national. La réaction des sœurs et des frères a été extraordinaire et leur soutien plus que fraternel m’a engagé à revenir sur ma décision. C’est pour moi la plus forte émotion de mon mandat.

Emmanuel Macron – Président de la République française

450.fm : Une rencontre ou un échange particulièrement marquant ?

SZ : L’échange avec le Président de la République lors du déjeuner lors de sa visite au Grand Orient de France m’a beaucoup marqué. Mais je n’en dirais pas plus ici.

450.fm : Une tenue ou un événement maçonnique inoubliable ?

SZ : Je garde en mémoire les rencontres méditerranéennes organisées en avril dernier à Marseille. Il s’agissait de réunir nos différentes fédérations, fédérations pionnières et loges pionnières des rives de la Méditerranée autour d’un thème de réflexion. Réunir dans ce contexte des frères et sœurs libanais et un frère israélien fut un grand moment d’espoir et pour moi le signe qu’un début de réconciliation était possible.

Regard vers l’avenir

conférence

450.fm : Que souhaitez-vous pour l’avenir du Droit Humain ?

SZ : Un rajeunissement et une orientation plus initiatique, même si la dimension sociétale ne doit pas être négligée.

450.fm : Quels conseils donneriez-vous à votre successeur ?

SZ : D’abord, exposer un projet clair, fixer un cap mais savoir écouter et tenir compte des différentes sensibilités. (Bon courage !)

450.fm : Quels chantiers prioritaires devraient, selon vous, être poursuivis dans l’immédiat ?

SZ : Renforcer l’identité du Droit Humain dans le paysage maçonnique et le rajeunissement de nos effectifs. Le Droit Humain, malgré une histoire forte, n’arrive pas à s’imposer comme première obédience mixte. Quand le GODF devient mixte, on retrouve dans la presse le discours : « enfin, la franc-maçonnerie s’ouvre aux femmes ». C’est ignoré ou sous-estimer non seulement le Droit Humain mais également l’ensemble des obédiences mixtes !

Le rajeunissement de nos effectifs passe par la réponse à la quête de spiritualités des jeunes. Nous ne les séduirons pas par un engagement sur le terrain politique mais par une offre de spiritualité laïque ! Car les jeunes ont un besoin spirituel qu’ils trouvent dans les religions ; en témoignent les nombreux baptêmes d’adultes ou le succès des JMJ mais aussi le développement de l’Islam et des évangélistes chez les jeunes. Alors, à nous francs-maçons de leur offrir une spiritualité ouverte ne les enfermant pas dans une vision conservatrice et communautariste.

Vision sur la franc-maçonnerie

famille heureuse, soleil couchant, père mère enfants
Le futur, l’avenir…

450.fm : Comment percevez-vous l’évolution générale de la franc-maçonnerie en France et dans le monde ?

SZ : Faute de proposer activement une dimension spirituelle, la franc-maçonnerie, considérée dans ses composantes majoritaires, apparaît désuète et inutile dans un monde en pleine mutation. En se profanisant et en voulant devenir un corps intermédiaire, la franc-maçonnerie s’épuise. Quant à la maçonnerie anglo-saxonne, elle apparaît davantage comme un club et est en plein déclin. À nous de réagir et de nous renouveler dans notre approche du monde.

450.fm : Quels défis attendent toutes les obédiences dans les prochaines années ?

SZ : Le vieillissement des effectifs dû à un manque d’attractivité de plus en plus patent auprès des jeunes générations conduit inévitablement à un déclin en termes numériques. Mais le véritable déclin est celui d’un type de sociabilité qui n’a pas su se remettre en question ni offrir aux profanes une spiritualité ouverte.

450.fm : La mixité et l’internationalisme du Droit Humain : atouts et défis ?

SZ : Mixité et internationalisme, quelle modernité toujours à mettre en œuvre. Alors, oui, ce sont de véritables atouts mais aussi un défi dans un monde où les thèses masculinistes s’affichent avec force, où s’affirment un repli des sociétés sur elles-mêmes et une recrudescence du nationalisme.

Conclusion

450.fm : Si vous pouviez adresser un message fraternel à toutes les Sœurs et tous les Frères du Droit Humain…

SZ : Ne vous découragez pas ! Allez de l’avant sans peur et utilisez votre énergie à répandre nos valeurs.

450.fm : … et un mot à la communauté maçonnique au sens large ?

SZ : Unissons nos forces plutôt que de nous diviser.

450.fm : Enfin, après ce mandat, quels sont vos projets, maçonniques ou profanes ?

SZ : Mes projets sont essentiellement profanes avec de nouveaux projets de recherches et des publications à venir. Sur le plan maçonnique, un parcours se termine et il faut laisser la place à celles et à ceux qui sont l’avenir. Mon rôle est désormais celui d’un transmetteur, plus que celui d’un acteur.

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