De notre confrère theconversation.com

Les « crimes rituels » au Gabon, caractérisés par des meurtres accompagnés de mutilations et de prélèvements d’organes, constituent un phénomène social troublant qui continue de susciter peur, débat et indignation dans ce pays d’Afrique centrale. Bien que souvent associés à des pratiques occultes ancrées dans des croyances précoloniales, ces actes criminels se sont transformés au fil du temps, s’inscrivant dans un contexte moderne où politique, pouvoir et mysticisme se mêlent de manière complexe.
Cet article explore les origines, les dynamiques et les implications de ces pratiques, en s’appuyant sur diverses sources académiques, médiatiques et témoignages locaux.
Une définition controversée
Le terme « crime rituel » désigne des meurtres commis dans un cadre ésotérique, souvent motivés par des croyances mystiques liées à la sorcellerie ou à la recherche de pouvoir, de richesse ou de protection spirituelle. Selon The Conversation, ces actes impliquent un « triangle criminel » composé d’un commanditaire, d’un sorcier et d’exécutants, où des organes spécifiques – tels que les yeux, la langue, les organes génitaux ou le sang – sont prélevés pour être utilisés dans des rituels visant à assurer la réussite sociale, politique ou économique. Jean-Elvis Ebang Ondo, président de l’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), recense dans son Manifeste contre les crimes rituels au Gabon (2010) les parties du corps les plus prisées, surnommées localement « pièces détachées », pour leur prétendue capacité à conférer du pouvoir ou de la chance.

Cependant, l’expression « crime rituel » est controversée. Les adeptes du bwiti, un rite initiatique traditionnel gabonais, dénoncent une stigmatisation de leur spiritualité, arguant que le terme « rituel » associe à tort ces pratiques criminelles à leurs croyances. Cette ambiguïté sémantique reflète la complexité du phénomène, qui mêle héritage culturel, désordres sociaux et instrumentalisation politique.
Racines historiques et transformations modernesBien que les racines des crimes rituels plongent dans la période précoloniale, où certaines pratiques sacrificielles étaient liées à des cultes animistes, leurs modalités ont considérablement évolué. Selon Wikipédia, l’émergence des crimes rituels modernes au Gabon remonte aux années 1970, avec une influence croissante de croyances ésotériques importées du Cameroun, du Congo ou du Nigeria, comme celle des « enfants sorciers » popularisée par les Églises évangéliques. Ces croyances, amplifiées par la colonisation et l’introduction du capitalisme néolibéral, se sont intégrées à un contexte de désordres sociaux et politiques, exacerbant les pratiques occultes.
Dans les années 1980, les crimes rituels se sont cristallisés comme une forme de « sacrifice moderne », où les victimes sont perçues comme des « corps-matières fortes » destinées à alimenter des objets de pouvoir ou « fétiches ». Cette perception s’inscrit dans une logique où le corps humain devient une ressource symbolique pour accéder au pouvoir ou à la réussite, une croyance renforcée par l’instabilité politique et les luttes pour le contrôle des ressources après l’indépendance du Gabon en 1960.

Une dimension politique et socialeLes crimes rituels sont souvent liés aux élites politiques gabonaises. Eddy Minang, magistrat et auteur de Les crimes rituels au Gabon : approche criminologique et judiciaire du phénomène, affirme que 98 % des commanditaires présumés appartiennent au monde politique, utilisant ces pratiques pour consolider leur pouvoir ou réussir dans les affaires. Cette connexion est particulièrement visible lors des périodes électorales ou des transitions politiques, comme en 2009 après la mort d’Omar Bongo, lorsque l’UNICEF a rapporté une multiplication par trois des crimes rituels.
L’impunité des commanditaires est un problème majeur. Malgré des arrestations, comme dans l’affaire du sénateur Gabriel Eyeghe Ekomie en 2009, aucun commanditaire de haut rang n’a été condamné, alimentant un sentiment d’injustice et de méfiance envers les institutions. Jean-Elvis Ebang Ondo, dont le fils de 12 ans a été victime d’un crime rituel en 2005, dénonce cette « mafia du crime » organisée, qui profite des périodes de bouleversement politique pour agir en toute impunité.
Une psychose sociale amplifiée par les médias

Les crimes rituels alimentent une psychose collective au Gabon. La découverte de corps mutilés, comme celui de la fillette Yollye Babaghéla en 2013, ou d’André Ngoua en 2023, suscite l’effroi et la colère. Les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène, relayant des rumeurs d’enlèvements et créant des légendes urbaines, comme celle de la « voiture noire » qui ciblerait les enfants à la sortie des écoles. En 2012, le documentaire Les organes du pouvoir diffusé par Canal+ a choqué l’opinion publique en révélant les pratiques brutales des féticheurs, qui insistent sur la nécessité de la souffrance des victimes pour garantir l’efficacité des rituels.

Cette médiatisation a contraint les autorités à réagir. En 2013, le président Ali Bongo a ordonné des mesures pour enrayer le phénomène, bien que celles-ci soient souvent jugées insuffisantes. L’ALCR, soutenue par des organisations internationales comme l’ambassade américaine et l’ONG lyonnaise Agir ensemble pour les droits de l’homme, milite pour une réforme du Code pénal, l’aggravation des sanctions et la formation de médecins légistes pour améliorer les enquêtes.
Initiatives et défis pour enrayer le phénomène
Plusieurs initiatives ont été lancées pour lutter contre les crimes rituels. En 2005, l’UNESCO a organisé un colloque régional à Libreville pour identifier les causes sociales et culturelles de ces pratiques et promouvoir des stratégies de prévention. Jean-Elvis Ebang Ondo appelle à une campagne de sensibilisation permanente et à l’indépendance de la justice pour mettre fin à l’impunité. Des propositions d’amendements au Code pénal, incluant l’imprescriptibilité des crimes rituels, sont également en discussion.
Cependant, les défis restent nombreux. L’absence de statistiques fiables, les incohérences dans les données de l’ALCR et les démentis des autorités compliquent l’évaluation de l’ampleur du phénomène. De plus, la peur et les tabous culturels entravent les enquêtes, tandis que la stigmatisation des pratiques traditionnelles comme le bwiti alimente les tensions communautaires.
Un défi pour la société gabonaise

Les crimes rituels au Gabon, bien que profondément enracinés dans des croyances précoloniales, sont un phénomène résolument moderne, exacerbé par les luttes de pouvoir, l’instabilité sociale et l’influence de croyances extérieures. Leur persistance, malgré les efforts de sensibilisation et les pressions internationales, souligne l’urgence d’une réforme judiciaire et d’une mobilisation collective pour briser le cycle de l’impunité. Comme le souligne Jean-Elvis Ebang Ondo, la lutte contre ces pratiques nécessite non seulement des actes concrets de la part des autorités, mais aussi un changement culturel profond pour restaurer les valeurs de solidarité et de justice dans la société gabonaise.
En 2025, alors que le Gabon traverse une transition politique sous la présidence du général Brice Oligui Nguema, l’espoir d’une action décisive contre les crimes rituels repose sur une volonté politique renouvelée et une société civile déterminée à lever le voile sur ce fléau. Pour en savoir plus, des sources comme The Conversation et les travaux d’Eddy Minang offrent des analyses détaillées de ce phénomène complexe.
Références :
- The Conversation, « Les crimes rituels au Gabon : un phénomène moderne », 3 août 2025
- Wikipédia, « Crimes rituels au Gabon », 16 juillet 2025
- Gabonactu.com, « Les crimes rituels au Gabon : approche criminologique et judiciaire du phénomène », 20 juillet 2024
- Theses.fr, « Le crime rituel en droit pénal gabonais », 7 mai 2023
- Jeune Afrique, « Gabon : crimes rituels, le prix du sang », 28 mai 2013
- Franceinfo, « ‘Ils font disparaître les corps’ : la peur des crimes rituels reste vivace au Gabon », 7 février 2020
- Le Point, « Au Gabon, la psychose des crimes rituels ravivée par les réseaux sociaux », 16 avril 2013
- Centre d’Action Laïque, « Crimes rituels au Gabon : la fin du silence des agneaux », 2 octobre 2014
- RFI, « Gabon : le président de l’Association de lutte contre les crimes rituels tire la sonnette d’alarme », 30 septembre 2023