jeu 07 août 2025 - 15:08

De l’imposture comme manière de s’en sortir

 « On n’est imposteur que lorsqu’on l’est à demi »

Helvétius (Maximes et pensées)

Au cours d’un festival de cinéma, j’ai eu la chance de revoir le film « l’adversaire » (2002), mis en scène par Nicole Garcia et avec acteur principal Daniel Auteuil qui joue le rôle de Jean-Claude Romand, héros d’un tragique fait divers où un homme, imposteur, se fit passer durant 18 ans pour un médecin employé par l’organisation mondiale de la santé à Genève. Présentant tous les aspects du « gendre idéal », coincé peu à peu par sa vérité, il abattra sa famille et tentera de se donner la mort.

Prison de la Santé
Prison de la Santé à Paris – Porte d’entrée

Après de nombreuses années de prison, il sera remis en semi-liberté sous conditions. Il est intéressant de constater que les analyses psychiatriques ne mentionnent aucun diagnostic de psychose ou de perversion. Comme si le problème se trouvait, à la base, dans un autre fonctionnement plus global de l’humain qui, s’il ne trouve pas un dépassement, va aller vers la dépression ou le crime.

I-LE TROMPER-VRAI OU L’ART DE LA VERITE EN TROMPE-L’OEIL.

Ce qui frappe, en premier lieu dans l’imposture, c’est le désir d’être soi par l’autre, comme s’il n’y avait pas d’autorisation à l’être en direct, par soi-même. Ainsi, le faussaire va signer la reproduction du tableau qu’il imite par le nom du véritable artiste, alors que par lui-même, en copiant, il fait œuvre de création. Nous assistons à l’action que les Allemands désigne par le terme d’ « Enfremdung », devenir étranger à soi-même, sans être dans le domaine de la psychose. C’est aussi le thème du roman de Patricia Highsmith, où le héros, Tom Riplay, se sent vivre enfin quand il va imiter un homme qu’il envie et va l’assassiner pour capter sa personnalité (1).

Molière Par Pierre Mignard

Dans la littérature classique, l’imposteur nous met aussi devant une interrogation majeure : par exemple, est ce que le Tartuffe de Molière est un simple pervers ou un homme qui pense qu’il est prêtre et donc qu’il a des prérogatives sur autrui ? Tout se passe entre « jouer à être », imiter, ou « être en double ». Cette mise en scène se passe autour du plaire, de la séduction : je serai aimé si je suis « cela » et j’aurai donc un pouvoir. Mais, à terme, je vais assimiler ce rôle à moi-même, comme si je serai devenu mon personnage, je l’aurai assimilé, en déniant ma propre personnalité qui, cependant cohabite avec l’intru. Cela s’harmonise peu à peu avec la complicité du public qui croît à l’imposture et renforce l’imposteur dans sa propre croyance. Une forme de « délire à deux » où l’imposteur ne dépasse pas le roman familial et ne peut le réaliser, dans un échec au succès personnel et l’impossibilité d’un travail de deuil. Comme dans la mélancolie, il y a identification à l’objet mort auquel on s’identifie. Echec assuré d’être l’un et l’autre, car l’imposteur est roulé par lui-même !

Cette importance de l’imposture fit que la psychologie et la psychanalyse, hors du champs psychiatrique, s’intéressèrent à cette question jusqu’à penser que, dans notre évolution, nous sommes obligés de vivre l’imposture comme adaptation et que cette stratégie se poursuit parfois toute une vie. Bien entendu, c’est dans l’enfance, que ce comportement prend racine.

II- L’ENFANCE ? UN BOULET !

psychothérapie maçonnique

Il est difficile d’imaginer pire épreuve pour l’être humain que la naissance et son cortège d’angoisse et de solitude, si ce n’est la mort au terme du parcours. Le nouveau-né est totalement dépendant de la famille et de la mère en particulier, ce qui amène envers elle, à fois, un amour de prendre soin de lui et une haine de la dépendance auquel il est soumis. Avec la prise de conscience que sa survie est liée à l’intégration du discours familial et de montrer qu’on s’y rallie et ce, au détriment, de ses propres pulsions. Une double conscience voit le jour : celle de porte-voix du discours parental et de deviner les manques que les parents aimeraient combler à-travers lui et sa propre personnalité qui se révolte très tôt contre cette manœuvre qui lui est capitale pour être aimé. Si un dépassement ne s’opère pas, l’adulte va demeurer dans ce fonctionnement névrotique permanent d’une double nature, que ce soit dans sa vie affective, professionnelle ou groupale car l’étouffement de la liberté et la contrainte à l’adaptation ne commencent pas au bureau, au parti politique ou dans la loge, mais dès les premières semaines de la vie.

Alice Miller

La psychanalyste Alice Miller nous dit (2) : « Si grâce à un long processus, un individu parvient à vivre le fait qu’étant enfant, il n’a jamais été aimé pour lui-même, mais qu’on avait besoin de lui pour ses performances, ses succès et ses qualités, qu’il a sacrifié son enfance à ce prétendu « amour », il subira de grands bouleversements intérieurs, mais un jour il voudra arrêter de briguer les faveurs de ses parents. Il se découvrira le besoin de vivre son vrai Soi et de ne plus devoir mériter l’amour, un « amour » qui en fin de compte le laisse les mains vides, car il s’adresse au faux Soi dont il a commencé à se dépouiller ». Cela signifie ne plus jouer la comédie où nous étions tenus à jouer un pseudo rôle de « héros », pour compenser les manques familiaux ou répondre à une image complètement factice d’un idéal-type qui n’existe que dans l’imaginaire parental.

Mais se libérer ne mène pas à la joie permanente ni à la complète absence de souffrance, mais à la vie, c’est à dire la liberté de vivre ses sentiments spontanés. Mais si cette quête n’est pas enracinée dans ses vrais besoins et sentiments ressentis, le sujet s’adaptera à ses nouveaux idéaux de la même manière que, jadis, il s’était adapté à ceux de ses parents. De nouveau, de manière inconsciente répétitive, il reniera son vrai Soi pour être reconnu et aimé du groupe auquel il appartient ou de son partenaire, mais cela n’est pas assez efficace contre la dépression, car même adulte, un individu n’est pas lui-même s’il ne se reconnaît pas, ni ne s’aime. Il fait tout alors pour que quelqu’un ou un groupe lui prodigue ce même amour dont, enfant, il avait un impérieux besoin, et qu’il espère retrouver enfin, grâce à l’adaptation.

III- LA FRANC-MACONNERIE SUCCURSALE DE REMPLACEMENT DE LA FAMILLE ?

Il est indispensable pour un sujet qu’il prenne conscience des modèles destructifs de ses parents, surtout si l’enfance est imaginée comme un paradis où tout baignait dans l’harmonie et l’allégresse ! En fait, il appartient à chacun de décider s’il veut avoir ou non un travail régulier, s’il veut vivre seul ou en couple, s’il veut adhérer à un parti politique, où à la Maçonnerie, y compris par la confirmation de ses choix ou par un départ, l’idéal ne s’avérant souvent qu’un alignement inconscient sur le fonctionnement parental, qui reposait sur son impuissance et sa dépendance d’enfant. Il est capable d’entrer dans un groupe, si sa lucidité est active, sans se placer sous sa dépendance ou lui être asservi. Il devient imperméable au fait de se faire leurrer, y compris dans son vécu maçonnique où, parfois existent des discours et des pratiques idéologiques venant de gourous qui adoreraient asseoir leur propre impuissance sur l’alignement du fonctionnement sectaire, là où l’on vit les choses tellement « en famille » !

Le sujet conscient, pour qui dans l’enfance, le discours de la famille était parole d’Evangile, ce dont il a pris conscience dans sa négativité, risquera moins d’idéaliser les hommes et les systèmes, surtout s’ils mettent en avant le concept de famille. L’avenir de la démocratie dépend en partie de cette démarche individuelle : faire appel à l’amour et à la raison reste vain, tant que nous nous interdirons de faire la lumière sur notre vécu d’enfant. Un être humain capable d’accueillir ses propres sentiments, sans automystification, n’a pas besoin d’idéologie et, par conséquent, ne sera pas un danger pour les autres.

Une question se pose à nous d’emblée : la Franc-Maçonnerie est-elle un lieu de pensée libre qui amène le sujet à prendre distance avec son enfance ou est-elle le renouvellement d’une famille qui ligote le Maçon dans le désir d’être « bien », donc aimé, en suivant une idéologie groupale qui en fait un « bon sujet » qui refoule son Soi personnel au profit d’un Soi collectif. Surtout s’il en a besoin, en regard d’expériences négatives dans son domaine privé ou collectif. Les groupes tentent de régir un équilibre, toujours momentané, en mettant en avant des règles reconnues par les spécialistes du fonctionnement inconscient des groupes :

Le principe de plaisir/déplaisir : le groupe se maintien en fournissant à ses membres l’évitement du déplaisir (les blessures narcissiques, l’angoisse d’être abandonné ou rejeté, d’être sans assignation, sans fonction, dans l’espace groupal). Le membre du groupe a besoin de recevoir une stimulation de pensée régulée, rituélique, dogmatiquement simple à retenir pour s’y assimiler.

Le principe d’indifférenciation/différenciation : orientation théorique où les personnalités nouvelles sont admises dans leur différences, mais sont vite soumises à adopter une personnalité narcissique collective sous peine de rejet ou de mise à l’écart.

Le principe de délimitation dedans/dehors : le groupe se veut, théoriquement, le prolongement du dehors, mais très vite il devient un dedans qui se veut servir de modèle et qui offrirait à ses membres une sécurité et un idéal de relations humaines. Un peu, en reprenant Saint Augustin, comme s’il existait une Jérusalem terrestre (le dehors) et une Jérusalem céleste (Le dedans), dans une sorte de vision messianique du groupe.

Le principe d’autosuffisance/interdépendance : le groupe laisse entendre à ses adhérents que la vie en son sein est supérieure à la réalité individuelle et sociale. Cet aspect des choses reposant sur des rêveries utopiques ou des idéologies autarciques.

Le principe de constance/transformation : le groupe doit se trouver des adversaires pour évacuer les conflits internes qui pourraient naître en son sein. Plus il y a danger de tensions internes, plus se met en place la nécessité de trouver un ennemi extérieur qui va jouer d’objet de décharge de la tension. Si cela n’est pas possible, pour éviter l’éclatement du groupe, il va falloir trouver un ennemi intérieur, un bouc émissaire, sur lequel va se condenser l’agressivité et la peur.

Le principe de répétition/sublimation : le groupe finit par constater que l’esprit du groupe repose peu à peu sur des répétitions qui bloquent son évolution et peuvent le conduire à sa stagnation, voire à sa disparition. D’où l’explication à donner aux répétitions par une très théorique fonction rituélique qui veut donner un sens et qui détournent les buts pulsionnels des participants afin de donner une orientation vers la sublimation des dites pulsions, notamment celles qui relèvent de l’agressivité ou de la sexualité.

Le principe de réalité : s’oppose au couple plaisir/déplaisir et se définit par la réalisation de l’introduction d’un travail concret qui est supposé donner l’entrée du réel dans le monde intérieur et fantasmatique du groupe. Mais ce travail possède la caractéristique d’être infiltré par le discours et les représentations du groupe et ce qui est vécu comme réalité n’est en fait que la projection interne du groupe sur des objets extérieurs en en faisant la propriété du discours du groupe.

Le principe de laïcité/religiosité : à part les groupes purement religieux, la vie des groupes, théoriquement, s’inscrit dans un principe laïque et démocratique. Mais pour subsister, dans une survie symbolique, le groupe met très souvent en place une forme religieuse inconsciente, avec un leader charismatique qui en devient la représentation incarnée, jusqu’à ce qu’un autre désire prendre sa place, « tuer le père ». Lutte fratricide de type œdipien qui met en péril l’unité du groupe même. Existe une nécessité impérieuse pour le groupe, y compris athée, de donner au groupe, pour sa survie, une connotation spirituelle, de type religieux, avec le risque d’une dérive sectaire. Ce que le psychanalyste Otto Rank nous dit dans son ouvrage célèbre (3) : « Le mysticisme philosophique apparaît comme la continuation directe du mysticisme religieux, dans l’un comme dans l’autre l’homme se laissant absorber par son moi intime. La seule différence qui sépare le mystique philosophique du mystique religieux consiste en ce que Dieu que celui-là recherche dans les profondeurs de son propre être s’appelle connaissance. Mais le but est le même dans les deux cas : l’unio mystica, la fusion intime avec le Tout »

On se résume ? Quel est, en fait, le but de la Franc-Maçonnerie : aider le maçon à découvrir sa vraie personnalité, celle qui lui appartient en propre au-delà de l’enfance (quitte à risquer qu’à un certain moment la Franc-Maçonnerie n’apporte plus rien au maçon et qu’il l’abandonne sans culpabilité), ou l’orienter vers une idéologie, de type religieux, qui lui fait renoncer à son Moi, pour se fondre dans le groupe qui l’ « aime » s’il correspond à « la ligne », surtout s’il ne cultive pas son altérité de façontrop voyante !

BON, ON EN REPARLERA AUTOUR DE L’APERO UN PEU PLUS TARD !

 NOTES

  • (1) Highsmith Patricia : Le talentueux monsieur Riplay. Paris. Ed. Caman-Levy.1956.
  • Le livre a inspiré le film « Plein soleil » de René Clément, avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt.
  • (2) Miller Alice : Le drame de l’enfant doué. Paris. PUF. 1996. (Page 55).
  • (3) Rank Otto : Le traumatisme de la naissance. Paris. Ed. Payot. 1976. (Pages 178 et 179).

 BIBLIOGRAPHIE

  • Anzieu Didier : « Le groupe et l’inconscient ». Paris. Ed. Dunod. 1975.
  • Baruk Henri : « Psychoses et névroses ». Paris. PUF. 1970.
  • Bion W.R. : « Recherches sur les petits groupes ». Paris. PUF. 1965.
  • Debesse Maurice : « L’adolescence ». Paris. PUF. 1969.
  • Decherf Gérard : « Oedipe en groupe. Psychanalyse et groupes d’enfants ». Paris. Ed. Clancier-Guénaud. 1981.
  • Freud Sigmund : « Trois essais sur la théorie sexuelle ». Paris. Ed. Gallimard.1987.
  • Kaës René : « Les théories psychanalytiques du groupe ». Paris. PUF. 2002.
  • La Revue Lacanienne : « Famille je vous aime ? – Les complexes familiaux aujourd’hui». N° 19. Toulouse. Ed. Erès. 2018.
  • Rank Otto : « Le traumatisme de la naissance ». Paris. Ed. Payot. 1976.
  • Reich Wilhelm : « L’irruption de la morale sexuelle ». Paris. Ed. Payot. 1972.
  • Winnicot Donald W. : « L’enfant et sa famille ». Paris. Ed. Payot. 1957.
  • Winnicot Donald W : « De la pédiatrie à la psychanalyse ». Paris. Ed. Payot. 1969

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Michel Baron
Michel Baron
Michel BARON, est aussi conférencier. C'est un Frère sachant archi diplômé – entre autres, DEA des Sciences Sociales du Travail, DESS de Gestion du Personnel, DEA de Sciences Religieuses, DEA en Psychanalyse, DEA d’études théâtrales et cinématographiques, diplôme d’Études Supérieures en Économie Sociale, certificat de Patristique, certificat de Spiritualité, diplôme Supérieur de Théologie, diplôme postdoctoral en philosophie, etc. Il est membre de la GLMF.

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