jeu 31 juillet 2025 - 09:07

Voyance et Franc-maçonnerie : Regards croisés sur deux quêtes de lumière

La voyance et la Franc-maçonnerie, bien qu’évoluant dans des champs distincts, ont depuis longtemps suscité interrogations et rapprochements, fascination et méfiance.

John Collier, Prêtresse de Delphes, 1891, musée national d'Australie-Méridionale (Adélaïde).
John Collier, Prêtresse de Delphes, 1891, musée national d’Australie-Méridionale (Adélaïde).

D’un côté, l’image de la Pythie antique, du médium contemporain ou du lecteur de cartes, dont les yeux paraissent lire dans les trames invisibles de la destinée. De l’autre, celle du Franc-Maçon, compas en main, arpentant avec gravité les degrés d’un Temple symbolique dont les colonnes ne s’élèvent qu’à la mesure de son effort intérieur. Deux figures, deux postures – mais peut-être, au fond, une même aspiration. Percer le voile du monde, chercher l’invisible derrière le visible, redonner au réel une épaisseur symbolique et spirituelle.

SITE EQUERRE COMPAS
Site Équerre Compas

La voyance s’ouvre dans l’instant. Elle surgit dans l’éclair de l’intuition, dans le bruissement subtil d’un message perçu, senti, plus que déduit. Elle se déploie dans un langage symbolique propre – celui du tarot, de l’astrologie, des runes, des lignes de la main, des rêves aussi. Elle s’adresse à l’immédiateté d’une question, à l’urgence d’une quête personnelle. C’est une parole adressée à l’individu dans sa singularité, un miroir tendu vers ses angoisses, ses désirs, ses incertitudes.

La Franc-Maçonnerie, quant à elle, se déploie dans la durée, dans l’espace sacré du rituel, dans le silence partagé d’une Loge. Elle ne répond pas ; elle questionne. Elle ne promet pas de révélation soudaine, mais une transformation lente et profonde, fruit du travail intérieur, de la discipline symbolique, du compagnonnage fraternel. Le Maçon n’attend pas un oracle : il œuvre sur lui-même, en lui-même, pour faire émerger ce qui dort encore dans l’ombre de sa conscience. Il ne consulte pas un voyant ; il s’engage dans une voie.

Cartes de tarot
Cartes de tarot

Et pourtant, les convergences ne manquent pas. Toutes deux, voyance et Franc-Maçonnerie, mobilisent un regard symbolique sur le monde. Toutes deux s’inscrivent dans une tradition ésotérique, c’est-à-dire une approche qui postule que la vérité ultime ne se donne pas d’emblée, mais se révèle à celui qui accepte d’en franchir les seuils, d’en interpréter les signes. L’univers devient alors un texte, un livre de symboles à décrypter. L’étoile filante, la Lune, la clef ou la balance ne sont plus seulement des objets célestes ou des figures : ils deviennent archétypes, messages, révélateurs de l’être.

Le Franc-maçon comme le voyant travaillent avec des symboles. Le Tarot pour l’un, le Tablier pour l’autre. L’un évoque les arcanes majeurs, l’Empereur ou la Papesse ; l’autre se souvient de la pierre brute, du maillet, de la perpendiculaire. Tous deux savent que le monde est plus vaste que ce que montrent les apparences, que derrière chaque forme dort une énergie, un sens à révéler.

Il y a dans les deux démarches une volonté de transformation. Le voyant, par ses visions, peut amener une prise de conscience, un dévoilement de ce qui était ignoré ou refoulé, ouvrant ainsi un chemin d’évolution. Le Franc-Maçon, lui, ne cherche pas la prédiction mais la rectification. Rectifier la pensée, le cœur, l’action, pour tendre vers l’harmonie intérieure et le progrès collectif. Dans les deux cas, on vise une élévation : non point forcément vers le ciel, mais vers la vérité de soi.

Boule de Cristal Voyance – Parfaite pour Cristallomancie, Divination, Medium [Garantie A Vie] source Amazon
Boule de Cristal Voyance – Parfaite pour Cristallomancie, Divination, Medium [Garantie A Vie] source Amazon

Mais leurs voies divergent. La voyance procède souvent d’un don ou d’une disposition particulière, un canal ouvert vers l’invisible. Elle est spontanée, fluide, parfois imprévisible. La Franc-Maçonnerie, au contraire, trace une voie régulière, initiatique, balisée par des rituels anciens, des degrés, des outils, une méthode éprouvée. Là où la voyance dit « je vois », la Maçonnerie dit « je cherche ». Là où la première propose une lecture du destin, la seconde offre une lecture de soi. L’une est parole immédiate, l’autre est silence méditatif.

La Franc-Maçonnerie repose sur un cadre structurant, avec des Loges, des Obédiences, des règlements, une éthique rigoureuse. Elle est à la fois personnelle et collective. L’initiation est vécue dans la solitude de l’âme, mais aussi dans la fraternité de la Loge. Le travail du Maçon se fait dans la rencontre de l’autre, dans l’échange, dans le rituel partagé. La voyance, elle, reste souvent un face-à-face : le voyant et le consultant, dans l’intimité d’un moment, autour d’une question, d’une inquiétude, d’un espoir.

Atout non numéroté, le Fol, du jeu de Jean Dodal, début XVIIIe siècle.
Atout non numéroté, le Fol, du jeu de Jean Dodal, début XVIIIe siècle.

Et pourtant, il serait injuste d’opposer ces chemins comme s’ils s’excluaient. Car le monde intérieur est vaste, et chacun le parcourt avec ses clés. Certains Maçons, sensibles à la dimension symbolique du monde, peuvent s’intéresser à la voyance comme à une autre voie d’accès à l’invisible – à condition de ne pas y chercher de certitude mais un reflet, une stimulation de la pensée. Certains voyants, curieux d’un symbolisme plus structuré, peuvent être appelés par l’architecture initiatique de la Franc-Maçonnerie, son éthique, son enracinement dans la tradition.

Voyance - site théoriedudroit.net
Voyance – site théoriedudroit.net

Mais la prudence est de mise. Car si la Franc-Maçonnerie tolère et même encourage l’exploration intérieure, elle se défie des démarches non encadrées qui pourraient nourrir l’illusion ou flatter l’ego. Elle préfère la lente maturation à l’éblouissement passager, la recherche de la vérité à la séduction de la réponse facile. L’intuition, oui ; mais éclairée par la Raison, tempérée par la Fraternité, enracinée dans l’Humanisme.

Peut-on alors concevoir un dialogue ?

Peut-être. Mais un dialogue exige la reconnaissance des différences. La voyance, dans sa forme la plus noble, peut offrir des pistes, ouvrir des regards, poser des questions. La Franc-Maçonnerie, dans son exigence, construit des réponses à long terme, forge un homme libre et éclairé, non par ce qu’il croit voir, mais par ce qu’il est prêt à devenir.

Symboles maçonniques
Symboles maçonniques

En définitive, ces deux voies parlent à des besoins humains fondamentaux : comprendre le monde, se comprendre soi-même, inscrire son existence dans un horizon de sens. L’une offre des éclats de lumière, comme des éclairs dans la nuit. L’autre trace une route, balisée par les symboles, éclairée par la fraternité, exigeante et patiente. Chacune éclaire un visage de la quête humaine : l’immédiat et le lent, l’intuitif et le réfléchi, le solitaire et le collectif.

Et si elles empruntent des chemins différents, peut-être se rejoignent-elles un jour – non dans une synthèse illusoire, mais dans la reconnaissance mutuelle d’un même mystère, d’un même appel : celui de l’homme en quête de lui-même, tendu vers une lumière qu’il devine plus qu’il ne la possède, et qu’il n’atteindra jamais tout à fait… mais dont le rayonnement suffit, parfois, à éveiller une conscience.

Table de voyante avec 2 cartes de Tarot
Table de voyante avec 2 cartes de Tarot

2 Commentaires

  1. On ne peut concevoir ce qui n’est pas de son ressort. La voyance, la médiumnité sont comme si souvent la Franc-Maçonnerie dépeintes par les néophytes par leurs travers en raison du comportement d’une grande partie de leurs membres. Il y a cependant une grande différence entre la Franc-Maçonnerie , la voyance, et la médiumnité, tout le monde peut prétendre devenir franc-maçon, peu, mis à part les escrocs que l’on trouve dans toutes les catégories sociales, peuvent prétendre être voyant, être médium. les vrais voyants, les vrais médiums, qui ne sont que les mêmes en fait, ne posent jamais de question à ceux qui sollicitent leurs services. On les retrouve jamais dans ces foires d’un faux ésotérisme. Les purs sont capables de voir , de dire par le biais du téléphone sans connaître l’interlocuteur. Quoi de mieux que Léonard de Vinci, que l’on disait visionnaire, pour vous le faire comprendre. Comment a-t-il pu concevoir le parachute, le véhicule blindé et autres inventions plusieurs siècles à l’avance? Il était tout simplement médium Il l’était en cachette en raison des risques encourus de l’être à son époque. Il n’est pas né avec le don de médiumnité. Il l’est devenu pour avoir découvert ce que le rite catholique cache. Et si on y regarde d’un peu plus près, l’Hostie de l’Eucharistie ressemble étrangement au calice d’amertume maçonnique. Je sais de quoi je vous entretiens, puisque j’en viens, et j’en suis. Sauf, que cette médiumnité est totalement différente, elle vient et elle est sécurisée par la Veuve à l’enfant .

  2. Mon TCF Yonnel, votre article, à mon avis confond 3 termes qui sont proches mais qui sont sur le plan moral et éthique fondamentalement différents :

    La « voyance » d’aujourd’hui telle qu’elle évoquée à travers la promotion, par exemple des « festivals de voyance » n’est ni plus ni moins qu’une activité commerciale de prédation. Ce n’est pas une quête de lumière mais une quête d’émoluments qui s’appuie sur des techniques bien connues et rodées de la psychologie, avec pour carburant principal ce ressort puissant de la psyché humaine qui est le biais de confirmation : on se souvient des rares « prédictions » qui (plus ou moins) se réalisent mais on oublie toutes celles qui sont tombées à côté.

    Cette « voyance » commerciale qui est, à mon sens à l’opposé de nos valeurs, car elle soumet le libre arbitre et la responsabilité individuelle à la capacité technique intéressée de certaines personnes à manipuler les biais, les failles et les affects. Ce savoir-faire s’appuyant, et c’est sans doute pour cela qu’il perdure, sur deux traditions très anciennes qui elles sont beaucoup plus intéressants et, à mon avis, beaucoup plus nobles : la divination symbolique et la clairvoyance spirituelle.

    Elles ont toutes les deux un fondement : la capacité qu’à l’esprit humain à analyser de façon inconsciente une multitude d’informations parfois très disparates pour en extraire des hypothèses sur le devenir, le « sens de la vie ». C’est le domaine de l’intuition créatrice. Qui lui, est effectivement au cœur du chemin de lumière des maçons tel que je le conçois.

    La divination s’appuie sur des outils matériels : cartes, baguettes, positions relatives apparentes des planètes, marc de café etc… pour mettre en branle le processus intuitif, mais celui-ci ne peut inférer qu’à partir des données qu’il possède déjà, l’outil divinatoire permettant juste de les corréler. C’est donc une approche essentiellement méditative qui s’appuie sur une symbolique suffisamment ouverte pour guider et laisser le processus intuitif cheminer à partir des informations et de la sagesse, en tant qu’expérience de vie, accumulée. Pour moi l’exemple le plus fascinant de cette approche reste le Yi King.

    La clairvoyance relève du même mécanisme de l’esprit, mais sans support matériel. C’est l’aptitude qu’ont certaines personnes à générer de façon spontanée le processus intuitif profond dont nous parlons et à le verbaliser sous forme d’hypothèses. Le problème c’est que cela se passant en dessous du seuil de conscience il est extraordinairement difficile de diriger ce processus. C’est pour cela que dans le domaine de la clairvoyance on parle le plus souvent de « fulgurance ».

    Que l’on puisse imaginer que quelqu’un, dans le cadre commercial d’une « foire », avec des données extraordinairement limitées et fragmentaires sur la personne qu’elle a en face puisse mettre en œuvre de façon fiable et systématique un processus de fulgurance relève au minimum de la crédulité puérile. On est à l’opposé du l’esprit maçonnique tel que je le conçois et tel que je le vis.

    Quant aux gens qui promeuvent et qui vivent de cette illusion, et qui se font payer grassement (de 50 à 300€ la consultation), le terme qui me vient le plus naturellement à l’esprit c’est celui d’escrocs sans scrupules, car, eux, ne peuvent pas être dupes.

    Alors pourquoi n’est ce pas interdit (sous la forme commerciale), sans doute pour les mêmes raisons qui autorisent l’homéopathie ou la psychanalyse : ils fournissent aux « clients » une forme de confort, ils répondent à la névrose d’angoisse qui envahit un monde d’où la spiritualité est absente et mettent en œuvre sur le plan physiologique des processus de type placébo.

    En payant ses 50€ (et parfois beaucoup plus) la consultation d’une Madame ou d’un Monsieur « Soleil », le profane déboussolé va « acheter » une réponse, un palliatif à ses angoisses profondes, ses incertitudes, son incompréhension d’un monde dont la complexité le dépasse. Les réponses (forcément) simples et pleines d’assurance du « voyant » commercial le rassurent.

    Alors si, en plus, l’horoscope trouvé dans le magazine TV est encourageant c’est jackpot : et l’anxiété peut s’apaiser… un peu… et pour un temps…

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES