Le Livre des Morts égyptien, connu sous son nom originel Per em heru (« Sortir au jour »), est l’un des textes les plus emblématiques de l’Égypte ancienne. Ce recueil de formules magiques, prières, hymnes et incantations, utilisé principalement à partir du Nouvel Empire (vers 1550-1070 av. J.-C.), servait à guider l’âme du défunt à travers l’au-delà, le Douât, vers une existence éternelle auprès d’Osiris, le dieu des morts. Bien plus qu’un simple texte funéraire, le Livre des Morts incarne la vision égyptienne de la mort comme une transition vers une nouvelle forme d’existence, marquée par des épreuves, des jugements et des transformations.

Au XVIIIe siècle, l’égyptomanie qui a suivi la campagne de Napoléon en Égypte et les découvertes archéologiques a ravivé l’intérêt pour la spiritualité égyptienne en Europe. Cet engouement a influencé divers courants ésotériques, notamment la franc-maçonnerie, à travers des rites dits « égyptiens » comme le Rite de Misraïm et plus tard celui de Memphis-Misraïm. Bien que le Livre des Morts ne soit pas directement intégré dans les rituels maçonniques, ses thèmes de mort symbolique, de jugement moral et de quête de lumière résonnent avec les idéaux maçonniques. Cet article propose une analyse approfondie du Livre des Morts, de son contexte, de son contenu et de sa philosophie, tout en explorant ses parallèles avec la Franc-maçonnerie des rites égyptiens.
I. Analyse du Livre des Morts égyptien
Contexte et fonction

Le Livre des Morts s’inscrit dans une longue tradition de textes funéraires égyptiens, succédant aux Textes des Pyramides de l’Ancien Empire (réservés aux pharaons) et aux Textes des Sarcophages du Moyen Empire (accessibles à la noblesse). Apparu sous le Nouvel Empire, il était destiné à un public plus large, bien que principalement aux élites capables de financer des papyrus personnalisés. Ces textes, rédigés par des scribes, étaient souvent placés dans les tombes, inscrits sur des bandelettes de momies ou gravés sur des objets funéraires.
Le rôle principal du Livre des Morts était d’assurer la survie de l’âme dans l’au-delà. L’Égypte ancienne concevait la mort comme une transition vers l’au-delà, un monde souterrain complexe peuplé de divinités, de démons et de dangers. Pour atteindre le royaume d’Osiris et obtenir l’immortalité.
Le Livre des Morts n’est pas un livre au sens moderne, mais un ensemble de formules magiques et de textes funéraires personnalisés, destinés à guider l’âme du défunt à travers les épreuves de l’au-delà pour atteindre une existence éternelle auprès d’Osiris. Ces textes, souvent accompagnés de vignettes illustrées, étaient adaptés aux besoins spécifiques du défunt et reflétaient son statut social et ses aspirations spirituelles. Le Livre des Morts se concentre sur plusieurs objectifs clés : protéger l’âme contre les entités malveillantes, la guider à travers les chemins et les portes du Duat, lui permettre de se transformer en diverses formes (divines ou animales), et assurer sa justification lors du jugement final devant Osiris.
Structure et contenu

Composé d’environ 200 chapitres, le Livre des Morts n’était pas un texte standardisé : chaque copie était unique, contenant une sélection de formules choisies pour le défunt. Parmi les chapitres les plus connus, on trouve :
- Chapitre 1 : Prières pour l’entrée dans l’au-delà et la protection du défunt.
- Chapitre 17 : Explications cosmologiques sur la création et le rôle des divinités comme Rê et Osiris.
- Chapitre 125 : Le jugement du cœur, où l’âme du défunt est pesée contre la plume de Maât, déesse de la vérité et de la justice, sous le regard d’Osiris et de 42 juges. Le défunt récite une « confession négative », niant 42 péchés spécifiques.
- Chapitre 151 : Formules pour protéger le corps momifié contre les forces malveillantes.
Les vignettes illustrées, souvent richement colorées, jouaient un rôle crucial en renforçant la puissance magique des textes. Elles représentaient des scènes comme le défunt naviguant sur la barque solaire, affrontant des serpents ou adorant Osiris.
Symbolisme et philosophie

Le Livre des Morts est profondément ancré dans la cosmologie égyptienne, où la dualité entre l’ordre (Maât) et le chaos (Isfet) structure l’univers. La mort n’est pas une fin, mais une transformation vers une nouvelle existence. Le défunt devait prouver qu’il avait vécu en harmonie avec Maât pour mériter l’immortalité. Les notions de transformation, de mémoire (le nom du défunt devait être préservé pour éviter une « seconde mort ») et de renaissance sont centrales.
Le texte reflète également une vision optimiste de l’au-delà, où la préparation adéquate – via les formules du Livre des Morts – garantissait le succès du voyage post-mortem. Cette idée de préparation spirituelle et de quête de vérité trouve des échos dans les traditions ésotériques ultérieures, notamment la franc-maçonnerie.
II. Le Livre des Morts et l’égyptomanie

L’intérêt pour l’Égypte ancienne a explosé en Europe au XVIIIe siècle, particulièrement après la campagne de Napoléon en Égypte (1798-1801) et le déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion en 1822. Cette « égyptomanie » a influencé l’art, la littérature et les sociétés ésotériques, dont la franc-maçonnerie. Les mystères égyptiens, perçus comme une source de sagesse ancienne, ont inspiré des rites maçonniques dits « égyptiens », tels que le Rite de Memphis et le Rite de Misraïm, qui ont fusionné pour former le Rite de Memphis-Misraïm.
Bien que le Livre des Morts ne soit pas directement cité dans ces rites, son imagerie et ses thèmes – mort symbolique, jugement moral, quête de lumière – ont influencé l’imaginaire maçonnique. À une époque où les connaissances sur l’Égypte ancienne étaient encore limitées, les rites égyptiens se sont appuyés sur une vision romantisée de cette civilisation, amplifiée par les découvertes archéologiques.
III. La franc-maçonnerie et les rites égyptiens

La franc-maçonnerie, née au début du XVIIIe siècle, est une fraternité initiatique qui utilise des rituels symboliques pour transmettre des valeurs morales et spirituelles. Les rites égyptiens, bien que moins répandus que les rites écossais ou yorkistes, se distinguent par leur inspiration dans l’imaginaire égyptien. Le Rite de Misraïm, développé par les frères Bédarride vers 1810, et le Rite de Memphis, créé par Jacques-Étienne Marconis de Nègre en 1838, intègrent des symboles comme le sphinx, l’œil d’Horus ou la pyramide, évoquant la mystique égyptienne.
Parallèles avec le Livre des Morts
Bien que les textes du Livre des Morts ne soient pas directement utilisés dans les rituels maçonniques, plusieurs parallèles thématiques peuvent être établis :

- Mort et renaissance symboliques : Dans la franc-maçonnerie, l’initiation implique une mort symbolique, où le candidat abandonne son ancienne vie pour renaître en tant que maçon. Ce processus rappelle le voyage du défunt dans le Livre des Morts, qui traverse la mort pour atteindre une nouvelle existence dans l’au-delà.
- Jugement moral : Le chapitre 125 du Livre des Morts, avec son jugement du cœur, trouve un écho dans les rituels maçonniques où l’initié est confronté à des questions sur ses valeurs et son engagement moral. La quête de vérité et de droiture morale est un thème commun aux deux traditions.
- Symbolisme ésotérique : Les rites égyptiens s’inspirent de l’idée que l’Égypte ancienne détenait une sagesse ésotérique universelle, transmise à travers des initiations secrètes. Le Livre des Morts, avec ses formules magiques et ses mystères, incarne cette idée d’un savoir caché accessible aux initiés.
- Transformation et lumière : Dans le Livre des Morts, le défunt se transforme pour naviguer dans l’au-delà et atteindre la lumière divine d’Osiris. De même, la franc-maçonnerie met l’accent sur la transformation personnelle et la recherche de la « lumière » spirituelle, symbolisée par la connaissance et la vertu.
Une influence indirecte

L’influence du Livre des Morts sur la franc-maçonnerie est indirecte et symbolique. À l’époque de la création des rites égyptiens, les connaissances sur les textes égyptiens étaient encore fragmentaires, et les fondateurs de ces rites s’appuyaient davantage sur une vision romantique de l’Égypte que sur des sources authentiques. Par exemple, les hiéroglyphes n’étaient pas encore pleinement déchiffrés au début du XIXe siècle, et le Livre des Morts n’était connu que de manière vague à travers des traductions partielles. Les rites égyptiens sont donc plus une réinvention qu’une continuation fidèle des traditions égyptiennes.
Cependant, l’imaginaire du Livre des Morts – avec ses thèmes de mort, de jugement et de transcendance – a nourri l’idée maçonnique d’une quête initiatique vers la perfection. Les symboles égyptiens, amplifiés par l’égyptomanie, ont servi de véhicule pour exprimer ces idéaux universels.
IV. Une résonance intemporelle

Le Livre des Morts et la franc-maçonnerie des rites égyptiens partagent une fascination pour les mystères de la mort et de l’au-delà. Dans l’Égypte ancienne, le Livre des Morts était un guide pratique et spirituel pour naviguer dans l’inconnu. Dans la franc-maçonnerie, les rituels initiatiques jouent un rôle similaire, guidant l’individu vers une transformation intérieure. Ces deux traditions, bien que séparées par des millénaires, convergent dans leur exploration de la condition humaine, de la moralité et de la quête de sens.
Limites de l’influence
Il est important de noter que les parallèles entre le Livre des Morts et la franc-maçonnerie sont conceptuels plutôt que littéraux. Les rites égyptiens s’inspirent d’une vision idéalisée de l’Égypte ancienne, influencée par l’égyptomanie et les courants ésotériques européens comme l’hermétisme et la Rose-Croix. Le Livre des Morts, en tant que texte funéraire, n’a pas de lien direct avec les pratiques initiatiques maçonniques, mais son aura mystique a contribué à façonner l’imaginaire des rites égyptiens.
V. Conclusion

Le Livre des Morts égyptien est bien plus qu’un recueil funéraire : c’est une fenêtre sur la spiritualité et la cosmologie de l’Égypte ancienne, où la mort est une transition vers une existence éternelle, guidée par la vérité (Maât) et la mémoire. Ses thèmes de transformation, de jugement et de quête de lumière ont traversé les siècles, trouvant un écho dans les idéaux de la franc-maçonnerie, notamment à travers les rites égyptiens comme Memphis-Misraïm. Bien que ces rites ne reprennent pas directement le Livre des Morts, ils s’inspirent de son imaginaire pour construire une vision ésotérique de la mort symbolique et de la renaissance spirituelle.

En reliant l’ancien et le moderne, le Livre des Morts et la franc-maçonnerie témoignent de la pérennité des grandes questions humaines : comment affronter la mort, vivre selon la vérité et atteindre une forme de transcendance. Cette connexion, bien que symbolique, illustre la fascination durable pour l’Égypte ancienne comme source de sagesse universelle, un pont entre les civilisations et les époques dans la quête intemporelle du sens.
Sujet fascinant en effet…si un frère du rite Memphis-Misraïm a été beaucoup plus loin je suis preneur.