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Le Tribunal de Justice de Mato Grosso (TJMT) a marqué un tournant dans l’une des affaires les plus controversées de son histoire, connue sous le nom d’« Escândalo da Maçonaria ». La magistrate Graciema Ribeiro de Caravellas, réintégrée en 2022 après un long processus judiciaire, a été nommée desembargadora (équivalent de juge à la cour d’appel) par un vote unanime du Tribunal Pleno, selon un article publié par Olhar Jurídico.
Cette nomination, basée sur le critère d’ancienneté, fait d’elle la deuxième femme la plus ancienne du TJMT à accéder à ce poste prestigieux, tout en ravivant les débats sur un scandale qui a secoué le système judiciaire brésilien dans les années 2000.
Les faits : l’« Escândalo da Maçonaria » et ses répercussions
L’affaire remonte à la période 2003-2005, lorsque des investigations ont révélé un schéma présumé de détournement de fonds publics au sein du TJMT. Selon le Conseil National de Justice (CNJ), environ 1,4 million de reais (environ 260 000 euros au taux actuel) auraient été détournés des caisses de la Justice de l’État pour venir en aide à la Loja Maçônica Grande Oriente do Estado de Mato Grosso (GOEMT), une loge maçonnique locale. Les fonds auraient servi à couvrir des pertes financières liées à la faillite d’une coopérative créée par des membres de la franc-maçonnerie.

Les investigations, lancées en 2008 par le corregedor du TJMT de l’époque, le desembargador Orlando Perri, ont mis en lumière des paiements irréguliers effectués à plusieurs magistrats, sous forme de « remboursements » de salaires ou d’impôts sur le revenu, directement versés sur leurs comptes sans justificatifs ni fiches de paie. Parmi les accusés figurait José Ferreira Leite, alors président du TJMT et Grão-Mestre de la GOEMT, qui aurait reçu plus de 1,2 million de reais. En 2010, le CNJ a sanctionné dix magistrats, dont Ferreira Leite, avec la peine maximale : une retraite forcée à titre de sanction disciplinaire, une mesure visant à protéger l’intégrité du service public.
Graciema Ribeiro de Caravellas faisait partie des magistrats visés. Avec d’autres juges, comme Juanita Cruz da Silva Clait Duarte, Maria Cristina Oliveira Simões, Antônio Horácio da Silva Neto et Marcos Aurélio dos Reis Ferreira, elle a été accusée d’avoir bénéficié de ces paiements privilégiés pour soutenir la loge maçonnique, en violation des principes d’impartialité et de transparence de l’administration publique. Cependant, une décision de la juíza Selma Rosane Arruda en 2017, rapportée par Olhar Jurídico, a jugé que les faits ne constituaient pas un crime de détournement de fonds (peculato), mais relevaient d’une faute éthique. Selon Arruda, les fonds versés correspondaient à des crédits légitimes dûs aux magistrats, bien que leur distribution ait été inéquitable et orientée pour favoriser les « amis du roi ».
En novembre 2022, la Deuxième Chambre du Supremo Tribunal Federal (STF) a annulé les sanctions du CNJ, estimant que la peine de retraite forcée était excessive et que l’absence de preuves d’intention criminelle (dolo) invalidait les sanctions administratives. Cette décision a permis la réintégration de plusieurs magistrats, dont Caravellas, et a ouvert la voie à des indemnisations pour les salaires non perçus pendant leur mise à l’écart. Selon Olhar Jurídico, quatre juges, dont Caravellas, ont ainsi obtenu un total de 22 millions de reais (environ 4 millions d’euros) pour compenser leurs pertes financières entre 2010 et 2022.
Graciema Ribeiro de Caravellas : une réintégration et une ascension controversées

Après sa réintégration en 2022, Graciema Ribeiro de Caravellas a repris sa carrière au TJMT, où elle était l’une des magistrates les plus anciennes. Le 27 octobre 2023, elle a été promue desembargadora, rejoignant ainsi les 32 membres de la cour d’appel du TJMT, dont 11 femmes, un record pour l’institution. Sa nomination, conforme aux critères d’ancienneté définis par les édits 116/2023 et 120/2023, a été unanime, mais elle n’a pas manqué de susciter des réactions.
Caravellas a tenu à clarifier sa relation avec Orlando Perri, devenu son collègue à la cour d’appel. Perri, qui avait initié les investigations contre elle en 2008, était perçu comme un adversaire potentiel. Pourtant, dans une déclaration rapportée par Olhar Jurídico, elle a affirmé : « Ma relation avec Orlando Perri est excellente. J’admire beaucoup son dynamisme, sa compétence et sa capacité professionnelle. » Cette volonté de réconciliation semble refléter un désir de tourner la page sur un scandale qui a profondément marqué le TJMT.
Cependant, sa nomination intervient dans un contexte tendu. Le TJMT a été récemment éclaboussé par un nouveau scandale de vente de sentences, révélé fin 2024 par Olhar Jurídico, impliquant d’autres desembargadores. Ce climat de suspicion jette une ombre sur l’ascension de Caravellas, bien que rien ne l’implique directement dans ces nouvelles affaires. De plus, sa retraite forcée, survenue le 10 janvier 2024, juste 75 jours après sa nomination (en raison de la limite d’âge de 75 ans pour les magistrats brésiliens), a ouvert une nouvelle vacance au sein du TJMT, relançant les débats sur la gestion des carrières judiciaires.
Une affaire aux implications profondes
L’« Escândalo da Maçonaria » soulève des questions cruciales sur l’éthique et la transparence dans le système judiciaire brésilien. Si les magistrats réintégrés, dont Caravellas, ont été blanchis sur le plan pénal, le manque d’équité dans la distribution des fonds publics au profit d’une organisation maçonnique a terni l’image de la Justice de Mato Grosso. Les indemnisations massives accordées – 22 millions de reais pour quatre juges – ont également suscité des critiques, certains y voyant une forme d’impunité pour des élites judiciaires, dans une région où les ressources publiques sont souvent limitées.
Par ailleurs, l’affaire illustre les tensions entre les différentes instances judiciaires brésiliennes. La décision du STF de 2022, qui a privilégié la présomption d’innocence et l’indépendance des sphères pénale et administrative, contraste avec la sévérité initiale du CNJ, soucieux de protéger l’intégrité du service public. Ce désaccord reflète des divergences plus larges sur la manière de sanctionner les fautes éthiques dans la magistrature, un débat qui reste d’actualité au Brésil.
La nomination de Graciema Ribeiro de Caravellas comme desembargadora, après sa réintégration suite à l’« Escândalo da Maçonaria », symbolise à la fois une victoire personnelle et un moment de controverse pour le Tribunal de Justice de Mato Grosso. Si son parcours témoigne de la résilience d’une magistrate expérimentée, il met aussi en lumière les failles d’un système judiciaire confronté à des accusations récurrentes de corruption et de favoritisme. Alors que le TJMT cherche à restaurer sa crédibilité, notamment après de nouveaux scandales en 2024, l’histoire de Caravellas rappelle l’importance d’une réforme profonde pour garantir une justice véritablement impartiale et transparente au service de tous les citoyens.