jeu 08 mai 2025 - 20:05

Gnose et Franc-maçonnerie

La gnose désigne une littérature à contenu à la fois métaphysique et initiatique d’une grande diversité qui a connu son apogée entre le 2ème et le 3ème siècle où elle s’éteint parce qu’elle est

vigoureusement combattue comme hérésie par l’Eglise catholique.

Le terme de gnose recouvre deux significations sensiblement différentes; il désigne d’abord toutes les recherches et spéculations sur les enseignements ésotériques véhiculées par les religions judaïque, chrétienne mais aussi par la philosophie grecque, principalement le platonisme. Les écrits gnostiques le plus souvent rédigés en langue grecque sont fortement imprégnés par Phellénisme.

L’idée de ce type de connaissance est apparue très probablement dans le judaïsme, à l’époque et dans le milieu même où est né le christianisme et elle est restée vivante à la fois au sein du christianisme orthodoxe ou hérétique et dans les mouvements religieux apparentés au judéo- christianisme. Mais dans le sillage de cette gnose religieuse à caractère initiatique ont proliféré de nombreuses sectes et écoles qui ont élaboré des théogonies et des cosmogonies radicalement dualistes séparant le monde divin et le monde matériel et opposant le Dieu de l’esprit à une divinité du mal maîtresse du monde terrestre. Cette métaphysique dualiste qui s’oppose totalement à la conception judaïque et chrétienne du divin est désignée par le terme général de « gnosticisme » qui serait le versant subversif et antireligieux de la gnose.

C’est la raison pour laquelle elle a été combattue par les pères de l’Eglise. Seuls ceux qui sont capables d’accéder à la connaissance de cette gnose dualiste sont assurés de trouver la voie du salut. Nous marquerons fortement les différences entre ces deux traditions gnostiques, d’autant que si notre Maçonnerie hérite de l’esprit et de la méthode de la gnose religieuse, elle est très éloignée ou radicalement étrangère à notre pensée.

Avant d’aller plus loin dans l’approfondissement des thèses gnostiques, je voudrais souligner que la gnose est une idéologie de synthèse née au confluent de la philosophie platonicienne, de l’ésotérisme judaïque, du christianisme évangélique et apocalyptique, dans une cité méditerranéenne illustre : Alexandrie. Elle fut au cours du second et du troisième siècle de l’Empire romain un véritable carrefour des religions et des cultures d’Orient et d’Occident, agité par un grand nombre de mouvements prophétiques et apocalyptiques liés à l’émergence du christianisme qui a exercé sur elle une très forte influence, même si les sectes dualistes ont rompu avec lui.

Mais si Alexandrie est un lieu d’élection de la gnose, elle est sans doute née ailleurs, sur les mêmes terres que le judaïsme et le christianisme naissant : la Palestine, Syrie, Samarie, Anatolie. C’est là dans ce creuset de tous les messianismes, sur ces terres enfiévrées par la quête de Dieu, qu’apparaissent les premiers penseurs de la gnose.

Partie d’un syncrétisme entre les religions du Livre et la pensée grecque, la gnose s’est transformée en une métaphysique singulière et opposée aux dogmes religieux.

Les genres de la littérature gnostique sont très variés. Il y a tout d’abord un certain nombre d’évangiles apocryphes où le Christ est censé révéler à un personnage privilégié (apôtre, disciple ou sainte femme) un enseignement secret. C’est le cas de l’Evangile de Thomas, de Marie des « livres de secrets » attribués à Jean et à Jacques, l’Evangile de Vérité sans doute composé pas Valentin, un des maîtres de la pensée gnostique. Mais on cite bien d’autres textes comme « le livre du grand traité initiatique » et aussi plusieurs Apocalypses attribuées à Paul et à Jacques.

De récentes découvertes faites récemment en Egypte ont mis à jour plusieurs traités dogmatiques qui ont permis de préciser et même de renouveler la connaissance des gnostiques. Dans le cadre de ce travail, il m’est impossible de présenter séparément les doctrines des maîtres de la gnose comme Simon le mage, Basilide ou Valentin.

Je me bornerai à exposer les thèmes et les thèses majeurs des gnostiques et de les comparer aux conceptions initiatiques qui sont les nôtres

Caractéristiques communes de la gnose religieuse

En apparence la gnose pose les mêmes questions existentielles que la philosophie:

« D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Que devons-nous faire ? »

En réalité les questions qu’elle soulève implique une interrogation sur les plus grands mystères de la destinée humaine et de la création, ceux auxquels les religions s’efforcent de donner une réponse.

 »Qui étions-nous ? Que sommes- nous devenus ? Où avons-nous été jetés ? Par quelles voies pouvons-nous nous délivrer et assurer notre salut ? » A ces questions tous les gnostiques tentent de répondre par une représentation initiatique du monde, de l’homme et de sa destinée, y compris des chrétiens orthodoxes comme Clément d’Alexandrie et Origène qui tentent justement d’éclairer le message initiatique du Christ.

Leur souci est d’éclairer à la fois l’origine divine de l’âme humaine, la nature du monde matériel dans lequel elle a été condamnée à vivre, celle du corps qui sert de médiateur entre l’âme et le monde. La gnose est une connaissance de la destinée de l’âme, révélée seulement à quelques initiés capables de la recevoir et qui leur permet de connaître les secrets du monde céleste, la topographie et l’histoire de l’univers divin.

Elle prétend puiser cette connaissance dans des traditions secrètes confiées par le Christ à Paul et aux Apôtres dont les gnostiques sont les héritiers. Ces traditions enseignent comment interpréter rituellement les textes de l’Ancien Testament ou les paroles du Christ et ses paraboles. La gnose dans son ensemble apparaît comme une méthode d’exégèse qui découvre des secrets initiatiques dans les textes sacrés, tout spécialement dans le récit de la Création.

L’origine de la méthode serait à rechercher dans les spéculations judaïques et judéo-chrétiennes sur le sens ésotérique de la Bible et la configuration du monde invisible.

Il est évident que l’approche maçonnique des Ecritures doit énormément à cette herméneutique ésotérique et symbolique de la Bible que nous appelons Volume de la Loi sacrée en raison des révélations initiatiques dont il est porteur.

Si on examine les idées directrices de cette gnose religieuse, on peut considérer qu’elle est un commentaire de l’idée biblique de la Chute mais dans une vision profondément transformée puisqu’il ne s’agit plus de la transgression d’Adam et d’Eve et de la malédiction divine qui en a été la conséquence, mais de la chute de l’âme humaine dans le monde naturel du fait de l’incarnation d’Adam.

C’est un axe central et général de la gnose parce qu’il est le vecteur des spéculations sur la nature et l’origine de l’âme et l’incompréhensible incarnation dans un corps animal et un monde matériel qui, au regard de la gnose, lui sont radicalement étranger. On retrouve là le thème platonicien de la patrie céleste, de l’homme en exil dans le monde de l’imperfection.

De l’idée de la chute et de l’incompatibilité radicale de l’âme spirituelle et de la vie naturelle, résulte la recherche d’une délivrance de l’âme par la purification intérieure et de l’ascèse, et surtout l’idée de la mort comme retour dans la substance et la lumière divine, qui occupe également une place essentielle dans la théologie chrétienne.

Certes la Maçonnerie ne partage pas la métaphysique de la chute et ne considère pas comme une malédiction l’incarnation de l’homme dans l’ordre naturel, mais elle reste proche de la pensée gnostique par une certaine défiance à l’égard d’une nature biologique, source de passions qui aliènent l’homme au monde sensible et le détourne de sa vocation spirituelle.

 Que signifieraient les constantes mises en garde à l’égard des pulsions et impulsions de l’ego si nous ne considérions pas qu’il existe des dispositions immorales ou perverses inscrite dans une nature si dépendante de la matière. La valorisation de la maîtrise de soi et de l’ascèse intérieure comme résistance à la nature en constitue une preuve supplémentaire.

L’opposition centrale de notre Rite entre la Lumière et les Ténèbres de l’âme me paraît tout à fait accordé à la vision gnostique.

L’idée que l’âme est une émanation du divin, donc d’essence spirituelle est commune à la fois aux théories initiatiques de Pythagore et Platon comme à la pensée judaïque et chrétienne.

Mais la chute de l’âme spirituelle dans un corps matériel qui l`enferme et l’asservit par l’entremise du corps est pour toutes les gnoses une contradiction incompréhensible, un mystère sinon un scandale. Selon elles l’explication ne peut se trouver que dans le jeu de forces sataniques. Elles ne cessent d’opposer le monde divin non matériel d’où émanent un certain nombre d’entités dotées de pouvoirs et de vertus spirituels et la naissance d’un univers matériel qui leur serait radicalement étranger en raison de ses imperfections et de ses limites. C’est la contradiction du fini et de l’infini, de l’immanence et de la transcendance, de la source du mal et de celle du Bien absolu. On trouve déjà chez Platon l’idée d’origine initiatique que la matière ne peut être qu’une dégradation de l’ordre céleste gouvernée par une pensée divine où réside le Bien absolu et l’idée de Perfection.

L’idée que le monde matériel est inférieur au monde divin, qu’il est pour l’homme un lieu d’exil, voire une prison est un corollaire de la notion de chute. Mais si la divinité du Logos et de l’Esprit est la seule créatrice de la matière, il devient logique de 1’attribuer à une dégradation de l’ordre divin, autre thème propre à la gnose religieuse.

La naissance d’une forme inférieure de la Création ne peut être attribuée qu’à une perte de pouvoir de la divinité, trahie par la liberté et la perversion de ses propres créatures.

Les raisons de cette défaillance divine dans les récits gnostiques sont aussi obscures que sophistiquées. Ils évoquent des émanations de la puissance suprême dénommées éons ou archontes, possédant la connaissance et dotés d’un pouvoir de création, qui à l’insu de Dieu, auraient généré un Démiurge initiateur du monde matériel.

Le Démiurge, terme d’origine grecque signifiant « architecte », est Lui être qui ne cherche qu’à manifester sa puissance à travers sa création et ne crée un univers séparé du Dieu spirituel que pour étendre sur lui sa complète domination.

La gnose met l’accent sur son action hostile, désagrégatrice à l’égard de la Création du Dieu de Lumière. De là découle l’idée que le but de l’âme éclairée par la conscience de sa vraie nature, le sentiment de son inadéquation au monde matériel, et surtout par la connaissance initiatique est de chercher sa délivrance en remontant vers les sources divines de son être. Il faut se préparer dès cette vie au « voyage céleste » par l’ascèse, la purification exigeant une certaine mise à distance du monde sensible.

Il y a dans cette vision de la vocation de l’âme à se libérer des servitudes de la vie matérielle, à s’élever spirituellement par la maîtrise des passions et un détachement à l’égard des biens désirables, une démarche assez proche de la conception maçonnique de l’initiation bien que nous n’ayons pas un regard aussi négatif et dévalorisant du monde naturel qui est aussi pour nous celui du plein accomplissement de l’humain par Faction et le travail.

Notre recherche du perfectionnement n’est pas seulement, comme chez les gnostiques une préparation à la mort, mais une volonté de maîtriser la vie en la soumettant au devoir.

Il est également évident que la conception maçonnique du Grand Architecte n’a rien de commun avec la théorie gnostique du Démiurge travaillant à la dégradation de l’œuvre de Dieu. Dans la Maçonnerie écossaise il n’y a que deux symbolisations du mal moral : les Ténèbres et les trois mauvais Compagnons assassins d’Hiram qui représentent le mal présent dans l’homme.

Pour nous le Grand Architecte, principe créateur de la Lumière spirituelle comme du monde matériel, symbole du Verbe et de l’Esprit ne peut être qu’un Etre transcendant incarnant l’amour de la Perfection, de l’Harmonie et du Bien moral.

Une gnose « extrémiste » : le gnosticisme

La raison d’être de la gnose est peut-être d’apporter une réponse satisfaisante pour la raison au problème du mal. Elle est sans doute née de l’incohérence profonde entre la divinité de l’Esprit toute puissante et moralement parfaite, et la réalité du mal.

L’attribuer au monde matériel, à sa pesanteur, à toutes les servitudes et aux souffrances qu’il impose à l’homme, en rendre responsable un Démiurge perverti et séparé de Dieu constituait un commencement d’éclairage de ce mystère. Mais la finalité de la gnose n’est pas seulement d’expliquer la misère de l’homme dans un monde que la religion représente comme la création d’un Dieu de perfection. Son souci majeur sera d’innocenter totalement ce Dieu des maux inscrits dans le désordre du monde et générés par l’homme. C’est en poussant cette logique que des gnostiques vont inventer le dualisme absolu inspiré de ce grand prédicateur gnostique que fut Mani ou Manès, dont la doctrine se nomma manichéisme. Elle s’inspire du dualisme de Zoroastre qui, sept siècles avant Jésus, opposa deux divinités co-éternelles : le Dieu de Lumière Ormuzd ou Mazda et le dieu des Ténèbres Hariman.

Il ne vous échappera pas que ce conflit Lumière-Ténèbres occupe une place centrale dans notre Rite, sans doute parce qu’il figure dans le Prologue de l’Evangile de Jean.

C’est donc Mani héritier du dualisme iranien, et par ailleurs adepte du christianisme bien que celui-ci le tienne pour hérétique, qui va inspirer aux gnostiques radicaux l’idée que le monde a été créé par la divinité des Ténèbres. Il est vrai que la thèse d’une émanation de Dieu qui se pervertit au point de créer un monde où triomphe le mal était une explication compliquée, obscure, peu convaincante, qui laissait planer un doute sur l’innocence du Créateur.

Avec la théologie du mal métaphysique, on avait une théorie carrée, radicale qui avait le mérite d’innocenter totalement le Dieu spirituel de la création du monde. Mais les gnostiques radicaux ne se contenteront pas de reprendre à leur compte la version de Mani qui inclut un dieu du mal dans sa cosmogonie. Ils vont prétendre qu’ils ont identifié le véritable dieu mauvais dans le texte même de la Genèse et selon eux ce dieu ne peut être que Yaveh, si souvent présenté comme un Dieu guerrier qui se dit jaloux, implacable dans ses châtiments et peut se montrer injuste comme au moment de la destruction de Sodome malgré le plaidoyer d’Abraham en faveur des justes qui pourraient s’y trouver.

Cette fois le gnosticisme devient une véritable déclaration de guerre contre le judaïsme et le christianisme, d’où les condamnations réitérées des Pères de l’Eglise à son égard. Ils pensent avoir élaboré une théologie cohérente du mal qui rend compte de l’absence du Dieu de l’Esprit dans l’Empire des Ténèbres qui selon eux, domine souverainement le monde terrestre. Les imperfections de la nature et les perversions de l’homme deviennent les produits d’une divinité maléfique, ce qui présente l’avantage d’innocenter le Dieu de Lumière de la totalité du mal.

Le mal c’est 1’existence de la matière elle-même en tant que parodie de la Création, subversion du dessein de Dieu. Elle est responsable du sommeil de l’âme qui nous porte à confondre le réel avec l’univers des songes. D’où le caractère fondamentalement vicié de toutes les entreprises et institutions humaines: histoire, pouvoirs Etats, religions, tous ces systèmes inventés par l’homme sont entachés de cette tare première et portent l’empreinte d’une nature pervertie par l’empire du mal.

Les termes par lesquels ces gnostiques stigmatisent le monde d’ici-bas se résument à quelques termes de mépris qui reviennent à tout instant: prison hermétiquement close, cloaque, bourbier, désert ». De même le corps humain est un « tombeau », un « vêtement grossier » une « Chaîne », un « intrus », un « vampire ». C’est que l’homme est comme l’univers, une création manquée. La première conséquence d’un anathème si absolu sur le monde et par conséquent sur notre condition et notre existence d’êtres incarnés, c’est d’éviter le plus possible la participation à la vie naturelle, perçue comme une sorte de collaboration à l’œuvre du principe maléfique. « Le gnostique est au monde mais il n’est pas de ce monde »

Ils admettent que le simple fait de vivre, de se nourrir et surtout de procréer implique un accroissement du mal. Toutefois les gnostiques ne prônent pas pour autant le suicide. Ils avent seulement qu’ils sont étrangers à vie dans un corps, prison de l’âme. Mais ils s’astreignent en général à une ascèse rigoureuse qu’aggrave leur volonté de séparation du monde détesté.

Delta lumineux
Delta lumineux

Certains comme Basilide prônaient un silence méthodique, mais la plupart s’enferment dans une vie spirituelle vouée à la recherche de la connaissance initiatique, préparation à la vie dans l’hyper monde et condition absolue du salut. Cet idée de l’initiation comme libératrice de l’esprit et transformatrice de notre être se retrouve en Maçonnerie où le premier devoir est de rechercher la Parole perdue et le décryptage des mystères, même si nous ne partageons pas l’anathème gnostique sur le monde

Le gnostique radical sait qu’ il existe dans l’homme quelque chose qui échappe à la malédiction du monde comme un feu, une étincelle léguée à chaque homme par le Dieu qui règne bien au delà du bruit et de la fureur de la vie terrestre, dans le Ciel inaccessible de la Plénitude et de la Perfection.

Ce feu de l’esprit l’aide à vaincre la pesanteur aliénante de la matière, de son corps et même sa psyché alourdie des mêmes servitudes que le corps.

Se considérant victime d’une tragédie cosmique dont il n’est pas responsable, le gnostique dualiste se juge à la fois déresponsabilisé du mal du monde mais aussi du mal qu’il porte en lui puisqu’ il est le fruit de son incarnation dans un corps de chair par la divinité du mal, soumis à tous les désirs inhérents à sa nature physique comme aux lois implacables du monde matériel.

Il regarde le Ciel comme le signe d’une présence divine et le lieu où s’accomplit l’unique espérance, où l’âme retrouve à la fois sa fin et son bonheur originel. Ce rayonnement céleste qu’ il nomme le Plérôme, il l’imagine comme une succession de cercles concentriques de plus en plus lumineux au fur et à mesure qu’on s’éloigne de notre planète, tels que Dante les décrira bien plus tard dans le poème mystique de la « Divine Comédie ». Le dernier cercle est la source suprême de l’Univers secret de l’Harmonie et de la Paix, l’origine de l’âme et de toute vie spirituelle.

Les gnostiques dualistes ressentent donc la condition humaine issue de la chute comme une immense injustice. D’où un sentiment de révolte qui va générer d’une part des critiques radicales de l’ordre établi, des revendications égalitaires d’une étonnante modernité, mais aussi un certain amoralisme qui s’explique par le rejet de toutes lois et institutions émanant de la société ainsi que par leur croyance en l’irresponsabilité de l’homme en vertu de leur théologie particulière.

Contestataires fanatiques du désordre établi par une divinité de la puissance favorable aux puissants, potentats, monarques, personnages fortunés régnant sur la matière, ils vont invoqué le Dieu d’amour et de justice qui a institué l’égale dignité de tous les êtres humains.

Sur ce point, le gnosticisme ne semble pas très éloigné du christianisme évangélique qui osa proclamer l’égale dignité devant Dieu du patricien et de l’esclave.

A partir de ce principe, les maîtres de la pensée gnosticisme, Simon le Mage, Basilide, Valentin s’insurgent contre les inégalités et les lois qui les instituent. C’est ainsi qu’un de leurs prédicateurs les plus réputés, Carpocrate prêche contre le droit de propriété qui installe la division au sein de la société dans des termes assez proches de ceux de Rousseau sur les origines de l’inégalité. Et il développe une sorte d’utopie anarchiste qui nie l’autorité des pouvoirs politiques et des églises et propose une mise en commun de tous les biens.

Le côté très subversif au point de vue social, parfois provocateur à l’encontre des interdits de la morale religieuse explique l’hostilité générale des Pères de l’Eglise. Mais il existe une autre raison de l’hostilité des chrétiens et aussi des Juifs au gnosticisme, c’est la manière dont les gnostiques extrémistes traitent le texte biblique. J’ai déjà donné l’exemple du renversement absolu du rôle et de l’image du Dieu de l’Ancien Testament.

Je vais prendre un autre exemple, celui du Serpent tentateur dans le récit de la Genèse, qui pousse Eve à commettre la transgression fatale à l’espèce. Ici le Serpent incarne de toute évidence une puissance de perversion et l’attrait de la connaissance qu’il propose à la créature humaine se trouve dévalorisé par le récit de ses effets postérieurs: la Chute et la malédiction de Dieu sur l’espèce humaine. Sur ce point les gnosticistes vont procéder à une véritable inversion de sens puisqu’ ils vont d’abord affirmer que le Serpent représente la divinité véritable, créatrice du monde de la Lumière, vision qui trouve peut-être son origine dans des croyances venues de l’Inde où la religion représente l’œuf originel reposant sur un serpent enroulé sur lui-même

La justification de cet hommage rendu au Serpent, c’est qu’il a voulu transmettre à l’homme la conscience avec la connaissance du bien et du mal. Les gnosticistes en tirent la conclusion qu’il est le véritable initiateur de la gnose. C’est pourquoi il a existé plusieurs sectes appelées « Ophites » qui furent adoratrices du Serpent qu’ils confondent d’ailleurs avec la Déesse- Mère de la Nature adorée des Grecs et des Romains.

Analogies et oppositions entre la Maçonnerie et la gnose

Je terminerai ce survol de la pensée gnostique par une comparaison avec les enseignements du Rite écossais. J *ai déjà eu l’occasion de signaler au passage quelques analogies entre gnose et Maçonnerie ainsi que plusieurs divergences essentielles. En quoi sommes-nous les héritiers de la gnose prise dans sa totalité ?

D’abord par le binaire Lumière-Ténèbres dans son sens ésotérique (différence et complémentarité du sensible et de l’intelligible, du masculin et du féminin) et dans son sens moral (conflit entre l’é1an spirituel et les pulsions égoïstes de la nature physique)

Dans notre rite il est évident que le mal existe dans l’homme, l’assassinat d’Hiram par les trois mauvais compagnons en est la figure symbolique. Depuis l’initiation au 1er degré, nos rituels nous invitent à résister aux Ténèbres de notre nature, ce qui se traduit par une incitation à nous défier des désirs et des passions de l’ego, des mirages du monde sensible, à nous détourner des séductions de la puissance pour nous engager dans la quête de la maîtrise de soi et de la sagesse. Notre sagesse, nous la concevons non comme une rupture avec le monde comme la gnose le préconise, mais comme un effort de détachement à l’égard des choses profanes qui est le corollaire de l’amour du sacré.

Pour nous aussi l’ascèse est une ascension vers les hautes régions de la Connaissance des mystères, un éveil et une délivrance de l’esprit, une préparation ininterrompue à 1’initiation finale. Sur tous ces points nous sommes proches des gnostiques.

Par contre, je le répète nous ne partageons pas la radicalité de leur dualisme, nous refusons l’anathème sur le monde matériel et sur la nature qui ont procuré tant de bienfaits et de pouvoirs à l’humanité dans la mesure où les hommes ont su en faire un usage utile et favorable à la vie. Nous ne croyons pas que ce monde soit l’œuvre d’une divinité des Ténèbres car il comporte plus d’ordre et d’harmonie que de chaos et de violence.

L’incarnation de l’homme que la gnose nous présente comme une malédiction absolue nous a permis de maîtriser la matière et d’y trouver les outils nécessaires à l’édification de toutes les cultures. Je crois que l’existence terrestre est le lieu où la raison et l’esprit de l’homme ont reçu mission de s’accomplir en humanisant le monde, ce que nous symbolisons à travers

1° Idéal du Temple de l’humanité.

A l’inverse des gnosticismes nous répudions toute forme de révolte anarchique contre les lois, les institutions, les morales de la société. A l’instar de Socrate nous préconisons de leur obéir tout en travaillant à les améliorer.

Comme nos ancêtres de l’époque des Lumières, nous croyons en la perfectibilité de l’homme et notre idéal de l’initiation est totalement fondé sur cette confiance.

En ce qui concerne le Grand architecte la représentation que nous en exprimons est proche des définitions et des images que nous ont léguées le judaïsme et le christianisme, mais à la différence de la gnose et des religions nous récusons toute forme de théologie dogmatique.

 Le Rite écossais nous impose seulement de le considérer comme un Principe créateur et un symbole du Bien absolu puisque sa compréhension et l’amour de ce qu’il incarne sont la finalité de l’initiation.

Je voudrais en guise de conclusion faire part d’une interrogation personnelle.

Que signifie pour nous ce qui est la figuration symbolique du mal et de la négativité : les Ténèbres ? Le chaos opposé à l’Ordre, tout désorganise le Grand Œuvre divin, les métaux passionnels qui font obstacle au perfectionnement de l’esprit.

Y a-t-il une parenté entre nos Ténèbres et Satan, interlocuteur de Dieu, notamment dans le livre de Job ou avec le Prince des Ténèbres des Evangiles qui tente plusieurs fois de faire tomber Jésus lui-même dans les filets de ses ruses et de ses pièges ?

Dans le Volume de la Loi sacrée la présence du mal est symbolisée par des entités personnelles dotées d’une pensée et d’une volonté maléfique alors que les Ténèbres en Maçonnerie sont bien une puissance mais impersonnelle et indéfinie.

Je ferai observer que des expressions symboliques des forces du mal sont présentes dans toutes les religions comme dans les systèmes mythologiques, parfois sous la forme d’un dualisme qui n’est pas propre à la gnose

C’est sur ce questionnement susceptible d’amorcer la discussion que j’’arrête cette réflexion si riche d’enseignements et parfois si troublante sur ce grand bouillonnement métaphysique et moral que fut la pensée gnostique, si chargée d’ambivalence comme toutes les histoires humaines.

1 COMMENTAIRE

  1. Selon mes modiques connaissances, l’AGnose est la s cience mère de toutes.
    Une tradition nous fait savoir que pour ne pas imiter et donc être l’egal de Dieu dans son omniscience, l’AGnose s’est plutôt muée en possession de la connaissance.
    Autrement dit le Savoir étant le domaine exclusif de Dieu, les savants ont dû opter pour la possession de la Connaissance.
    Ainsi dit, toutes les autres sciences tirent leur essence de l’AGnose.
    Très fraternellement.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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