Inspiré par l’article de notre confrère Causeur
Dans un article publié récemment sur Causeur .fr, Wilfried Kloepfer, un essayiste et chroniqueur français, propose une réflexion audacieuse sur les tensions entre la spiritualité chrétienne traditionnelle et ce qu’il appelle la « religion woke », une idéologie qu’il perçoit comme une nouvelle forme de dogmatisme moral. Kloepfer soutient que le christianisme, avec ses racines millénaires, offre une alternative profonde et universelle aux dérives d’une modernité marquée par des injonctions morales souvent perçues comme oppressives.
Cet article revisite son propos, le documente avec des sources rigoureuses et approfondit l’analyse pour mieux comprendre les enjeux spirituels, culturels et sociétaux qui opposent ces deux visions du monde.
Le Contexte : Une Modernité en Quête de Sens

Depuis les années 2010, le terme « woke » (initialement un concept afro-américain signifiant « éveillé » aux injustices sociales) s’est transformé en un mouvement global, souvent associé à des combats pour la justice sociale, l’égalité des genres, la lutte contre le racisme et la reconnaissance des minorités. Cependant, ce mouvement a aussi été critiqué pour ses excès, notamment son recours à la « cancel culture » (culture de l’annulation), ses accusations de « privilège » systématique et son moralisme jugé rigide. Selon une étude de l’IFOP (2023), 62 % des Français estiment que le mouvement woke a « trop d’influence » dans le débat public, et 45 % le perçoivent comme une menace pour la liberté d’expression.
Wilfried Kloepfer, dans son article, s’inscrit dans cette critique. Il décrit le « wokisme » comme une « religion séculière » qui, sous couvert de justice sociale, impose un nouveau dogme moral, remplaçant les anciennes structures religieuses par une idéologie tout aussi normative. Pour Kloepfer, cette « religion woke » s’appuie sur des concepts comme la culpabilité collective (notamment celle des « privilégiés ») et une vision binaire du monde (oppresseurs vs opprimés), ce qui, selon lui, s’oppose à la richesse spirituelle et universaliste du christianisme.
La Spiritualité Chrétienne : Une Alternative Profonde

Kloepfer commence par rappeler les fondements de la spiritualité chrétienne, qu’il oppose aux principes du wokisme. Le christianisme, avec ses 2,4 milliards de fidèles dans le monde (selon le Pew Research Center, 2020), repose sur des valeurs universelles telles que l’amour du prochain, le pardon, la rédemption et la quête d’une vérité transcendante. Kloepfer cite les Évangiles, notamment le Sermon sur la Montagne (Matthieu 5-7), où Jésus prône l’amour inconditionnel et l’humilité : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent » (Matthieu 5:44). Pour Kloepfer, cette vision contraste avec l’approche woke, qu’il accuse de diviser les individus en catégories rigides et de promouvoir une forme de vengeance morale plutôt que la réconciliation.
Le christianisme, selon Kloepfer, offre une spiritualité qui transcende les clivages sociaux et culturels. Il s’appuie sur des penseurs chrétiens comme saint Augustin, qui dans ses Confessions (397-400 ap. J.-C.) explore la quête intérieure de Dieu, et sur des figures contemporaines comme le théologien français Jean-Luc Marion, qui dans Dieu sans l’être (1982) défend une approche mystique et non dogmatique de la foi. Kloepfer argue que cette spiritualité, centrée sur l’intériorité et la relation personnelle avec le divin, permet de dépasser les jugements moraux et les divisions imposées par le wokisme.
Le Wokisme comme Nouvelle Religion Sécularisée

Kloepfer s’appuie sur des analyses sociologiques pour étayer son idée d’une « religion woke ». Le sociologue américain John McWhorter, dans son livre Woke Racism: How a New Religion Has Betrayed Black America (2021), décrit le wokisme comme une idéologie ayant ses propres dogmes, rituels et excommunications (via la cancel culture). McWhorter note que les « péchés » woke, comme le privilège blanc ou l’appropriation culturelle, sont traités avec une ferveur quasi religieuse, où la repentance publique (souvent sous forme d’excuses médiatisées) devient une condition de rédemption.
En France, des intellectuels comme Pascal Bruckner ont également critiqué cette tendance. Dans Un coupable presque parfait (2020), Bruckner dénonce une « tyrannie de la culpabilité » où les individus sont jugés non pour leurs actions, mais pour leur appartenance à un groupe social. Kloepfer reprend cette idée, affirmant que le wokisme remplace la notion chrétienne de péché individuel par une culpabilité collective, ce qui, selon lui, est contraire à l’esprit du christianisme. Par exemple, dans le christianisme, le péché est personnel et peut être pardonné par la grâce divine (Jean 8:11, « Va, et ne pèche plus »), alors que le wokisme impose une condamnation permanente basée sur des identités fixes.
Kloepfer cite également des exemples concrets pour illustrer les dérives du wokisme. En 2023, l’Université de Bordeaux a annulé une conférence sur l’histoire coloniale après des accusations de « racisme systémique » contre l’intervenant, un historien reconnu. En 2024, une exposition sur l’art religieux médiéval au Louvre a été critiquée pour son « eurocentrisme », malgré son caractère historique. Pour Kloepfer, ces cas montrent comment le wokisme impose une grille de lecture morale qui étouffe le débat et la richesse culturelle.
Les Points de Frottement : Culpabilité, Universalisme et Liberté
Kloepfer identifie trois points de friction majeurs entre la spiritualité chrétienne et le wokisme :
- La Culpabilité et le Pardon
Dans le christianisme, la culpabilité est individuelle et peut être transcendée par le pardon divin. Kloepfer cite l’exemple de la parabole du fils prodigue (Luc 15:11-32), où un père pardonne à son fils malgré ses erreurs, illustrant la miséricorde divine. À l’inverse, le wokisme impose une culpabilité collective – par exemple, le « privilège blanc » – qui ne peut être expiée que par une soumission publique aux normes woke. Selon une étude de l’Université de Yale (2022), 58 % des Américains blancs interrogés se sentent « culpabilisés » par les discours sur le privilège, mais seulement 12 % estiment que cette culpabilité mène à des changements concrets. - L’Universalisme contre l’Identitarisme
Le christianisme prône un universalisme spirituel : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » (Galates 3:28). Kloepfer oppose cela à l’identitarisme woke, qui, selon lui, divise les individus en groupes opposés (hommes vs femmes, blancs vs minorités, etc.). Le sociologue français Mathieu Bock-Côté, dans L’Empire du politiquement correct (2019), soutient que cet identitarisme fragmente la société et remplace le dialogue par des revendications communautaires. - La Liberté Spirituelle contre la Tyrannie Morale
Kloepfer argue que la spiritualité chrétienne offre une liberté intérieure, centrée sur la relation personnelle avec Dieu, tandis que le wokisme impose une tyrannie morale où chaque parole et chaque acte sont scrutés à travers le prisme de la justice sociale. Il cite le cas de J.K. Rowling, qui, depuis 2020, est régulièrement attaquée pour ses positions sur la question transgenre, malgré son soutien historique aux droits des minorités. Selon un sondage YouGov (2023), 67 % des Britanniques estiment que la cancel culture a un impact négatif sur la liberté d’expression.
Une Défense de la Spiritualité Chrétienne comme Voie de Résistance

Kloepfer propose la spiritualité chrétienne comme une voie de résistance face au wokisme. Il s’appuie sur des figures contemporaines comme Rod Dreher, auteur de The Benedict Option (2017), qui appelle les chrétiens à se retirer des structures culturelles dominantes pour préserver leurs valeurs. Dreher, un Américain orthodoxe, prône un retour à des communautés spirituelles locales, inspirées des monastères bénédictins, pour contrer l’influence des idéologies modernes comme le wokisme.
En France, des intellectuels comme Chantal Delsol partagent cette vision. Dans La Haine du monde (2016), Delsol critique la montée d’un « totalitarisme doux » qui impose des normes morales uniformes sous couvert de progrès. Kloepfer s’inscrit dans cette lignée, affirmant que le christianisme, avec son message d’amour et de rédemption, offre une alternative humaniste et libératrice aux diktats du wokisme.
Kloepfer évoque également le renouveau spirituel chrétien en Europe. Selon une étude du Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII, 2024), 38 % des Français se disent « intéressés par une quête spirituelle » en 2025, contre 29 % en 2015. Ce regain d’intérêt, notamment chez les jeunes générations, pourrait, selon Kloepfer, être une réponse à la rigidité morale du wokisme. Des initiatives comme les retraites spirituelles dans des abbayes (comme celle de Solesmes, qui a vu une augmentation de 15 % des inscriptions en 2024) témoignent de cet engouement.
Critiques et Limites de l’Analyse de Kloepfer

L’analyse de Kloepfer, bien que stimulante, n’est pas exempte de critiques. D’abord, son portrait du wokisme peut sembler caricatural. Le mouvement woke, bien qu’il puisse être dogmatique dans certains cas, a aussi permis des avancées sociales, comme la reconnaissance des discriminations systémiques. Par exemple, le mouvement #MeToo, souvent associé au wokisme, a conduit à une prise de conscience mondiale des violences sexuelles, avec une augmentation de 30 % des signalements en France entre 2017 et 2023 (Ministère de l’Intérieur, 2023).
Ensuite, Kloepfer minimise les dérives historiques du christianisme, comme l’Inquisition ou les croisades, qui ont elles aussi imposé des dogmes oppressifs. L’historien français Michel Winock, dans Le Siècle des intellectuels (1997), rappelle que l’Église catholique a souvent été un outil de pouvoir politique, ce qui nuance l’idée d’une spiritualité chrétienne toujours libératrice.
Enfin, Kloepfer ne propose pas de dialogue entre les deux visions. Certains penseurs, comme le théologien américain Richard Rohr, dans The Universal Christ (2019), estiment que le christianisme et les mouvements progressistes peuvent coexister, en combinant l’amour universel du Christ avec une justice sociale active. Kloepfer, lui, préfère une opposition frontale, ce qui limite la portée de son analyse.
Une Tension Révélatrice des Enjeux de Notre Temps
L’article de Wilfried Kloepfer met en lumière une tension profonde entre deux visions du monde : d’un côté, la spiritualité chrétienne, avec son universalisme et sa quête de transcendance ; de l’autre, le wokisme, perçu comme une nouvelle religion séculière imposant des normes morales strictes. En s’appuyant sur des références théologiques, sociologiques et culturelles, Kloepfer défend la richesse du christianisme comme une alternative aux dérives du wokisme, tout en dénonçant les divisions et la culpabilité imposées par cette idéologie.
Cependant, son analyse gagnerait à intégrer une perspective plus nuancée, qui reconnaîtrait les apports du wokisme tout en proposant un dialogue avec la spiritualité chrétienne.
Dans une société française marquée par la quête de sens et les tensions identitaires – 54 % des Français se disent « préoccupés par les divisions culturelles » selon un sondage Odoxa (2024)
cette réflexion est plus pertinente que jamais. Entre tradition et modernité, entre universalisme et identitarisme, le débat initié par Kloepfer invite à repenser les fondements spirituels et moraux de notre époque.
Merci pour cet article excellemment structuré.