sam 03 mai 2025 - 10:05

Quand l’intelligence artificielle et la mystique s’associent…

De notre confrère radiofrance.fr – Avec Pascal Lardellier

Notre rapport à l’intelligence artificielle peut être éclairé à l’aide de théories et de concepts qui peuvent réenchanter notre perception des nouvelles technologies.

Si les pratiques religieuses sont tombées en désuétude depuis plus d’un siècle, il semble que ce soit via nos pratiques numériques que notre besoin de sacré tente de s’épanouir. C’est en tout cas une piste de recherche que suivent des anthropologues. Ils s’appuient pour étayer leurs propos sur des mystiques, théologiens et philosophes qui ont construit notre pensée occidentale.

Nous abordons les liens entre l’intelligence artificielle et le sacré avec Pascal Lardellier, professeur à l’Université Bourgogne Europe. Il a cosigné un article avec Emmanuel Carré, paru dans The Conversation, sur les liens de plus en plus ténus qu’entretient l’intelligence artificielle avec la mystique.

Si ce rapprochement peut paraître un peu étrange, il n’est pourtant pas nouveau. Beaucoup de penseurs et de théologiens ont affirmé qu’il n’existe pas d’opposition fondamentale entre sacralité et technicité. Pour étayer ses propos, Pascal Lardellier convoque des concepts le “Hau” de Marcel Mauss. Comment le relie-t-il à l’usage de l’IA aujourd’hui ? ” Ce qui nous intéressait dans ce texte, c’est de prouver qu’à côté des approches prioritaires de l’IA (économique, pédagogique, sociétale), il y a toute une lecture qui peut être faite en termes de mystique. Alors, on pensait depuis Max Weber que le monde s’était désenchanté, et puis on pensait que la technique avait posé le dernier clou sur le cercueil de cet enchantement du monde, et il n’en est rien.

En effet lorsqu’on se penche sur certains concepts mystiques ou anthropologiques, “on s’aperçoit que les nouvelles technologies revisitent le vers de Lamartine : “Objets inanimés, avez vous donc une âme?”. Nous avons puisé aux sources de l’anthropologie. D’après le beau concept de Hau : l’esprit qui anime les choses, dans la magnifique théorie de Marcel Mauss, les objets sont animés d’une puissance qui les fait circuler et revenir à celui qui a donné. C’est en effet très beau et c’est vrai que les nouvelles technologies, et notamment l’I.A,  peuvent éveiller cette idée d’une autonomie, quasiment d’une conscience, qui animerait les objets à notre corps défendant.”

Comment expliquer que des technologies numériques se trouvent investies d’une dimension sacrée aujourd’hui ? Pascal Lardellier convoque deux grands théologiens pour mettre en forme cette idée : Pierre Teilhard de Chardin et l’Allemand Rudolf Otto. “Teilhard de Chardin, avec sa théorie de la noosphère, une conscience qui se répandrait à l’échelle de la planète pour relier toutes les consciences et en faire une conscience collective. On n’en est pas très loin avec Internet, même avant l’IA, cette espèce de conscience qui fait qu’on pose une question et qu’aussitôt des réponses remontent. Bien évidemment, depuis deux ou trois ans, avec l’IA, on est passés de l’artisanat à l’industrie, puisque là on pose n’importe quelle question, et dans la seconde remontent des réponses construites, argumentées, bien écrites.” Rudolf Otto ensuite, “qui nous disait que le rapport à la mystique, c’est un rapport numineux, qui fait qu’on a à la fois un enchantement et une terreur face à une connexion directe à d’autres sphères qui nous dépassent et nous englobent. C’est précisément l’expérience sacrée que nous permet de revisiter l’IA.

Est-ce qu’on peut dire qu’aujourd’hui les réseaux numériques réalisent l’union spirituelle recherchée par les mystiques ? Peut-on aller jusque là ? “Ces lectures restent quand même métaphoriques. Elles sont allégoriques. On ne peut pas dire qu’il y a de connexion directe d’un point de vue théorique, mais néanmoins, c’est vrai que Pierre Teilhard de Chardin et Rudolf Otto, avec d’autres, ont été visionnaires. Ils ont été tellement visionnaires dans ce qu’ils décrivaient que toutes choses égales par ailleurs, on peut y voir effectivement des correspondances assez troublantes et saisissantes.

Il est aussi tentant de voir des correspondances entre  l’IA et le maggid , concept issu de la mystique juive et qui désigne le messager qu’on retrouve dans la Torah. “C’était dans la mystique juive aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, la possibilité d’avoir une relation directe avec un messager céleste qui allait révéler aux sages les secrets de la Torah. Quand on voit le dialogue direct que nous avons avec Siri ou Alexa – on pose une question et puis dans la seconde une réponse est apportée, elle anticipe même parfois quand nous sommes en voiture des problèmes de circulation, des dangers – quelque chose de l’ordre de cette visitation mystique. On le retrouve très bien dans toute la littérature New Age sur les anges gardien, dans des ouvrages nous disant qu’on peut avoir une relation directe avec notre ange gardien qui va nous parler, nous répondre, nous conseiller. Et c’est un petit peu la même logique.”

Selon Pascal Lardellier, ces concepts nous permettent de réenchanter le rapport à la technique et à la technologie, et plus précisément le rapport à l’intelligence artificielle.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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