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La franc-maçonnerie, souvent entourée de mystère, a joué un rôle méconnu mais significatif dans l’histoire d’Orléans. De l’influence de figures nobles au XVIIIe siècle aux tensions sociopolitiques du XXe siècle, en passant par la création de loges emblématiques, cette société initiatique a laissé des traces dans la ville, tant dans ses institutions que dans ses débats publics. Voici un voyage à travers les siècles pour découvrir cette facette insolite de l’Orléanais.
Les débuts de la franc-maçonnerie à Orléans : un gouverneur initié
En 1721, Louis II de Pardailhan de Gondrin, duc d’Antin, est nommé gouverneur de l’Orléanais à seulement quatorze ans. Arrière-petit-fils de Madame de Montespan et proche parent du duc d’Orléans, ce jeune noble marque l’histoire de la franc-maçonnerie française. En 1731, il est initié dans une loge parisienne, et son engagement fervent le conduit, en 1738, à être nommé grand-maître général des francs-maçons du royaume de France, une fonction prestigieuse au sein de l’ordre.
Sous sa protection, les francs-maçons orléanais bénéficient d’une certaine tolérance, malgré les interdictions officielles. En 1737, une sentence de police interdit les associations, y compris la franc-maçonnerie, jugée suspecte par les autorités. En 1738, la bulle pontificale In Eminenti Apostolatus du pape Clément XII condamne l’ordre, menaçant ses membres d’excommunication. Pourtant, à Orléans, les loges continuent de se réunir clandestinement, protégées par l’influence du duc d’Antin.
Des assemblées nocturnes dans l’ombre
Après la mort du duc d’Antin en 1743, la franc-maçonnerie orléanaise attire l’attention des autorités. Le procureur du roi, Leclerc de Douy, rédige deux rapports alarmistes à destination du chancelier. Le premier, daté de 1743, décrit une « association sous le nom de francs-maçons » qui réunit « trente à quarante personnes de différents états et conditions » dans des assemblées nocturnes. Ces réunions, perçues comme subversives, inquiètent par leur caractère secret et leur croissance rapide.
Le second rapport détaille les pratiques maçonniques, soulignant une égalité sociale inhabituelle pour l’époque : « La noblesse et le roturier, l’officier et l’artisan, honteusement confondus, jouissent ensemble des mêmes avantages. La qualité d’hommes qui les rend tous égaux par la nature, leur fait oublier toute distinction de rang et de naissance, et même de religion. » Ces propos révèlent l’idéal égalitaire de la franc-maçonnerie, qui choque les hiérarchies traditionnelles de l’Ancien Régime.
Malgré ces dénonciations, aucune mesure répressive d’envergure n’est prise, et les loges orléanaises prospèrent. En 1760, trois ateliers maçonniques sont recensés à Orléans : L’Union, Les Beaux-Arts et Saint-Jean, cette dernière étant reconnue comme une loge régulière sous l’égide du Grand Orient de France.
Une période de troubles : la Révolution et la destruction des loges
La Révolution française marque un tournant dramatique pour la franc-maçonnerie orléanaise. En 1793, les loges sont prises pour cibles par les sans-culottes, qui y voient un symbole de l’élitisme de l’Ancien Régime. Les temples maçonniques sont pillés, les archives détruites, et les activités des loges suspendues. Cet épisode reflète les tensions entre les idéaux révolutionnaires et les structures perçues comme secrètes ou aristocratiques.
Le renouveau au XIXe siècle et l’émergence publique
Au XIXe siècle, la franc-maçonnerie orléanaise renaît progressivement. En 1900, deux loges sont actives : Les Adeptes d’Isis-Montyon, située au 22, rue des Turcies, et La Véritable Amitié, rue Croix-de-Bois. En 1902, ces deux loges fusionnent pour former la loge Étienne-Dolet, installée au 13, rue éponyme. Avec 210 membres, elle devient un acteur influent de la vie intellectuelle et sociale d’Orléans.
Cette période coïncide avec des débats sociétaux majeurs, notamment la séparation de l’Église et de l’État en 1905. À Orléans, ville marquée par le culte de Jeanne d’Arc, les tensions entre laïcité et religion sont particulièrement vives. En 1907, un épisode emblématique illustre ce conflit : le conseil municipal, acquis aux idées républicaines, autorise la loge Étienne-Dolet à participer au défilé des fêtes johanniques du 8 mai. Cette décision provoque l’ire de Mgr Touchet, évêque d’Orléans, qui refuse de participer aux festivités, qu’il juge trop laïcisées. Il organise une cérémonie religieuse distincte le 12 mai, réunissant 10 000 fidèles.
Le 8 mai 1907, les francs-maçons défilent dans les rues d’Orléans, attirant une foule curieuse. Leur présence est une protestation contre l’aspect religieux des fêtes johanniques, qu’ils associent à l’influence de l’Église catholique. Pour les maçons, Jeanne d’Arc, « fille du peuple brûlée avec la complicité de l’Église », incarne un symbole de résistance à l’oppression cléricale. Cet événement marque un moment clé de l’affirmation publique de la franc-maçonnerie à Orléans.
La franc-maçonnerie sous la Troisième République : une influence politique
Sous la Troisième République (1870-1940), souvent qualifiée de « maçonnique » en raison de l’influence de l’ordre dans les sphères politiques, plusieurs figures orléanaises marquent l’histoire. Deux maires d’Orléans sont francs-maçons : Fernand Rabier (1912-1919), qui œuvre pour la modernisation de la ville, et Eugène Turbat (1929-1935), engagé dans des réformes sociales. Une autre figure emblématique est Jean Zay, initié dans une loge orléanaise et ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts de 1936 à 1939. Promoteur de réformes éducatives audacieuses, Jean Zay reste une icône de la République, bien que son assassinat par la Milice en 1944 ternisse cette période.
La Seconde Guerre mondiale : une période sombre
Avec l’occupation allemande et le régime de Vichy, la franc-maçonnerie est violemment réprimée. En 1940, la loi du 13 août interdit les « sociétés secrètes », visant directement les loges maçonniques. À Orléans, les temples sont fermés, les biens confisqués, et les archives détruites ou saisies. De nombreux francs-maçons, comme Jean Zay, sont persécutés pour leurs engagements républicains ou leur appartenance à l’ordre. Cette période marque un coup d’arrêt brutal aux activités maçonniques dans l’Orléanais.
La renaissance discrète d’après-guerre
Après la Libération, les loges orléanaises se reforment progressivement, mais dans une discrétion marquée par les traumatismes de la guerre. Aujourd’hui, on estime à environ un millier le nombre de francs-maçons dans l’Orléanais, répartis entre cinq grandes obédiences, dont le Grand Orient de France et la Grande Loge de France. Trois temples, situés au nord, au sud et au centre d’Orléans, accueillent les réunions des « frères » et « sœurs », dans un cadre toujours empreint de confidentialité.
Une influence durable, mais discrète
Si la franc-maçonnerie n’occupe plus le devant de la scène publique, son héritage perdure à Orléans. Des bâtiments, des noms de rues et des institutions portent la trace de ses membres influents, tandis que les idéaux d’égalité, de fraternité et de laïcité continuent de résonner dans la ville. En explorant cette histoire, on découvre une Orléans insolite, où les loges maçonniques ont forgé, dans l’ombre, une partie de l’identité de la cité johannique.
Sources
- Articles de La République du Centre : Archives sur les événements de 1907 et les figures maçonniques orléanaises (Fernand Rabier, Eugène Turbat, Jean Zay).
- Archives municipales d’Orléans : Documents relatifs aux rapports de Leclerc de Douy (1743) et aux fêtes johanniques de 1907.
- Daniel, Pierre. Histoire de la franc-maçonnerie française. Paris : Presses Universitaires de France, 2005.
- Combes, André. La franc-maçonnerie sous l’Ancien Régime. Paris : Éditions du Cerf, 1987.
- Ligou, Daniel. Dictionnaire de la franc-maçonnerie. Paris : PUF, 1987.
- Bauer, Alain, et Barraud, Pierre. Le pouvoir des francs-maçons. Paris : Plon, 2010.