Le mot du mois : « Je m’en veux »

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Quelle étrange expression !

Elle se décline à toutes les personnes avec tous les pronoms possibles de l’« accusation ». Qu’elle soit ou non assortie d’un « contenu ».
Et la force de sa signification tient justement à ce qu’elle s’ancre dans une ferme volonté et se suffit à elle-même, au-delà de l’adverbe éventuel qu’on lui adjoint. Tout est dans le « en ». Ressentiment, regret.
Dans sa forme pronominale, elle marque la souffrance de celui ou celle qui bat sa coulpe de l’échec de ses efforts. Et le désarroi ou la souffrance en sont d’autant plus intenses que la tentative est irrémédiable.

François Mauriac, avec une autodérision de bon aloi, s’évite les hématomes de la flagellation excessive :

« Je regrette mes péchés, mais je regrette plus encore ceux que j’eusse aimé commettre. »…

Je t’en veux !

L’acte de contrition étant rarement dans la nature humaine, il est si facile d’en vouloir à la terre entière de ses propres manques ou incompétences.
D’où une rancoeur, une rancune, qui « rancit » l’être, ses relations avec les autres. Le mot n’a pas d’étymologie connue en latin. On le trouve comme tel en anglais et en allemand. Le beurre, la crème sont rances, leur douceur et leur onctuosité sont définitivement gâtées. Bons à jeter.

Alors on peste, on déteste. Avec une mauvaise foi qui s’enferre souvent dans une haine sans motif, qui touche à l’identité même de l’autre. Cette racine de tous les racismes, à commencer par l’antisémitisme. Je t’en veux d’être ce que tu es, de me renvoyer l’image de ce que je ne suis pas ou voudrais être. Et ferme est ma volonté de te nuire.
Mais le repentir sincère est une denrée plutôt rare. Car il supposerait une lucidité pénible et l’acceptation de la peine subséquente.

enfant insécurisé

Nos sociétés de la parole immédiate, dans l’impunité de son anonymat, n’éprouvent pas la nécessité de la repentance, de la lucidité qu’elle sous-tend. Le mal est fait, répandu comme une traînée de poudre sur le support médiatique, cautionné comme tel en dépit de sa fausseté manifeste. On passe à autre chose sans se retourner sur le tort causé, irrécupérable et ravageur.

Nos sociétés, et l’exemple vient du plus haut, courent ainsi le risque de sombrer dans une profonde amertume, dans le chaos des injustices ou des désillusions invoquées. Le fiel ronge insidieusement l’impossible tissu des relations.
Entre la flagellation de soi et la haine de l’autre, ne pourrait-on pas glisser la relativisation par l’humour ?

L’Almanach du marin breton remet en autre perspective le regret éternel :

« Si tu veux savoir combien de gens te regretteront, plante ton doigt dans la mer, retire-le et regarde le trou. »

Un bon sens roboratif, n’est-ce pas ?

Annick DROGOU


De quoi t’en vouloir ?

Tu me dis que tu t’en veux. De quoi ? D’un oubli ? D’un rendez-vous manqué ? De m’avoir fait de la peine ? Du tort que tu ne voulais pas causer ? Du lait renversé ? Pourquoi t’en vouloir ?

À qui t’en prends-tu ? Serais-tu en colère contre toi-même ? Crains-tu qu’à mon tour je puisse t’en vouloir ? De quoi ? Crains-tu que je ne veuille plus vouloir, désirer, espérer, continuer notre doux commerce amical ? Je comprends bien que ce souci de toi est d’abord le souci de l’autre. « Je m’en veux », comme une simple formule qui veut dire « faites excuse », qui range tous les torts de ton côté, et semble indiquer que tu n’aurais pas été à la hauteur.

Oublie l’acte de contrition. « Je m’en veux », c’est une politesse et non une repentance. Heureuse expression qui dit notre civilité, qui clame surtout « ne m’en veux pas ». Nous avons besoin de ces mots pour désarmer, se comprendre mutuellement. « Je m’en veux » pour vouloir à nouveau le meilleur. Et conjuguons cela à tous les temps et sur tous les modes, « je m’en suis voulu », tout cela est derrière nous. « Je m’en voudrai » afin de rester en permanente courtoisie sur le chemin commun. Alors, ne t’en veux pas, et voulons, simplement ensemble. À l’impératif, un doux impératif comme le vélin soyeux d’une carte d’invitation, et pas un carton de condoléances. Sans regrets.

Jean DUMONTEIL

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