Peut-on faire l’économie – au sens de la discipline – de Dieu ? C’est la question à laquelle répond Paul Seabright, économiste franco-britannique et professeur à la Toulouse School of Economics, dans son livre intitulé “The Divine Economy”. S’inspirant d’Adam Smith, qui s’était déjà penché sur la compétition entre religions et leurs liens avec le politique, Seabright propose une analyse captivante.
Il examine la religion en termes de produits et services, qu’ils soient spirituels ou matériels, s’intéressant au commerce du salut et des âmes, à l’engagement fervent des croyants prêts à sacrifier leur vie, et aux structures organisationnelles robustes des cultes qui évoluent avec le temps. Pour Seabright, les religions sont des firmes en compétition, commercialisant leur foi comme d’autres marchandises.
L’auteur s’engage dans une étude qu’il qualifie d’« agnostique », focalisée non pas sur la théologie mais sur la pragmatique des religions. Il décrypte leurs proses plutôt que leurs poésies, s’inspirant de la célèbre phrase “c’est l’économie, idiot !” pour souligner que l’économie est la clé des mystères religieux. Il examine les transactions sacrées sous l’angle de l’offre et de la demande, où des prophètes deviennent des entrepreneurs, des ministères des gestionnaires de rituels, et les croyants, des clients fidèles. Les stratégies des mouvements religieux pour attirer et fidéliser les fidèles sont mises en lumière, montrant comment ils utilisent la mondialisation pour se renforcer.
Seabright va plus loin en comparant les religions à des plateformes concurrentes, fournissant services et liens communautaires, souvent plus efficaces que leurs équivalents séculiers dans le monde numérique. Elles créent du sens, de la communauté, mais peuvent aussi, lorsqu’elles sont détournées, mener à l’autoritarisme.
Le livre aborde des thèmes variés, de l’intime à l’organisationnel, en passant par le politique : quels besoins humains les religions comblent-elles ? Comment se structurent-elles ? Comment et pourquoi les croyants soutiennent-ils financièrement des clergés prospères ? Seabright confirme la vision de Malraux sur un 21ème siècle religieux, où la spiritualité ne recule pas mais s’affirme, même si en Europe et en Amérique du Nord on note un déclin apparent. Il utilise les enquêtes internationales sur les valeurs pour étayer ses propos, illustrant les flux financiers et l’influence politique des religions.
Pour résumer, Seabright nous rappelle avec humour la dualité de Nietzsche et de Dieu, soulignant ainsi la vitalité persistante de la foi. Il insiste sur la confiance et la transparence, tant sur le plan des scandales que de la gestion financière. Avec des titres comme “Les Dieux sont genrés”, il couvre un large spectre de croyances, avec une attention particulière pour l’islam et le christianisme, les plus globalisées.
Cet ouvrage est une surprise en France, terre de laïcité, mais reflète une réalité mondiale où le religieux influence de plus en plus la sphère publique. Original et percutant, “Divine économie” mérite une traduction pour sa contribution à la fois économique et sociologique.
Paul Seabright, The Divine Economy: How Religions Compete for Wealth, Power, and People, Princeton University Press, 2024, 485 pages.