sam 02 novembre 2024 - 06:11

Victor Hugo pratiquait-il réellement le spiritisme ?

De notre confrère europe1.fr – Par Stéphane Bern, édité par Alexis Patri 

“Esprit, es-tu là” ? Dans un numéro de “Historiquement vôtre” consacré aux personnages célèbres férus de spiritisme, Stéphane Bern fait le récit de la vie de Victor Hugo, et plus particulièrement de son attrait célèbre pour la chose. Invité d’Europe 1, le médecin légiste et anthropologue, Philippe Charlier, l’aide à éclairer cette passion occulte de l’homme de lettres.

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Nous sommes au mois de septembre 1854 sur l’île de Jersey, au large de la Normandie. Au loin, le vent souffle et de grandes vagues s’écrasent sur les plages de sable désertiques. Dans une maison isolée, face à la mer, Victor Hugo et un petit groupe de proches sont réunis autour d’une table. Très concentrés, ils attendent qu’un esprit venu de l’au-delà se manifeste. Les secondes passent, lentement. Soudain, ils sentent quelque chose. Ou peut-être quelqu’un.

Des bruits, quelques coups. Un étrange dialogue. C’est la mort qui leur parle. “Les époux charmants envolés dans le fleuve pensent à vous. Ils vous aiment, ils vous voient, ils vous attendent et vous gardent votre place dans l’immense baiser.” “La mort” parle là de la fille de Victor Hugo et son mari disparus quelques années plus tôt. La séance est interrompue par une visite impromptue, mais on imagine sans peine le désarroi, sans doute l’effroi, du petit groupe après ce dialogue avec la mort elle-même. Pourtant, Victor Hugo est un habitué de ces pratiques occultes. Depuis son arrivée sur l’île de Jersey, il a pris l’habitude de communiquer avec l’au-delà.

Retour au début de l’histoire

Mais revenons aux origines. Dès son plus jeune âge, Victor Hugo témoigne un grand intérêt pour l’écriture. À 14 ans, il écrit dans son journal : “Je veux être Chateaubriand ou rien”. Victor Hugo écrit de la poésie, du théâtre mais surtout, en 1831, à seulement 30 ans, il publie son premier roman historique, Notre-Dame de Paris, qui fait de lui l’un des auteurs les plus connus de France.

Côté cœur, le 12 octobre 1822, Victor Hugo épouse Adèle Foucher, une amie d’enfance. Ils auront en tout cinq enfants. Pourtant, on ne peut pas dire que le couple soit heureux en ménage. Victor Hugo entame une relation amoureuse avec Juliette Drouet, une comédienne qui devient sa muse, sa compagne de l’ombre.

Pour elle, Victor Hugo compose de poignants poèmes. Il écrit aussi des pièces de théâtre. Cromwell et Hernani font de Victor Hugo l’un des chefs de fil du romantisme, un courant artistique qui prône la sensibilité et l’expression des sentiments dans la littérature. 

Le temps de l’exil vers Jersey

En 1841, après s’être présenté plusieurs fois sans succès, Victor Hugo est enfin élu à l’Académie française. Hélas, sa joie est de courte durée. Sa fille adorée Léopoldine, âgée de 19 ans seulement, meurt noyée avec son époux dans un accident de barque. Victor Hugo est en voyage quand l’accident se produit et il apprend la nouvelle en lisant les journaux. Il ne se remettra jamais de cette terrible perte.

Est-ce d’ailleurs pour rétablir un contact avec sa fille disparue trop tôt que Victor Hugo se tourne vers les mystères de l’au-delà ? Oui, mais sans doute aussi par ennui. En 1851, le Président Louis-Napoléon Bonaparte organise un coup d’État pour devenir l’empereur Napoléon III. Victor Hugo, qui est son plus farouche opposant politique, s’exile avec sa famille. Direction l’île indépendante de Jersey, située entre la France et l’Angleterre.

Sur place, il n’y a pas grand-chose pour se divertir, si ce n’est d’étranges histoires de fantômes. “Jersey est un endroit où il y n’avait vraiment beaucoup d’activités, mises à part quelques promenades”, explique le médecin légiste et anthropologue Philippe Charlier au micro de “Historiquement vôtre”. “C’est quand même un endroit où l’on embêtait sec. Le spiritisme pouvait être un moyen de tromper son ennui”, poursuit-il.

On raconte donc que la maison où Victor Hugo réside est hantée. Sur la plage, les nuits de pleine lune, un décapité errerait inlassablement à la recherche du repos éternel. La Dame blanche, une jeune femme infanticide apparaîtrait aussi de temps en temps sur les rochers. Il y a là de quoi enflammer l’imagination de l’homme de lettres.

Le spectre de sa fille Léopoldine

Au début de son exil, une amie en visite, la poétesse Delphine de Girardin, lui parle d’une science nouvelle qui ferait parler les morts. Victor Hugo, un peu perplexe mais poussé par sa fille Adèle, accepte de se prêter au jeu. Victor Hugo, sa femme, ses enfants, et quelques amis prennent place autour d’une table ronde sur laquelle est posé un guéridon à trépied. Delphine de Girardin demande à deux participants de mettre leurs mains à plat sur la table. “Posez vos questions, la table répond en frappant un coup pour oui, deux coups pour non”, explique Delphine de Girardin. Rien ne se passe, pourtant Delphine de Girardin persévère. “Les Esprits ne sont pas des chevaux de fiacre qui attendent patiemment le bourgeois, mais des êtres libres et volontaires qui ne viennent qu’à leur heure”, déclare-t-elle.

“Lorsqu’il découvre cette technique de dialogue avec les morts, Victor Hugo ne pense qu’à entrer en contact avec sa fille Léopoldine”, décrypte le spécialiste Philippe Charlier, pour qui il y avait donc une vraie attente de la part de l’homme de lettre.

Sous l’impulsion de Delphine de Girardin, l’assemblée renouvelle l’expérience les jours suivants. Cette fois, un esprit se manifeste. Il s’agit de Léopoldine. La fille de Victor Hugo morte noyée dix ans auparavant, cherche à communiquer avec ses parents. Sous le choc, sa mère reste sans voix. Tout le monde pleure. Victor Hugo en est désormais persuadé, les esprits existent. Il écrit : “Voilà qui est prodigieux ! Il n’y a rien à répondre à cela. Je me déclare convaincu.” Pendant les deux années qui suivent, la famille Hugo interroge longuement et presque quotidiennement les morts.

Ils invitent des amis ou des connaissances à participer, mais un certain nombre d’en eux reste sceptique. Le 14 septembre 1853, Juliette Drouet, la maîtresse de Victor Hugo, lui écrit ces mots : “Quant à vos diableries j’y vois pour l’avenir plus d’inconvénient que de plaisir […] ce passe-temps a quelque chose de dangereux pour la raison, s’il est sérieux […] et d’impie, pour peu qu’il s’y mêle la moindre supercherie.”

Des esprits 5 étoiles

Mais Victor Hugo y croit dur comme fer. Il devient un enragé de ces séances de spiritisme qui lui permettent de parler avec de célèbres visiteurs venus de l’au-delà. Le casting fait rêver. Jésus Christ se manifeste, ainsi que Molière, Dante, Mozart ou encore Machiavel. “On peut ajouter Mahomet et le Masque de fer”, précise Philippe Charlier. “Ce ne sont que des personnages célèbres, car il faut se mettre à la hauteur de Victor Hugo. Pour lui parler, on ne peut pas être n’importe qui.”

Le grand dramaturge William Shakespeare dicte à Victor Hugo une pièce directement en Français car “la langue anglaise est inférieure à la langue française”. Le poète André Chénier, guillotiné sous la Révolution, revient pour terminer plusieurs œuvres inachevées. “Dans le style c’est du Victor Hugo. Mais le spiritisme a dopé sa créativité”, analyse Philippe Charlier.

Lors de certaines séances il arrive que le guéridon, guidé par un revenant, dessine. L’un de ces dessins a été conservé, et il est particulièrement impressionnant. On y voit une tête de cadavre, aux yeux vides, coiffée d’un chapeau, le sourire grimaçant et surdimensionné. A chaque séance de spiritisme, Victor Hugo consigne ses conversations avec les esprits dans des cahiers. Le résultat est saisissant. Des questions métaphysiques sont soulevées : un châtiment attend-il les méchants dans l’au-delà ?

“Victor Hugo finit par se lasser”

Les sceptiques ne manqueront pas de soulever que les esprits sont souvent d’accord avec les apprentis médiums : ils n’ont pas l’air d’apprécier la politique de Napoléon III, ennemi juré de Victor Hugo, mais chantent la gloire de ce dernier. Ils lui demandent aussi de reprendre la rédaction de son fameux roman Les Misérables ou d’écrire un poème. Ce sera Ce que dit la bouche d’ombre, dont voici un vers : “Le spectre m’attendait ; l’être sombre et tranquille. Me prit par les cheveux dans sa main qui grandit”. 

Au cours d’une réunion, Jules Allix, l’un des participants, devient quasiment fou, victime d’une crise de démence. Les séances de spiritisme s’espacent. Sans doute aussi Victor Hugo se lasse-t-il d’explorer le monde de l’au-delà. A son départ de l’île de Jersey en 1855, il ne convoque quasiment plus les esprits chez lui. “Au bout de deux ans d’exercice, et en voyant les effets secondaires, Victor Hugo finit par se lasser de l’exercice, il en fait le tour”, résume Philippe Charlier.

Des récits des séances en partie disparus

Victor Hugo revient en France après la chute de Napoléon III en 1870. Il est accueilli triomphalement en héros de la République. Successivement élu à l’Assemblée nationale puis au Sénat, il meurt finalement le 22 mai 1885, à l’âge de 83 ans.

C’est alors que la passion de Victor Hugo pour l’au-delà refait surface. Dans son testament, l’écrivain lègue le compte-rendu de ses séances de spiritisme à la Bibliothèque Nationale de France afin qu’il soit publié sous le nom du Livre des tables. Mais l’exemplaire unique, rédigé à la main par Victor Hugo, disparaît. Depuis, une partie seulement du livre est réapparue et a été publiée. “Elle se lit presque comme un roman”, selon Philippe Charlier. Quant aux pages manquantes, elles ne sont pas prêtes de nous livrer leurs secrets.

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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