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La légende d’Arthur se classe parmi les mythes les plus emblématiques de l’histoire occidentale, symbolisant des idéaux tels que le courage, la justice et la quête de sens. Cette épopée, qui a perduré à travers les âges, puise ses origines dans les récits médiévaux, tout en évoluant au fil des ans. Dans ce qui suit, nous proposons une analyse approfondie des racines de cette légende captivante, en explorant le contexte historique et la naissance du roi Arthur légendaire.
La légende arthurienne est principalement connue grâce aux œuvres de plusieurs auteurs médiévaux tels que Chrétien de Troyes, Robert de Boron et Wolfram von Eschenbach. Toutefois, ces écrits ne sont pas les plus anciens à mentionner le roi Arthur. Avant d’examiner son règne, il est essentiel de revenir sur les événements légendaires qui précèdent, notamment l’histoire de l’île de Bretagne lors de la fin de l’Empire romain et au début du Haut Moyen Âge.
L’histoire débute avec le roi Constantin II, surnommé le Béni, qui règne sur l’île de Bretagne au moment où les Romains abandonnent le territoire. Face aux invasions barbares des peuples germaniques et aux attaques des Pictes venant du nord, Rome n’a plus les moyens de défendre la province. Constantin parvient pendant un temps à préserver le royaume, mais il est finalement assassiné par ses ennemis, plongeant le royaume dans une crise de succession.
Le roi Constantin laisse derrière lui trois fils : Constant, l’aîné, suivi d’Ambrosius, et enfin Uther. La succession s’avère difficile, car les nobles bretons sont divisés, chacun soutenant un prétendant différent. C’est finalement Vortigern, un puissant seigneur et ambitieux politicien, qui impose Constant, le fils aîné, sur le trône. Cette manœuvre permet à Vortigern de contrôler indirectement le royaume. Pendant ce temps, Ambrosius et Uther, les deux autres fils de Constantin, s’exilent sur le continent, fuyant les troubles en Bretagne.
C’est dans ce contexte de trahison, de guerre civile, et d’invasions barbares que l’histoire d’Arthur prendra racine, et qu’il sera appelé à restaurer l’ordre et la paix sur l’île de Bretagne.
Le roi Constant n’était pas destiné à régner, son père l’ayant envoyé au monastère pour devenir ecclésiastique. Mais Vortigern, cherchant à asseoir son pouvoir, voit en Constant un roi faible qu’il peut manipuler. Une fois Constant sur le trône, Vortigern consolide son influence avant de faire exécuter le roi, s’autoproclamant ensuite roi de Bretagne. Il envisage une alliance avec les Saxons pour se défendre contre les autres fils de Constantin. Cependant, Ambrosius et Uther, déterminés à venger leur père, mettent leurs différends de côté pour renverser Vortigern et protéger l’île de Bretagne. Avec une armée formée aux tactiques romaines, ils repoussent les envahisseurs saxons. Vortigern est tué par Ambrosius, qui devient alors roi de Bretagne, tandis qu’Uther prend le commandement des armées, chargé d’éliminer toute autre menace.
Uther, accompagné du sage Merlin, se rend en Irlande pour ramener les mégalithes de Stonehenge en Angleterre. À son retour, il trouve le roi Ambrosius Aurelianus mourant, empoisonné par un assassin saxon. Ainsi, Uther devient roi de l’île de Bretagne, prenant pour emblème un dragon, d’où son surnom “Pendragon” (Tête de Dragon). La guerre contre les Saxons se poursuit sous son règne, et Uther doit livrer plusieurs batailles pour protéger son territoire. L’un de ses vassaux les plus importants est Gorlois, duc de Cornouailles, marié à Ygerne. Uther tombe profondément amoureux d’Ygerne, ce qui crée des tensions entre les seigneurs bretons. Merlin, voyant la situation se détériorer, propose à Uther une solution : il lui permettra de passer une nuit avec Ygerne, à condition que cela mette fin au conflit.
Uther accepte l’offre de Merlin, qui utilise sa magie pour donner à Uther l’apparence de Gorlois, permettant ainsi au roi d’entrer dans le château de Tintagel. Merlin avertit Uther de ne pas faire de mal à Gorlois et prédit qu’un fils, destiné à un grand avenir, naîtra de cette union. Uther accepte les conditions de Merlin à contrecœur. Déguisé en Gorlois, Uther entre dans le château et passe la nuit avec Ygerne, tandis que Gorlois se trouve sur le champ de bataille, combattant les armées d’Uther. Cependant, Uther trahit Merlin en ordonnant l’assassinat de Gorlois. Alors qu’Uther quitte Tintagel le lendemain matin, la dépouille de Gorlois est ramenée au château, révélant à Ygerne qu’elle n’a pas partagé sa couche avec son mari la nuit précédente.
Neuf mois plus tard, Arthur naît et Merlin vient le chercher pour l’emmener. Ygerne, désormais mariée à Uther, accepte à contrecœur que son fils soit confié à Merlin. Le jeune Arthur est placé sous la garde du chevalier Anthor, qui lui assure une éducation militaire et morale exemplaire. Pendant ce temps, Uther continue à combattre les envahisseurs saxons. Sa dernière campagne le conduit à affronter Octa, fils de Heingist, à St Alban, où il trouve la mort en buvant de l’eau empoisonnée par ses ennemis. La mort d’Uther plonge l’île de Bretagne dans le chaos, la laissant à la merci des hordes saxonnes.
La chute de Rome et les invasions saxonnes : le Haut Moyen Âge (Partie 1)
Au début du 5ème siècle, l’Empire romain est en déclin et subit de plus en plus d’invasions barbares le long de ses frontières. En 407, les légions romaines stationnées en Bretagne s’émancipent de l’autorité impériale et proclament Constantin III empereur de Bretagne et des Gaules. Constantin III, qui peut être assimilé à Constantin le Béni dans la légende arthurienne rapportée par Geoffrey de Monmouth, était un seigneur breton ayant reçu une formation militaire romaine. Il parvient à repousser les Saxons et les Pictes, tout en stabilisant la Gaule avec l’aide des Francs, un peuple fédéré chargé de protéger la frontière du Rhin. Constantin étend son influence jusqu’en Espagne, rappelant l’idée du royaume de Logre dans la légende, qui ne se limite pas à l’île de Bretagne mais englobe également une large part du continent.
En 408, Constantin III nomme son fils Constant césar de l’Empire et le désigne comme son héritier, un autre lien avec la légende arthurienne.
L’empereur Flavius Honorius règne sur Rome, mais il reconnaît Constantin III comme co-empereur, acceptant son autorité. En 410, Constantin III se rend à Rome pour protéger la ville des barbares, mais l’Espagne se révolte contre lui, et il est finalement vaincu en 411, ainsi que son fils. Pendant ce temps, la Bretagne se retrouve sans armée pour se défendre et subit de nouvelles incursions des barbares saxons. L’Empire romain, affaibli, n’a plus les moyens de protéger ce territoire éloigné. Entre 425 et 450, les chroniques de Nennius et de Gildas le Saint font apparaître la figure de Vortigern, un seigneur breton qui fonde un royaume indépendant pour résister aux invasions germaniques.
L’histoire de la province romaine de Bretagne a clairement inspiré la légende arthurienne. Un autre personnage historique, Ambrosius Aurelianus, fait son apparition peu après. Il semble être un chef de guerre breton romanisé, bien qu’il ne soit pas forcément un roi. Ambrosius combat les Saxons entre 460 et 480, tout comme dans les récits légendaires d’Arthur. Face à la progression des envahisseurs qui contrôlent désormais toute la côte est de l’Angleterre, Ambrosius fuit en Armorique (la Bretagne continentale). Ce général romain, d’origine bretonne, est parfois décrit comme un consul. Sa retraite en Armorique semble correspondre à celle d’Ambrosius dans la légende, où il s’enfuit pour échapper à Vortigern, qui s’est allié aux Saxons.
Il est possible qu’il y ait eu deux personnages portant le nom d’Ambrosius, un père et un fils, ce qui expliquerait certaines incohérences chronologiques dans les récits. Après sa retraite stratégique, le général romain tente de reconquérir la Bretagne, conduisant à la bataille du Mont Badon, souvent attribuée à Arthur dans la légende. Cependant, les chroniques les plus anciennes ne mentionnent pas Arthur lors de cette bataille. Il est probable que cette victoire soit le résultat d’une alliance bretonne menée par un général romain comme Ambrosius entre 480 et 500. Uther Pendragon, le père légendaire d’Arthur, n’a pas de sources historiques confirmant son existence, et son rôle reste donc purement mythologique.
Pour situer ces événements dans leur contexte historique, il est important de rappeler que :
- En 407, Constantin III, connu sous le nom de Constantin le Béni dans la légende, est proclamé empereur.
- Les invasions saxonnes commencent vers 410, coïncidant avec le retrait des troupes romaines de Bretagne.
- En 410, l’empereur Flavius Honorius appelle les Bretons à assurer seuls leur défense, même si le territoire reste symboliquement rattaché à l’Empire.
Le 5ème siècle marque donc une période de guerre et de violence pour la Bretagne. Le territoire, déjà christianisé et romanisé, est défendu par des chefs de guerre bretons issus de l’aristocratie militaire, formée par les Romains. Ce système de défense persiste jusqu’à la fin du 5ème siècle. Pendant que l’Empire romain s’effondre, les peuples fédérés tels que les Francs, les Wisigoths, les Ostrogoths et les Bretons fondent des royaumes sur les ruines de l’Empire. C’est dans ce contexte que la bataille du Mont Badon se déroule, avec les Bretons repoussant les Saxons vers 495 selon les sources. Les chroniques de Gildas au 6ème siècle et de Bède au 8ème siècle attribuent cette victoire à Ambrosius Aurelianus. Ce n’est qu’au 9ème siècle que les “Annales Cambriae” et l’”Historia Brittonum” de Nennius mentionneront Arthur comme héros de la bataille, qu’ils datent de 516.
La légende du Roi Arthur
Arthur, désormais un jeune homme, découvre un royaume plongé dans l’anarchie après la mort de son père Uther plusieurs années auparavant. Merlin, le sage conseiller, décide qu’il est temps de révéler le destin d’Arthur. Le jeune homme apprend alors la vérité sur ses origines et son rôle à venir. Cependant, pour devenir roi, il doit d’abord être reconnu par les grands seigneurs de Bretagne, qui sont divisés et en guerre entre eux. Ces seigneurs, habitués à leur indépendance, doivent être unis sous un roi pour que l’île retrouve sa cohésion, une cohésion perdue quand Uther a semé la discorde en convoitant la femme de Gorlois, duc de Cornouailles.
Guidé par Merlin, Arthur est conduit vers un rocher sacré où une relique ancienne, l’épée des Rois, est figée. Selon la légende, celui qui parviendra à la retirer deviendra le roi de Logre, un vaste royaume comprenant la Bretagne, l’Armorique, l’Aquitaine, l’Écosse, le pays de Galles, l’Irlande et l’Angleterre. Contrairement à une idée répandue, l’épée des Rois n’est pas Excalibur, mais une autre épée, distincte de celle que la Dame du Lac offrira plus tard à Arthur.
Arthur parvient à s’emparer de l’épée des Rois et est reconnu comme le souverain légitime du royaume de Logre, affirmant également sa filiation en tant que fils du roi Uther Pendragon. Cependant, sa demi-sœur, la fée Morgane, fille de Gorlois et d’Ygerne, refuse d’accepter cette ascension et complote contre lui avec l’aide de certains seigneurs mécontents. Arthur reçoit un autre présent magique, l’épée Excalibur, offerte par la Dame du Lac, une magicienne bienveillante. Ce puissant artefact l’aidera à lutter contre ses ennemis. Arthur épouse Guenièvre, une princesse chrétienne, incarnant ainsi l’union entre le paganisme ancien de l’île de Bretagne et la nouvelle foi chrétienne.
Arthur est décrit non pas comme un roi avide ou cruel, mais comme un souverain juste et noble, animé par des idéaux chevaleresques. Il décide de créer un ordre de chevalerie, où tous les membres, quel que soit leur statut social, seraient égaux. Seuls les plus courageux et honorables sont admis dans cet ordre : les chevaliers de la Table Ronde. Ces derniers doivent avoir accompli des exploits militaires et partager les valeurs de justice, d’honneur et de courage.
Rapidement, Arthur doit faire face à une menace grandissante : une armée saxonne puissante menace de ravager le royaume. Le roi et ses chevaliers engagent la bataille au Mont Badon, remportant une victoire décisive qui renforce l’unité et la gloire du royaume. Le règne d’Arthur débute sous de bons auspices avec cette victoire militaire éclatante et la création de l’ordre de la Table Ronde, marquant une période de prospérité et de félicité pour Logre.
Cependant, des prophéties sombres annoncent l’arrivée de temps troublés, et le royaume semble touché par une étrange malédiction. Le salut du pays résiderait dans la découverte d’une relique sacrée : le Graal, qui pourrait apporter la félicité éternelle au royaume de Logre. Les chevaliers de la Table Ronde partent en quête de cette relique divine, mais la tâche est ardue. Seul un chevalier pur de cœur peut espérer trouver cet artefact. Nombreux sont ceux qui échouent, périssent, ou sombrent dans la folie durant cette quête, tandis que la menace saxonne demeure, tapie dans l’ombre.
Le temps passant, Arthur n’a pas d’héritier de son mariage avec Guenièvre. Cette dernière tombe amoureuse du chevalier Lancelot, l’un des plus vaillants et proches conseillers du roi. Leur relation secrète fragilise le pouvoir d’Arthur et provoque l’exil de Lancelot. Par ailleurs, Arthur a un fils bâtard, Mordred, né de sa relation avec sa sœur Morgane, qui avait usé de la magie pour séduire son frère, en quête de vengeance. Mordred, bien que brillant chevalier de la Table Ronde dans un premier temps, finit par trahir son père.
Lorsque Arthur part en campagne militaire en Armorique, Mordred saisit l’occasion pour usurper le pouvoir et s’emparer de Guenièvre. Pour rétablir l’ordre, Arthur doit prendre les armes contre son propre fils. Mordred, dans sa quête de pouvoir, s’allie aux Saxons, à l’image de Vortigern avant lui. Les deux armées s’affrontent lors de la bataille de Camlann, où père et fils s’entretuent dans un combat fratricide. Arthur meurt, mais les chevaliers de la Table Ronde réussissent tout de même à repousser les envahisseurs saxons.
La mort d’Arthur marque la fin de l’âge d’or du royaume de Logre. Sa dépouille est emmenée sur l’île d’Avalon par Morgane, où la légende dit qu’il repose en attendant de revenir pour protéger son peuple en cas de nouveau danger. Après lui, Constantin III, fils de Cador, duc de Cornouaille, monte sur le trône et continue la lutte contre les fils de Mordred et les Saxons. Cependant, malgré quelques rois légendaires qui lui succèdent, le royaume finit par succomber aux envahisseurs saxons. Selon la légende, le roi Arthur reviendra de l’île d’Avalon lorsque le royaume sera de nouveau menacé, prêt à protéger à nouveau la terre de Logre.
L’installation des Saxons et la résistance bretonne : le Haut Moyen Âge (Partie 2)
Historiquement, l’existence réelle d’Arthur ne peut pas être prouvée. Les plus anciens textes historiques de Bretagne, comme ceux de Gildas le Sage et de Bède le Vénérable, ne le mentionnent pas, ni son père Uther Pendragon. L’Arthur littéraire n’apparaît qu’à partir du 9ème siècle avec les Annales Cambriae et l’Historia Brittonum de Nennius. À cette époque, Arthur n’était pas encore associé à la légende du Saint Graal et aux chevaliers de la Table Ronde, ce qui ne viendra qu’avec les romans du 12ème siècle.
La victoire des Bretons sous la conduite d’Ambrosius Aurelianus n’a pas mis un terme aux incursions saxonnes, et celles-ci reprennent avec encore plus de force, permettant aux Saxons d’imposer leur domination sur l’île de Bretagne. Cela conduit à la fondation de nouveaux royaumes par les envahisseurs Angles et Saxons. Le Wessex est le premier à émerger vers la fin du Vᵉ siècle, avec le roi Cynric, qui aurait affronté Ambrosius lors de la célèbre bataille du Mont Badon. Le Wessex étend progressivement son influence sur le sud de l’Angleterre. Ensuite, au VIᵉ siècle, le royaume de Mercie devient la puissance dominante sur la majeure partie de l’Angleterre. D’autres royaumes se forment également : le Kent, l’Est-Anglie, le Sussex, l’Essex et la Northumbrie, achevant ainsi la conquête de l’île. Seuls le pays de Galles, la Cornouaille et les peuples d’Écosse parviennent à résister aux envahisseurs. Le VIᵉ siècle marque donc la fin de l’hégémonie bretonne sur l’île de Bretagne au profit des Anglo-Saxons.
C’est dans cette période troublée des Vᵉ et VIᵉ siècles que l’on doit chercher les personnages historiques susceptibles d’avoir inspiré la figure légendaire d’Arthur et la fameuse bataille de Camlann. Il ne s’agit pas ici de rechercher l’Arthur créateur de la Table Ronde, mais plutôt le Dux Bellorum (chef de guerre) décrit dans les premiers récits du IXᵉ siècle. Plusieurs théories existent, bien qu’aucune ne fasse l’unanimité :
La plus simple suggère qu’Arthur serait en réalité Ambrosius Aurelianus, jeune leader breton qui aurait participé à la bataille de 495. Arthur, selon cette hypothèse, serait donc un chef de guerre breton, issu de l’armée romaine. Dans la chronique de Nennius, Arthur n’est pas mentionné comme roi, mais comme Dux Bellorum, un chef militaire britto-romain combattant les Saxons. Il est donc plausible qu’Arthur soit inspiré par un général breton, romanisé et chrétien, luttant contre les envahisseurs païens. D’autres théories romaines tentent de lier Arthur à d’autres figures militaires, mais elles ne s’accordent pas avec les dates chronologiques qui situent la légende entre 450 et 550.
Une autre hypothèse fait d’Arthur une figure de la résistance galloise face aux Saxons, distincte d’Ambrosius. Le pays de Galles ayant réussi à repousser les Saxons, il est tout à fait envisageable qu’un chef de guerre local se soit illustré au point de donner naissance à la légende. Une théorie supplémentaire associe Arthur au chef de guerre Riothamus, souvent surnommé “roi des Bretons” (probablement ceux d’Armorique). Riothamus aurait combattu les Wisigoths au nom de l’empereur Anthémius entre 468 et 469. Cependant, les sources historiques à son sujet sont rares, et certains historiens pensent qu’il pourrait s’agir d’Ambrosius Aurelianus sous un autre nom. Cette hypothèse rejoint donc la première. Enfin, une dernière théorie, allégorique, suggère qu’Arthur est davantage un symbole collectif de la résistance bretonne, plutôt qu’une figure historique réelle, son nom ayant été commun à l’époque britto-romaine. Cela n’exclut pas que plusieurs personnages historiques aient contribué à façonner certains aspects du mythe.
En guise de conclusion personnelle, il me semble que la figure d’Arthur résulte d’un syncrétisme astucieux de trois éléments principaux :
- Arthur comme symbole de la résistance galloise : Les premiers textes mentionnant Arthur proviennent du pays de Galles. Le personnage n’aurait pas d’existence historique propre, mais incarnerait les luttes d’un peuple contre un autre.
- Arthur et Ambrosius Aurelianus : Arthur prend la forme d’Ambrosius, le défenseur historique de l’île de Bretagne. Tous les chefs de guerre gallois ultérieurs deviennent symboliquement de nouveaux Ambrosius, se cristallisant sous le nom d’Arthur.
- L’aspiration messianique : Arthur est celui qui a défendu l’île et qui, un jour, reviendra pour la sauver. Il devient donc un symbole d’identité et d’indépendance pour les Bretons sous occupation anglo-saxonne.
Quant à l’Arthur mystique, il ne prend forme qu’au XIIᵉ siècle, se fondant sur une figure mythologique galloise qui incarne à la fois la résistance bretonne et l’héritage de l’Empire romain disparu lors des âges sombres des Vᵉ et VIᵉ siècles.
La création du mythe d’Arthur
La légende arthurienne prend véritablement son essor sous la plume de Geoffrey de Monmouth au XIIᵉ siècle, et dans un premier temps, elle constitue avant tout une subtile manœuvre politique. Pour mieux comprendre cette intrigue, revenons brièvement sur le fil de l’histoire.
Au VIᵉ siècle, les Anglo-Saxons établissent plusieurs royaumes sur l’île de Bretagne. Toutefois, le peuple breton ne disparaît pas pour autant, et des régions comme le pays de Galles et la Cornouaille demeurent libres. Progressivement, vers la fin du IXᵉ siècle, période à laquelle Arthur commence à apparaître dans les textes, les différents royaumes anglo-saxons se rassemblent pour former un seul royaume : l’Angleterre. La population de ce royaume est alors composée de Bretons, d’Anglo-Saxons, et de Danois. Ces derniers, après avoir mené plusieurs vagues d’invasions sur les côtes bretonnes, finissent par s’implanter progressivement dans certaines régions, bien que le pouvoir central reste sous le contrôle des Anglo-Saxons.
C’est dans ce contexte d’unification et d’invasions que le mythe d’Arthur émerge, façonné pour répondre aux enjeux politiques de l’époque et pour rallier les différents peuples sous une même bannière.
En 1066, à la mort du roi Édouard le Confesseur, dernier monarque saxon de la maison du Wessex, une crise de succession éclate. Plusieurs prétendants s’affrontent pour le trône d’Angleterre. Les nobles saxons élisent Harold Godwinson, un membre de la maison du Wessex, mais Guillaume, duc de Normandie, revendique également la couronne. Cette même année, Guillaume envahit l’île de Bretagne, la conquiert, et instaure une nouvelle dynastie. C’est ainsi que débute la domination normande en Angleterre. Si les Bretons s’allient d’abord aux Normands, une fois le pays pacifié, ils commencent à les percevoir comme de nouveaux envahisseurs.
Sous le règne d’Étienne, petit-fils de Guillaume le Conquérant, Geoffrey de Monmouth écrit entre 1135 et 1138 l’Historia Regum Britanniae. Ce texte reprend les récits légendaires de Nennius au IXᵉ siècle, en relatant le passé mythique de la Bretagne, notamment les règnes d’Uther Pendragon et surtout celui d’Arthur. Dans la tradition bretonne, Arthur est un roi qui devait un jour revenir pour chasser les Saxons de l’île. Or, ce sont les Normands, sous Guillaume, qui ont vaincu les Saxons. Geoffrey de Monmouth tisse une filiation légendaire entre Guillaume le Conquérant et Arthur, dans le but de légitimer la domination normande sur le trône d’Angleterre et de rallier les Bretons à leur cause.
La manipulation légendaire ne s’arrête pas là. L’Angleterre plonge dans une guerre civile opposant le roi Étienne à l’impératrice Mathilde, fille du précédent roi. Finalement, c’est Henri II Plantagenêt, fils de Mathilde, qui accède au trône en 1154. Mais dans l’esprit des Bretons, le retour d’Arthur aurait été bien préférable à l’arrivée d’un roi issu de la noblesse angevine. C’est dans ce contexte que, presque miraculeusement, des moines de l’abbaye de Glastonbury découvrent en 1191 les tombes du roi Arthur et de la reine Guenièvre. Cela met un terme à l’espoir d’un retour d’Arthur et oblige les Bretons à accepter Henri II Plantagenêt et ses descendants comme leurs souverains légitimes. Afin de renforcer cette légitimité, Wace rédige le Roman de Brut, un texte diffusé à la fois en Angleterre et dans les territoires français contrôlés par les Plantagenêts.
La légende arthurienne, d’abord utilisée pour légitimer les ambitions des Normands puis celles des Plantagenêts, n’aurait peut-être pas survécu jusqu’à nos jours si elle s’était arrêtée là. L’essentiel est de comprendre comment cette figure héroïque, issue de la résistance bretonne face aux Saxons et inspirée par Ambrosius Aurelianus, s’est transformée en un conte initiatique. Au fil des siècles, le récit d’Arthur s’est progressivement imprégné de la tradition mythologique celtique, formant ainsi ce que l’on appelle la matière de Bretagne.
Les récits arthurien se sont rapidement enrichis et complexifiés, au gré des auteurs. C’est finalement Chrétien de Troyes qui a donné à cette légende une nouvelle dimension à travers des œuvres comme Lancelot ou le Chevalier à la Charrette, Yvain ou le Chevalier au Lion, et surtout Perceval ou le Conte du Graal. Il y dépeint la célèbre cour du roi Arthur et ses chevaliers de la Table Ronde. Toutefois, notre intérêt ici réside dans la construction de la légende elle-même. Depuis le IXᵉ siècle, le personnage arthurien, nourri d’inspirations historiques diverses, prend forme, avec en toile de fond des événements marquants comme la conquête saxonne de la Bretagne et la résistance bretonne. Les œuvres de Geoffrey de Monmouth et de Wace ont contribué à complexifier ce personnage, mais c’est Chrétien de Troyes qui introduit le code moral de la chevalerie. Ses textes, rédigés à la fin du XIIᵉ siècle, coïncident avec l’époque des croisades et l’émergence de la chevalerie, une période durant laquelle ses mécènes, Henri de Champagne et Philippe de Flandre, participent activement aux croisades.
Chrétien de Troyes décrit des batailles et des tournois de chevalerie en phase avec son temps, bien que la chevalerie n’ait pas existé au Vᵉ siècle, époque supposée de la légende d’Arthur, pas plus que l’amour courtois, qui naît en Occitanie et se diffuse au XIIᵉ siècle. Il se sert de la figure d’Arthur pour illustrer un roi juste et honorable, entouré de chevaliers dont les idéaux sont inébranlables, prêts à risquer leur vie pour défendre la veuve et l’orphelin. Les romans arthurien, tant ceux de Chrétien de Troyes que ceux de ses successeurs, exaltent la chevalerie chrétienne du Moyen Âge tout en puisant dans les traditions païennes des légendes bretonnes du Vᵉ siècle. Arthur devient alors le symbole du roi idéal, représentant une société utopique fondée sur une vision idéalisée de l’Empire romain disparu, un monde ancien et parfait.
Ainsi, Chrétien de Troyes et les nombreux auteurs qui lui ont succédé ont non seulement retranscrit les aspirations de leur époque à travers un prisme littéraire nourri d’un passé mythique, mais ils ont également créé une nouvelle ère : celle des légendaires chevaliers de la Table Ronde.
Conclusion
La légende arthurienne est une fusion fascinante de réalité historique et de mythologie, enrichie au fil des siècles par des auteurs médiévaux. Ce mythe, qui trouve ses racines dans les troubles de la fin de l’Empire romain et les invasions saxonnes, a évolué pour devenir un symbole de bravoure, de justice et de quête spirituelle. À travers les récits de Geoffrey de Monmouth, Chrétien de Troyes et bien d’autres, Arthur est passé d’un chef de guerre breton à un roi légendaire entouré de chevaliers héroïques. Aujourd’hui, cette légende continue de captiver l’imagination, représentant l’idéal d’un passé héroïque et utopique.
Bibliographie :
- Les textes de Chrétiens de Troyes 12ème siècle
- La Légende Arthurienne, Robert laffont
- La morte d’Arthur, Thomas malory 15ème siècle
- Jean Markale, le cycle du Graal
- Roman de Brut, Wace 12ème siècle
- Annales Cambriae, Historia Brittonum 9ème siècle
- Marguerite-Marie Dubois, Le roman d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde
- Anne Berthelot, Arthur et la Table ronde : La force d’une légende