lun 16 septembre 2024 - 15:09

Franc-maçonnerie et totalitarisme : Les enseignements de “La Ferme des animaux” de George Orwell

Dans ce texte, nous explorons dans un premier temps une recension du célèbre roman La Ferme des animaux de George Orwell, un pamphlet politique dénonçant les dérives totalitaires, à travers une fable animale qui critique en particulier le régime stalinien. L’œuvre met en lumière les mécanismes de corruption du pouvoir et les trahisons qui peuvent émerger dans des systèmes prétendument égalitaires.

Dans une seconde partie, ce récit est transposé dans un contexte maçonnique, illustrant comment un grand maître peut détourner les principes de fraternité, de liberté et d’égalité pour centraliser le pouvoir et instaurer un régime autoritaire. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

La Ferme des animaux (Paris, éd. Champ Libre, 1981) ou Animal Farm (Londres, éd. Secker & Warburg, 1945) en anglais, est une œuvre qui transcende son apparence de simple fable animalière pour se révéler comme un puissant pamphlet politique et social, un miroir de l’humanité déformé par le prisme de la satire. Ce court roman, publié en 1945, se distingue par son audace narrative et sa lucidité désespérée, offrant une critique acerbe des systèmes totalitaires, et en particulier du régime soviétique stalinien, tout en dressant un tableau plus large des dangers inhérents à toute forme de pouvoir absolu.

George Orwell

Dès les premières pages, l’écrivain, essayiste et journaliste britannique Eric Arthur Blair, plus connu sous son nom de plume George Orwell (1903-1950) introduit un microcosme en apparence innocent : une ferme, dirigée par des animaux qui se révoltent contre l’oppression humaine. Sage l’Ancien, un vieux cochon empreint de sagesse, est l’instigateur de cette révolte, rêvant d’un monde où les animaux seraient enfin libres de toute exploitation. Ce rêve, qui évoque les idéaux utopiques des révolutions humaines, est le point de départ d’une tragédie inéluctable. En seulement quelques phrases, George Orwell encapsule le destin tragique des révolutions qui, partant d’un élan de justice et d’égalité, finissent par se corrompre sous le poids de l’ambition et de la trahison.

Animal Farm

L’auteur, avec une ironie acérée, montre comment les idéaux révolutionnaires sont rapidement pervertis. Napoléon, le cochon qui s’arroge progressivement le pouvoir, est une figure sombre et impitoyable, une allégorie de Staline qui, sous couvert de servir le bien commun, n’hésite pas à écraser toute dissidence pour asseoir son autorité. Boule de Neige, son rival, qui symbolise Trotsky, incarne l’espoir d’une révolution plus pure, mais est rapidement éliminé du jeu politique, banni, et utilisé comme bouc émissaire pour tous les maux qui affligent la ferme. Le parallèle avec l’histoire de l’Union soviétique est explicite, mais Orwell ne se contente pas de cette critique historique : il en fait un avertissement universel contre les dangers de toute forme de totalitarisme.

Les animaux de la ferme, initialement unis par un même rêve d’égalité, sont progressivement asservis par une nouvelle élite, les cochons, qui reproduisent les mêmes schémas de domination que les humains qu’ils ont chassés. Ce glissement est savamment orchestré par George Orwell, qui montre comment le langage et la propagande sont utilisés pour manipuler les masses. Brille-Babil, le porte-parole de Napoléon, incarne cette manipulation du langage, transformant la réalité pour mieux contrôler les autres animaux. Les commandements, qui étaient au départ les fondements d’une société juste, sont modifiés au gré des besoins de la nouvelle classe dirigeante, jusqu’à devenir l’expression la plus cynique du pouvoir : « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ».

La Ferme des animaux

Le roman, par sa construction narrative, s’attache à montrer la dégradation progressive de l’utopie initiale en une dystopie des plus sombres. L’euphorie des premiers jours, marquée par une productivité accrue et une solidarité retrouvée, cède rapidement la place à l’épuisement, à la famine, et à la répression. Les batailles, les trahisons, et les exécutions sommaires rythment la chute inexorable des idéaux révolutionnaires, dans une spirale de violence et de mensonges.

La fin du roman, amère et désillusionnée, où les cochons deviennent indiscernables des humains, laisse le lecteur avec un sentiment de désespoir profond. Les autres animaux, désormais incapables de distinguer leurs maîtres actuels de leurs anciens oppresseurs, sont plongés dans une confusion totale, symbole de l’échec ultime de la révolution. George Orwell, par cette image finale, ne dénonce pas seulement le stalinisme, mais toute forme de tyrannie qui, sous prétexte de libérer les masses, les enchaîne plus fermement encore.

La Ferme des animaux

La Ferme des animaux est ainsi une œuvre magistrale, à la fois par sa portée symbolique et par la finesse de son analyse politique. Le roman de George Orwell résonne bien au-delà de son contexte historique, offrant une réflexion intemporelle sur les mécanismes du pouvoir et la fragilité des idéaux face à la réalité du pouvoir. Il s’agit d’une lecture indispensable pour quiconque s’intéresse aux dynamiques politiques, aux dérives des révolutions, et aux dangers du totalitarisme, rappelant avec force que la vigilance et l’esprit critique sont les seuls remparts contre la tyrannie.

Le génie de George Orwell réside dans sa capacité à transformer une histoire simple, presque enfantine dans sa forme, en une allégorie universelle et profondément politique. La Ferme des animaux est à la fois un conte moral, une satire politique et un cri d’alarme, un chef-d’œuvre de la littérature qui continue d’interpeller les lecteurs de toutes générations.

Transposer La Ferme des animaux au contexte d’un système maçonnique actuel, notamment en ce qui concerne l’autoritarisme d’un grand maître, offre une perspective intéressante pour explorer les dynamiques de pouvoir et les dérives possibles au sein de structures pourtant fondées sur des idéaux de fraternité, de liberté et d’égalité.

Cette approche permet de mettre en lumière comment des institutions, même celles qui se veulent les plus vertueuses, peuvent être corrompues de l’intérieur lorsqu’une figure de pouvoir centralise l’autorité et subvertit les principes sur lesquels elles ont été fondées.

Imaginez une grande loge maçonnique où, à l’instar de la ferme de George Orwell, les membres ont été galvanisés par les promesses d’un renouveau, d’une période où tous seraient égaux dans l’échange des savoirs, unis dans la recherche de la vérité et de la lumière. Cependant, peu à peu, le grand maître, élu pour incarner ces valeurs, commence à concentrer entre ses mains tous les leviers du pouvoir. Initialement, ses décisions sont respectées pour leur sagesse et sa capacité à maintenir l’ordre et la stabilité au sein de la loge. Mais, avec le temps, son autorité devient absolue, et la démocratie interne cède la place à un régime autoritaire où toute critique est réprimée, toute dissidence étouffée.

Napoléon le cochon

Ce grand maître, à l’image de Napoléon dans La Ferme des animaux, manipule les rituels, réinterprète les textes fondateurs et les règlements, les adapte à ses besoins personnels. Les serments et les obligations maçonniques, qui étaient censés être les garants de l’intégrité et de la liberté de chacun, sont redéfinis pour servir les intérêts du grand maître. Il se construit une garde rapprochée, un cercle d’initiés loyaux qui bénéficient de privilèges spéciaux, tout en instaurant une forme de surveillance et de contrôle sur les autres membres de la loge.

Les idéaux maçonniques, tels que la tolérance, l’entraide, et la quête de la vérité, sont progressivement dénaturés. À l’instar des cochons qui modifient les commandements pour justifier leurs actions, le grand maître réécrit les symboles et les rituels pour légitimer son pouvoir, persuadant les autres membres que ces changements sont pour le bien de tous. Les cérémonies, autrefois moments de partage et de réflexion collective, deviennent des instruments de propagande, où le culte de la personnalité du grand maître est subtilement, mais efficacement instauré.

La Ferme des animaux
La Ferme des animaux

Les voix discordantes, ceux qui osent rappeler les véritables principes de la franc-maçonnerie, sont marginalisées, discréditées, voire expulsées sous des prétextes fallacieux. Comme dans la fable de George Orwell, où les animaux qui osent protester sont éliminés, les frères et sœurs qui refusent de se soumettre à l’autorité du grand maître sont écartés. Les nouvelles générations de maçonnes et/ou de maçons, moins ancrées dans les traditions et les valeurs originelles, sont endoctrinées pour croire que ce système de pouvoir autoritaire est la norme, la règle même et qu’il a toujours été ainsi.

Napoléon le cochon

Les rites initiatiques, censés éveiller la conscience individuelle et encourager l’esprit critique, deviennent des outils d’asservissement intellectuel, où l’obéissance aveugle est valorisée au détriment de la véritable quête de connaissance. L’étoile flamboyante, symbole de la vérité et de l’illumination, devient un emblème vide, réduit à une décoration sans signification profonde pour la majorité.

Finalement, la grande loge n’est plus qu’une coquille vide, une structure hiérarchique où l’autorité du grand maître est incontestée, où les rituels ne sont plus que des simulacres et où la fraternité a cédé la place à la soumission. Les membres, comme les animaux de la ferme, réalisent trop tard qu’ils ont été dupés, que leur quête de lumière s’est transformée en une nuit profonde, où l’obscurité du pouvoir absolu règne en maître.

La Ferme des animaux, image générée par IA

Cette transposition de La Ferme des animaux au contexte maçonnique souligne une vérité universelle : tout système, quelle que soit la noblesse de ses idéaux fondateurs, est vulnérable à la corruption si le pouvoir est centralisé sans contrepoids et si les membres ne restent pas vigilants. La franc-maçonnerie, comme tout autre ordre ou organisation, doit constamment se réinventer, redoubler de vigilance pour préserver ses valeurs contre les dérives autoritaires, qu’elles viennent de l’extérieur ou de l’intérieur. Cette fable adaptée rappelle ainsi aux frères et sœurs que la lumière ne peut briller qu’en l’absence d’ombre, et que la véritable liberté réside dans la solidarité, l’échange égalitaire et la vigilance partagée contre toute forme d’oppression.

La Ferme des animaux
George Orwell – Nouvelle traduction de Philippe Jaworski
Folio, 2021, 176 pages, Poche, 5 €

La Ferme des animaux 1954, le dessin animé

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, directeur de la rédaction de 450.fm, est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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