sam 07 septembre 2024 - 08:09

Femmes en franc-maçonnerie : Une révolution séculaire vers l’égalité et l’émancipation

L’admission des femmes en franc-maçonnerie a été un processus évolutif et complexe, marqué par de nombreuses étapes et variantes selon les époques et les contextes géographiques. Voici une exploration plus détaillée de cette évolution, qui met en lumière les principaux événements et figures marquantes de cette histoire.

Sabina von Steinbach sculptant la synagogue, par Moritz von Schwind

Des femmes dans la maçonnerie opérative ?

L’intégration des femmes dans la maçonnerie opérative, bien que rare, est documentée dès le XIIIe siècle. Des témoignages historiques montrent que des femmes participaient à des travaux de construction et étaient parfois admises dans des corporations de métiers. Par exemple, le Livre des métiersde Paris, rédigé en 1268 par le prévôt Étienne Boileau, et les statuts de la Guilde des charpentiers de Norwich mentionnent des femmes comme Gunnilda, inscrite comme maçon dans le calendrier du Close Rolls en 1256. Sabina von Steinbach, la fille d’un architecte, aurait travaillé sur les sculptures de la cathédrale de Strasbourg au début du XIVe siècle, bien que cette information reste controversée.

Elisabeth Aldworth

L’émergence de la franc-maçonnerie spéculative

Avec l’avènement de la franc-maçonnerie spéculative au début du XVIIIe siècle, les femmes commencent à être initiées dans des circonstances exceptionnelles. Elisabeth Aldworth, une jeune aristocrate irlandaise, est considérée comme la première femme initiée en franc-maçonnerie vers 1712. Son initiation a lieu dans des circonstances extraordinaires, lorsqu’elle est surprise en train d’observer une réunion maçonnique. Confrontée au choix entre l’initiation et la mort, elle choisit d’être initiée et reste membre de la loge jusqu’à sa mort.

Photo © Yonnel Ghernaouti YG – musée de la franc-maçonnerie

Les Constitutions dites d’Anderson et l’exclusion des femmes

La création de la première Grande Loge de Londres et de Westminster en 1717 et la promulgation des Constitutions dites d’Anderson en 1723 institutionnalisent l’exclusion des femmes de la franc-maçonnerie.

Image générée par Intelligence Artificielle (IA)
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L’article III des Constitutions stipule que les membres de la loge doivent être des hommes « nés libres, ayant l’âge de la maturité d’esprit et de la prudence, ni serfs, ni femmes, ni hommes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation ». Cette exclusion est reprise dans les constitutions d’Ahiman Rezon (en hébreu, qui signifie une aide à un frère) de la Grande Loge des Anciens en 1756.

Le statut juridique de la femme au XVIIIe siècle

Au XVIIIe siècle, le statut juridique de la femme était défini par des lois et des coutumes patriarcales, avec quelques variations selon les pays mais partageant des caractéristiques communes. Les femmes étaient généralement considérées comme des mineures juridiques, placées sous la tutelle d’un homme tout au long de leur vie. D’abord sous la responsabilité de leur père, elles passaient ensuite sous celle de leur mari après le mariage. En tant que telles, elles n’avaient pas la pleine capacité légale d’agir en leur propre nom.

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Le mariage était un pivot central dans la vie juridique des femmes. Il nécessitait le consentement du père ou du tuteur, et une fois mariée, la femme perdait une grande partie de son autonomie légale. Le mari avait des droits étendus sur sa femme, y compris la gestion de ses biens et de ses revenus. Il pouvait décider de nombreux aspects de sa vie quotidienne. Les biens que la femme apportait au mariage étaient souvent sous le contrôle du mari, notamment en France, où le régime de la communauté de biens faisait de lui le gestionnaire des biens communs.

Sur le plan professionnel, les femmes avaient un accès limité aux métiers et professions. Certaines professions leur étaient totalement fermées, tandis que dans d’autres, elles pouvaient travailler sous des conditions restrictives. Les droits de propriété et d’héritage des femmes étaient également limités. Dans certaines juridictions, elles pouvaient posséder des biens, mais leur capacité à les gérer était souvent entravée par la tutelle masculine.

L’éducation des femmes était en grande partie limitée à des compétences domestiques. Pour les filles de familles nobles ou bourgeoises, cette éducation pouvait inclure des rudiments de culture générale, mais les opportunités éducatives restaient beaucoup moins nombreuses que pour les hommes. Les possibilités d’émancipation légale étaient rares. Cependant, certaines femmes pouvaient obtenir une certaine indépendance en devenant veuves, ce qui leur permettait de gérer leurs propres affaires dans certains cas.

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Les femmes n’avaient aucun droit politique au XVIIIe siècle. Elles ne pouvaient ni voter ni occuper de fonctions publiques, et leurs droits civils étaient également limités. Par exemple, elles avaient peu de recours légaux en cas d’abus de leur mari. Toutefois, il existait des exceptions et des variations selon les régions et les circonstances individuelles. Par exemple, les veuves jouissaient de plus de libertés et de droits que les femmes mariées, et les lois pouvaient varier d’un pays à l’autre ou même entre différentes régions d’un même pays.

Le XVIIIe siècle, siècle des Lumières, était aussi une époque de débat intellectuel intense et de réformes sociales. Des philosophes et des réformateurs commencèrent à remettre en question le statut des femmes et à plaider pour leurs droits, bien que les changements légaux soient lents à suivre. Ainsi, le statut juridique des femmes au XVIIIe siècle était largement défavorable, les confinant dans une position subordonnée et dépendante des hommes. Cependant, les idées des Lumières ont commencé à semer les graines du changement, posant les bases des mouvements pour les droits des femmes qui émergeraient au siècle suivant.

Ordre des Mopses

La maçonnerie d’adoption et les sociétés paramaçonniques

En France et en Europe, la franc-maçonnerie d’adoption voit le jour au XVIIIe siècle. Ces loges d’adoption, principalement développées en France, permettent aux femmes d’être initiées dans un cadre maçonnique, bien que souvent sous la tutelle de loges masculines. Parallèlement, de nombreuses sociétés mixtes ou féminines s’inspirent de la franc-maçonnerie, comme l’Ordre des Chevaliers et Nymphes de la Rose ou l’Ordre des Mopses.

Maria Deraismes

Les avancées du XIXe Siècle

Le XIXe siècle marque des avancées significatives pour l’intégration des femmes en franc-maçonnerie. En 1882, Maria Deraismes devient la première femme initiée dans une loge masculine en France, grâce à la loge « Les Libres Penseurs » du Pecq. Cette initiation pave la voie à la création de la première obédience maçonnique mixte, LE DROIT HUMAIN, fondée par Maria Deraismes et Georges Martin en 1893. Cette obédience prône l’égalité des sexes et permet aux femmes d’accéder à tous les degrés maçonniques.

L’investissement de Georges Martin en l’Ordre mixte du Droit humain fut notoire.

Le XXe Siècle et la reconnaissance internationale

Au XXe siècle, la franc-maçonnerie mixte et féminine gagne en reconnaissance et en influence. LE DROIT HUMAIN se développe à l’international, avec des fédérations nationales dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique, et le Brésil. En France, la Grande Loge Féminine de France (GLFF) est créée en 1945, succédant à l’Union Maçonnique Féminine de France. Elle adopte en 1959 le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), marquant une indépendance totale vis-à-vis de la maçonnerie d’adoption.

Louise Michel

La situation actuelle au XXIe Siècle

Au XXIe siècle, les femmes représentent encore une minorité dans le paysage maçonnique mondial. En 2015, en France, on compte environ 32 000 sœurs pour 138 000 frères. La Belgique affiche également une forte présence féminine avec près de 6 000 sœurs pour 14 000 frères. En 2010, le Grand Orient de France décide de laisser ses loges libres d’initier des membres sans distinction de genre, ouvrant la voie à la mixité dans certaines loges.

Easttern Star

Ordre de l’Étoile d’Orient

Dans d’autres pays, la franc-maçonnerie mixte et féminine se développe lentement mais sûrement. Les Îles Britanniques, l’Allemagne, l’Italie et l’Islande comptent entre 5 et 15 % de femmes dans leurs effectifs maçonniques. Aux États-Unis et au Canada, les femmes rejoignent souvent des organisations paramaçonniques comme l’Ordre de l’Étoile d’Orient, fondé en 1830.

L’histoire de l’intégration des femmes en franc-maçonnerie est marquée par des avancées progressives et des résistances persistantes. Des premières initiations opératives aux obédiences mixtes et féminines contemporaines, les femmes ont dû surmonter de nombreux obstacles pour obtenir une reconnaissance égale dans le monde maçonnique. Aujourd’hui, bien que des défis subsistent, la présence des femmes en franc-maçonnerie continue de croître, enrichissant le paysage maçonnique mondial et contribuant à l’émancipation et à l’égalité des sexes.

En conclusion…

Au XXIe siècle, la franc-maçonnerie féminine souffre, encore et toujours, d’un déficit de communication qui empêche de faire pleinement connaître sa spécificité et ses valeurs distinctives. Cette carence d’informations et de visibilité contribue sans doute à la lente mais irrémédiable décrue de ses effectifs.

En revanche, la franc-maçonnerie mixte, particulièrement mise en avant par les jeunes générations, connaît un essor remarquable. Elle attire un public plus large et diversifié, bénéficiant d’une dynamique de modernité et d’inclusion qui lui permet de prospérer et d’avoir le vent en poupe. Cette évolution témoigne d’une adaptation plus réussie aux attentes contemporaines et d’une capacité accrue à se faire entendre dans le paysage maçonnique et au-delà.

5 Commentaires

  1. Allons Pierre, je connais les faux prétextes . Tu confirmes: la liberté d’aller voir ailleurs… ca s’appelait l’apartheid en Afrique du Sud.
    Tu n’as pas compris que ce qui est critiqué c’est le coté ignoble de cette regle en 12 p.
    Et mon droit et ma liberté de te le dire.
    La liberté de ne pas d’y soumettre est fondamentale et ne doit rien à ces émetteurs.
    Cette regle n’a rien de maçonnique. C’est un écrit profane d’un des organismes (glnf).
    Le serment maconnique n’y fait aucune reference.

    • Tout à fait d’accord avec ta réponse, mon TCF (ma TCS ?) JOABS.
      Par ailleurs, je peux comprendre et admettre que certaines loges préfèrent n’initier que des individus de sexe masculin, et que certaines loges préfèrent n’initier que des individus de sexe féminin; par contre, je considère comme très anti-maçonnique d’interdire les inter-visites entre membres de différentes Obédiences, et a fortiori, d’interdire (dans certaines Obédiences masculines) le droit de visite à des Soeurs.
      Enfin, puisque les Obédiences doivent “respecter les lois de l’Etat”, qu’en est-il du respect de la possibilité légale qu’a un individu de “genre masculin” de changer de genre, et donc de devenir de “genre féminin”, autrement dit qu’en est-il de la possibilité à un “Frère” de devenir une “Soeur”, tout en restant membre de la Franc-Maçonnerie, et même de son Obédience?
      Nous savons que le GODF a résolu cette question il y a quelques années,…mais, pas les autres Obédiences masculines.
      Et pourtant, l’individu qui a changé de genre (quel que soit, d’ailleurs le sens du changement de genre), reste un individu, un humain, à part entière, reste un/une initié(e) à part entière !
      Il faudra bien que les Maçons masculins réfractaires se mettent à vivre avec leur siècle, en conformité avec les droits (le Droit) de leur pays, ce qui n’est en rien renier les valeurs maçonniques les plus élevées, bien au contraire !
      Bien fraternellement,
      Jérôme Lefrançois

  2. Le debat est quelque peu faussé par un problème d’intitulé. Ainsi on evoque “la mixité “. Alors que celle-ci est la base de la vie en société au 21esiecle. Y compris en franc-maçonnerie.
    Le sujet est donc bien plus le sexisme persistant, qui plus est , imposé par des obédiences.
    En général, les représentants des dîtes obédiences invoquent une “liberté “ !!! Liberté d’imposer le sexisme à leurs loges !!! C’est dire l’incohérence!
    … et la liberté des femmes d’aller maçonner… ailleurs!
    Quelle image ces pratiques(heureusement en déclin) donnent elles ?

    • Rien n’est imposé, quand vous signez la règle en douze points et au cœur de l’enquête préliminaire ce point de non mixité est abordé en toute franchise, de même que la croyance envers le GADL’U. Il existe nombre d’Obédience qui permettent de maçonner entre FF et SS chacun est libre de choisir ce qu’il lui convient le mieux.

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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