Rechercher ses racines, c’est vouloir retrouver l’origine des feuilles. Nous construisons en pierre mais tout vient de la terre et y revient. Les bois sacrés sont devenus des temples de bois, puis de pierre. Mais la pierre retourne à la ruine que les mauvaises herbes finissent par manger. Au moment où nous nous demandons comment renouer les fils avec la nature, nos temples se souviennent-ils qu’ils ont été des jardins ?
Il ne reste pas grand chose des druides, à la fois savants, mages, prêtres et aussi architectes, chez les Celtes, nos “ancêtres les Gaulois”. Parce qu’ils écrivaient peu et ne bâtissaient pas en dur. On sait pourtant qu’ils célébraient des cérémonies religieuses très proches de la nature, ils saluaient les grandes périodes du calendrier : Imbold (hiver), Beltaine (printemps), Lugnasad (été) Samain (automne). Ils rendaient des cultes aux dieux de la nature, certains avec des figures tutélaires comme Anna, la déesse-mère ou Lug, le dieu de la lumière. D’autres représentaient des figures totémiques comme Cernunnos, le dieu-cerf ou Epona, la protectrice des chevaux. D’autres enfin, héritiers de l’animisme, étaient liés à un lieu, une rivière, une plaine, une source, une forêt.
Les lieux de cérémonie étaient donc en rapport avec cette mystique, des grottes, des fontaines, des rivières, des clairières…et des bois sacrés. Ces nemetona n’étaient pas nécessairement construits ni en bois ni en pierre, c’est la cérémonie elle-même qui les consacrait et l’énergie qu’ils étaient censés incarner. Les arbres jouaient un rôle essentiel dans les cultes menés par les druides, ils représentaient un chemin vers les forces naturelles. Principalement l’if (Ioho) qui incarnait la mort et la renaissance. De par son envergure, il pouvait abriter des assemblées nombreuses, comme le ferait une voûte. Le chêne (Duir),qui a peut-être donné son nom aux druides. Il représente la force, la protection, la sagesse. Et aussi le sorbier, le coudrier, le pommier. Cette symbolique des arbres, avec leurs fûts et leurs branchages, se retrouve tout naturellement dans les colonnes des temples. Chez les Grecs, des décorations végétales viennent encore renforcer cet aspect. Les colonnes doriques, non décorées, sont les héritières directes des premiers temples en bois. Les colonnes ioniques portent sur leur chapiteau un motif en forme de corne de bélier, symbole de l’ouverture du printemps. Enfin le style corinthien développe un encorbellement fait de feuilles d’acanthe.
Motif préféré des architectes, la feuille d’acanthe symbolise le triomphe des épreuves et particulièrement la victoire de la vie sur la mort. La légende raconte que le sculpteur Callimaque, au Vème siècle avant notre ère, découvrit sur la tombe d’une jeune fille morte le jour de ses noces, des feuilles d’acanthe qui avaient poussé par-dessus des offrandes funéraires et avaient formé une sorte de corbeille. Il aurait décidé de reprendre ce motif d’encorbeillement pour décorer ses colonnes, il initia ainsi le style corinthien. Les descendants d’Hiram trouveront sans doute matière à méditer dans cette légende.
Au III ème siècle, sous l’empereur Constantin, lorsque les premiers chrétiens ont commencé à construire des églises, ils ont largement repris le modèle des basiliques romaines. Du grec basileus (le roi), la basilique civile était une salle royale : basilika oikia. L’archonte y rendait la justice, y donnait des audiences, elles pouvaient recevoir des assemblées publiques ou servir de marché couvert. Elles étaient composées d’une abside, où siégeait le roi, et d’une nef centrale avec un plafond en voûte supporté par des piliers, parfois complétée de nefs latérales. C’est ce modèle qui sera repris par les chrétiens qui généraliseront le transept pour marquer la forme de la croix. Piliers et voûtes, dans les églises on retrouve donc bien la symbolique des arbres, venue des bois sacrés, avec souvent des décorations empruntées à la nature. C’est particulièrement visible dans le style gothique où les croisées d’ogive, aux dessus des colonnes forment comme des branches qui se rejoignent. Mais beaucoup d’autres décorations végétales sont venues témoigner des origines, de l’acanthe, bien sûr, mais aussi de l’olivier, du hêtre, du chêne, du lierre, de la vigne vierge….
On peut, pour s’en convaincre, aller visiter l’interprétation plus moderne qui en a été faite par Antoni Gaudi à la Sagrada Familia de Barcelone. En pleine période Art Nouveau, sa source d’inspiration principale de l’architecte était la nature. Il donnait à ses bâtiments des formes calquées sur des squelettes d’animaux, depuis la structure générale, la charpente par exemple; jusqu’aux détails de décoration, les poignées de portes, les lampadaires. Les colonnes de cette basilique ont ceci de particulier qu’elles sont légèrement inclinées vers le centre, elles montent du sol jusqu’au sommet, à la clef de voûte. Il n’y a pas de rupture entre la croisée d’ogive et les colonnes qui la supportent. La voûte n’est pas posée sur les colonnes et sur les murs, elle n’exerce pas de poussée latérale et donc les contreforts, caractéristiques du style gothique, ne sont pas nécessaires. Les fûts qui s’élancent jusqu’au sommet se terminent par une sorte de frondaison. L’impression de se trouver au cœur d’un bois sacré, faits d’arbres de pierres, est à son maximum.
On peut aussi faire le voyage jusqu’à Bergame, en Italie. Là, un artiste du nom de Giuliano Mauri, créateur de “l’architecture naturelle” a conçu une “Cattedrale Vegetale” composée de 42 plants de châtaigniers, emmaillotés dans des branches de noisetiers qui leurs servent pour l’instant de tuteur. Plantés en 2010 de manière à composer cinq nefs, les arbres sont destinés à former une véritable cathédrale végétale, le temps que les arbres atteignent leur taille adulte, ce qui devrait prendre encore une quarantaine d’années, il faudra être patient. Ils culmineront alors à une vingtaine de mètres, ce qui n’est pas si mal pour une nef centrale. Son créateur ne le verra pas, il est décédé en 2009. Dommage. Les châtaigniers peuvent vivre jusqu’à 1500 ans. Ils sont de taille à rivaliser avec les cathédrales.
Ces nemetona chrétiens sont habités, comme l’étaient les bois sacrés. Le génie du christianisme a été de ne pas chercher à éradiquer les cultes paÏens mais de les digérer, de les transformer pour mieux les faire disparaître tout en les maintenant sous une autre forme. L’iconographie, les mythes, les symboles ont été christianisés, les dieux païens sont devenus des saints. Sur la colline de Fourvière, à Lyon, Vénus est devenue Marie, sans que personne ne s’en émeuve. L’étymologie même du nom Fourvière renvoie à Forum Veneris, c’est-à-dire Forum de Vénus. Anne (Celte), Vénus (Romaine) Marie (Chrétienne), même combat. Dans les cathédrales et dans les églises, à chaque niche son saint, dédié à une mission bien précise. Certains jouent un rôle tutélaire. Saint Benoît protège les maçons et les architectes, mais aussi les agriculteurs ; Saint Christophe : les voyageurs, et les orfèvres fêtent ensemble la Saint Eloi, d’après la chanson. A d’autres saints, on accorde le pouvoir d’intercéder pour les solliciteurs, d’exaucer leurs vœux. On implore Saint Raphaël pour la guérison, Saint Antoine de Padoue pour retrouver l’amour, Saint Anne pour avoir un bébé et Sainte Rita pour les causes perdues. C’est exactement ce qu’on faisait dans les temples romains en présentant des offrandes à Esculape (santé), Cupidon (Amour) ou aux dieux lares (famille). Le christianisme est un monothéisme habillé de polythéisme. Il y a continuité entre l’animisme des Celtes, les religions gréco-romaines et le christianisme, comme il y a continuité entre la sacralisation du vivant, les temples de bois, les temples de pierre, les églises et les cathédrales.
Qu’en est-il de nos temples maçonniques ? Ils se veulent héritiers de celui de Salomon. On y trouve deux colonnes à l’entrée. Elles sont passées de l’âge de pierre à l’âge de bronze. Elles ne sont pas décorées de feuilles d’acanthe mais de grenades, de lys et de treillis végétaux. Boaz et Jakin. L’une représente le pilier de la rigueur et l’autre la miséricorde. En face, à l’orient, Kether (la couronne), entouré de Chokhmah (la sagesse) incarnée par l’orateur et Binah (la compréhension), incarnée par le secrétaire. Le temple est organisé selon le plan de l’arbre de vie, avec ses dix sephiroth. La boucle est bouclée. Nous nous réunissons encore sous l’arbre primordial, comme l’if de Mugna en Irlande, qui, selon la légende pouvait abriter mille personnes et produisait à la fois des glands (prospérité) des noix (intelligence) et des pommes (immortalité). D’ailleurs, un des poèmes maçonniques les plus célèbres n’est-il pas celui de Rudyard Kipling : If ?
Très intéressant merci j’aurais aimé que la partie ou interprétation maçonnique soit plus développée car on a vite fait de se perdre dans toutes vos références.