L’Amérique a toujours été un terrain fertile pour les utopies sociales et mystiques, l’imprégnation religieuse et la prolifération de sectes et de sociétés secrètes. Mais d’où viennent ces particularités ?
Pour répondre à cette question, Lauric Guillaud dans son dernier opus Histoire mythique de l’Amérique nous invite à un voyage fascinant dans l’imaginaire américain. Il explore les mythes qui ont façonné ce pays, depuis sa découverte par les Européens jusqu’à nos jours.
Ce livre nous révèle une face peu connue de l’Amérique du Nord mettant en lumière les divers éléments qui ont contribué à l’élaboration d’une mythologie nationale américaine, depuis la quête du paradis terrestre par Christophe Colomb, en passant par la vision des colons puritains de construire une Nouvelle Jérusalem, jusqu’à la notion de la « Destinée manifeste » qui a guidé l’expansion territoriale des États-Unis. En explorant des thèmes tels que la poursuite du bonheur, l’idée de l’homme nouveau, et la jeunesse éternelle, Lauric Guillaud dévoile comment ces idéaux continuent d’influencer la culture et la politique américaines, de la fondation du pays jusqu’à l’ère contemporaine.
Ce travail de Lauric Guillaud est donc essentiel non seulement pour comprendre le passé américain, mais aussi pour analyser le présent et envisager l’avenir du pays à travers le prisme de ses mythes fondateurs et de ses aspirations utopiques. Il s’agit d’une lecture incontournable pour ceux qui s’intéressent à la civilisation américaine, à son histoire mythique, et à l’impact de ces éléments sur la société et la politique actuelles.
En découvrant cette « autre histoire », nous comprenons mieux la culture américaine, sa politique passée et contemporaine, de Christophe Colomb à Donald Trump, en passant par George Washington.
C’est ainsi qu’avant même que Christophe Colomb ne pose le pied sur ce qu’il pensait être les Indes, l’Amérique existait déjà dans l’imaginaire européen. Les récits de voyages fantastiques, les légendes d’un paradis terrestre inconnu, et les spéculations sur des terres riches et sauvages au-delà de l’océan Atlantique alimentaient les rêves et les ambitions européennes.
La découverte de l’Amérique par le navigateur génois au service des Rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon et les explorations qui ont suivi ont été rapidement suivies par la conquête et la colonisation. Ces événements ont marqué le début d’une période de profonds bouleversements pour les peuples autochtones et l’environnement du continent.
Au fil des siècles, l’Amérique a été enveloppée dans un voile de mythes, de la « Cité sur la colline » évoquée par les premiers colons puritains à la « Destinée manifeste » du XIXe siècle, qui justifiait l’expansion vers l’ouest et l’expropriation des territoires autochtones. Cette mythification a servi à unifier une nation diverse, à promouvoir une identité nationale, et à justifier des politiques intérieures et étrangères.
L’ouvrage de Lauric Guillaud a le grand mérite de faire découvrir au lecteur des épisodes peu ou mal connus, voire totalement ignorés. Nous en voulons pour preuve la ville de Jamestown, fondée le 14 mai 1607 par la Virginia Company of London, une entreprise privée qui a reçu une charte du roi James Ier d’Angleterre pour établir une colonie dans le Nouveau Monde.
En 1619, Jamestown a tenu la première assemblée législative en Amérique, marquant le début du gouvernement représentatif dans ce qui allait devenir les États-Unis.
Jamestown est donc un élément fondamental de l’histoire américaine, symbolisant à la fois le début difficile de la colonisation européenne en Amérique du Nord et les fondations du gouvernement, de l’économie et de la société américaine.
En matière d’« Utopie puritaine, Éden retrouvée ? », titre d’un chapitre, l’auteur nous conte comment les puritains, confrontés à la persécution religieuse en Angleterre, ont cherché un refuge où ils pourraient librement pratiquer leur foi et établir une société qui reflétait leurs croyances et valeurs strictes. Ils souhaitaient construire une nouvelle société guidée par les lois de Dieu, telles qu’elles sont interprétées dans la Bible. Ils envisageaient une communauté où la vie civique et religieuse serait intégrée, sans distinction entre la sphère publique et la sphère spirituelle. Et de nous instruire sur la « Cité sur la colline ».
Inspirés par le sermon « A Model of Christian Charity » de John Winthrop, les puritains se voyaient comme un exemple pour le monde, une communauté exemplaire qui pourrait servir de phare spirituel et moral. Ils croyaient que leurs efforts pourraient conduire à la création d’un nouvel Éden, libre des corruptions de l’ancien monde. L’éthique puritaine, avec son accent sur la diligence, la frugalité et la vertu, a profondément influencé le caractère américain, notamment dans la valorisation du travail et de l’autodiscipline. Malgré leur intolérance religieuse, les puritains ont établi des pratiques de gouvernance qui ont posé les bases du gouvernement représentatif en Amérique, notamment à travers des assemblées élues et des pactes sociaux comme le Mayflower Compact. Cette vision utopique puritaine d’un « Éden retrouvé » en Amérique a laissé un héritage durable sur la société, la culture et les valeurs américaines…
Mais nous avons été enchanté par la place laissée par Lauric Guillaud à la maçonnerie depuis son l’arrivée des premiers francs-maçons en Amérique, soit près de 80 pages.
La franc-maçonnerie a été introduite en Amérique du Nord au début du XVIIIe siècle avec la formation de la première loge maçonnique en Pennsylvanie en 1730, suivie par d’autres dans les colonies. De nombreux pères fondateurs et leaders de la révolution américaine étaient francs-maçons, y compris George Washington, Benjamin Franklin, et Paul Revere. Leur appartenance à la franc-maçonnerie a influencé certaines des idées fondamentales qui ont façonné la nation. D’abord en diffusant les principes maçonniques. Des principes de liberté, de justice et de démocratie, chers aux francs-maçons, ont trouvé un écho dans la Déclaration d’indépendance, la Constitution des États-Unis et d’autres documents fondateurs. Et les loges maçonniques ont servi de lieux de rencontre pour les révolutionnaires et ont fourni un réseau de soutien pour les idéaux de la révolution américaine.
De plus, l’influence de l’art royal est visible dans l’architecture américaine, notamment dans la conception de Washington D.C., où certains bâtiments et monuments reflètent des symboles et des motifs maçonniques – le plan original de la ville a été conçu par Pierre Charles L’Enfant, qui était franc-maçon. L‘auteur y consacrant un chapitre entier. Par ailleurs, plusieurs symboles maçonniques ont été incorporés dans les sceaux officiels et la monnaie des États-Unis, témoignant de l’influence maçonnique sur la culture américaine.
Nous constatons que l’impact de la franc-maçonnerie en Amérique est indéniable, s’étendant de la période révolutionnaire à l’époque contemporaine. Les francs-maçons ont contribué à façonner les idéaux et les structures sur lesquels les États-Unis sont fondés, tout en continuant à influencer divers aspects de la société américaine à travers leur engagement envers des valeurs humanitaires et communautaires.
Mais Lauric Guillaud aborde aussi un sujet peu traité qu’est celui de l’Amérique sectaire des premières communautés utopiques comme celles des Puritains, cherchant à créer une « Cité sur la colline » en Nouvelle-Angleterre, un modèle de piété et de gouvernance divine au XVIIe siècle ou des Quakers visant à créer une société basée sur la paix, l’égalité et la liberté religieuse. Mais l’âge d’or de ces communautés utopiques est le XIXe siècle qui a vu un essor particulier de communautés utopiques, des actions de l’amour du romanisme, du socialisme et d’autres mouvements philosophiques et religieux (Shakers – connus pour leur vie communautaire ascétique, leur égalité des sexes, et leur artisanat –,
communauté Oneida – cette communauté pratiquait le communisme chrétien, le perfectionnisme, et des formes complexes de relations familiales et maritales –, ferme de Brook (Brook Farm) – inspirée par le transcendantalisme, cette communauté visait à intégrer le travail manuel et intellectuel pour réaliser l’épanouissement personnel et collectif).
Un héritage de cette Amérique témoignant de la recherche continue de l’homme pour une société idéale et de la volonté d’expérimenter socialement pour atteindre cet idéal.
Avec une approche originale et stimulante de l’histoire américaine, une analyse fine des mythes qui ont façonné ce pays, une écriture claire et accessible et un riche contenu illustré, nous recommandons vivement cet essai à tous les lecteurs curieux de découvrir une autre facette de l’Amérique.
L’auteur
Né à Nantes en 1949, Lauric Guillaud est un essayiste et universitaire français qui a apporté une contribution significative au domaine des études littéraires, notamment dans les sphères de l’imaginaire et du roman d’aventure. Son expertise est particulièrement reconnue dans le domaine des mondes perdus, thème central de son doctorat d’État qui se concentrait sur les mondes perdus dans la littérature anglo-saxonne. Le parcours académique de Guillaud l’a vu enseigner à l’Université de Nantes avant de rejoindre l’Université d’Angers en 2009, où il a enseigné la littérature anglaise et américaine.
Professeur émérite, il coule désormais une paisible retraite en Pays de la Loire. Son travail et ses contributions à la littérature ont été reconnus en 2019, lorsqu’il a reçu le prix littéraire de l’Institut Maçonnique de France (IMF) dans la catégorie « Essais » pour Le sacre du noir : imaginaire gothique, imaginaire maçonnique (Éd. du Cosmogone, 2019) préfacé par Jacques Ravenne.
Revenons sur la première de couverture
« American Progress », illustration de couverture, est une œuvre iconique de John Gast (1842-1896), un artiste, imprimeur et lithographe d’origine allemande qui a vécu et travaillé principalement à Brooklyn, New York, à la fin du XIXe siècle. Si sa carrière artistique a englobé diverses œuvres, il est surtout reconnu pour son tableau iconique, « American Progress », achevé en 1872.
Il représente une allégorie de la Destinée manifeste, un concept central dans l’expansion territoriale des États-Unis au XIXe siècle.
Grâce à sa production en estampes chromolithographiques, American Progress a été abondamment diffusée. Elle est désormais conservée au Autry Museum of the American West à Los Angeles.
Le tableau dépeint une figure féminine ailée, symbolisant le progrès, marchant vers l’ouest à travers un paysage américain en développement. Devant elle, des colons et des travailleurs construisent des infrastructures et des maisons, symbolisant la civilisation et la prospérité. Derrière elle, les ténèbres et les Indiens d’Amérique reculent, représentant les obstacles à surmonter pour réaliser le destin national.
« American Progress » est une œuvre d’art importante qui offre un aperçu des forces et des contradictions qui ont façonné l’histoire américaine. Elle continue d’être une source d’inspiration et de réflexion pour les artistes, les historiens et le grand public.
Comme à l’accoutumée, quand nous citons pour la première fois un éditeur, nous le présentons.
Le Visage Vert se distingue comme une plateforme littéraire dédiée principalement à l’exploration du fantastique, de l’anticipation, du bizarre, de l’absurde, et du mystère. Fondée en octobre 1995 par Xavier Legrand-Ferronnière, cette revue semestrielle s’est donnée pour mission de faire découvrir ou redécouvrir des textes et auteurs rares, souvent oubliés ou négligés par l’histoire littéraire mainstream. Avec des contributions de spécialistes de l’imaginaire, chercheurs, universitaires, et traducteurs du monde entier, Le Visage Vert sert de pont entre le passé littéraire et les lecteurs contemporains, cherchant à raviver l’intérêt pour des œuvres et des auteurs méconnus.
Au fil des années, Le Visage Vert a évolué, passant de la publication chez Joëlle Losfeld à l’autoédition – le catalogue compte plus de 200 titres –, et a considérablement élargi son champ d’action. En plus de la revue, le projet inclut maintenant un blog, une collection d’ouvrages, et une bibliographie en ligne, bien que cette dernière soit en attente d’une mise à jour. La diversité de son contenu – nouvelles, légendes, contes, essais, articles de fond – et la variété des auteurs publiés témoignent de l’engagement de la revue envers la richesse de la littérature de l’imaginaire.
Le Visage Vert ne se limite pas au patrimoine littéraire francophone ; il a une forte inclination pour les auteurs du monde anglo-saxon tout en restant ouvert aux contributions d’autres espaces linguistiques, notamment européens, sud-américains, et asiatiques. Cette ouverture internationale enrichit considérablement son catalogue, offrant aux lecteurs des perspectives variées sur le fantastique et l’imaginaire.
L’approche archéologique de la littérature adoptée par Le Visage Vert, cherchant à exhumer des textes et auteurs enfouis dans l’oubli, est une démarche louable qui contribue à la dynamique culturelle et à l’enrichissement des connaissances littéraires. La revue et ses publications annexes représentent une ressource précieuse pour les amateurs de littérature fantastique et de l’imaginaire, ainsi que pour les chercheurs et étudiants en littérature à la recherche de matériaux originaux et de perspectives nouvelles.
Depuis sa naissance en octobre 1995, le Visage Vert a publié 34 numéros de sa revue, le dernier datant de janvier 2024.
Histoire mythique de l’Amérique
Lauric Guillaud – Le Visage Vert, 2024, 366 pages, 25 €
Disponible dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre. Achetez dans votre zone, chez votre libraire préféré, pour qu’il continue à vous conseiller, à vous inspirer, à vous faire rêver et, surtout, à animer votre quartier !