(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Vous me pardonnerez de ne pouvoir parler que de ce que je sais de la franc-maçonnerie : c’est bien peu en extension mais, je l’espère, beaucoup plus en compréhension – je veux dire par là que je serais bien incapable de décrire les multiples facettes qui la composent, alors que, « en revanche », je pense avoir inlassablement exploré les propriétés qui lui confèrent, à mes yeux, des traits spécifiques.
C’est ainsi qu’elle m’a fait découvrir, bien au-delà d’un silence imposé par une certaine discipline, une discipline émergeant, avec une liberté souveraine, du silence intérieur auquel elle m’a ouvert et qui, pour ce que j’en crois encore aujourd’hui, constitue une part essentielle de l’initiation.
Faire silence consiste bien sûr à se dépouiller le plus possible de tous les parasites qui encombrent les représentations que nous nous faisons de toutes choses, à tout instant, c’est-à-dire ces formes d’appréciations qui envahissent le champ de nos perceptions et de nos préférences, où vibrent mille sortes d’intentions ou d’idées préconçues, tout un réseau d’opinions préexistantes dont les effets insidieux sont souvent bien plus pénétrants que de notoires, robustes et coriaces préjugés et qui disposent par avance notre esprit à des mouvements intimes, à peine avoués, classant sommairement l’autre sans plus de manières et sans réelle empathie.
Faire silence, c’est aussi accroître sa capacité d’écoute. Spontanément en loge – et au moins dans ce cadre – protégé de la rumeur du monde, accordé à une bienveillance d’autant plus grande que l’on se défait de ses propres peurs, qu’aucune position défensive n’a donc besoin de s’afficher en réaction, on accueille l’autre comme il lui vient de s’exprimer à tel ou tel moment.
Ainsi, c’est le silence qui permet l’épiphanie de l’autre, concourant également à la révélation du moi. L’épiphanie de l’autre ? Oui, c’est-à-dire cette acceptation de la manifestation du fond de son être… et qui – encore faut-il le reconnaître – me situe tout pareillement dans la relation que j’ai avec lui, traçant indéfiniment les limites qui me caractérisent.
Après un temps d’apprentissage, cette discipline du silence n’est pas pour autant une loi du silence : elle ne me condamne pas à rester muet. Elle m’invite à augmenter le silence où l’autre va inversement se placer, d’une parole qui, je l’espère, vaudra bien pour lui qu’à mon tour, j’aie renoncé à l’attentive suspension de mon verbe. Peu à peu, je me pénètre de cette vérité qu’Euripide énonçait dans ses Fragments : « Parle si tu as des mots plus forts que le silence ou garde le silence. »
Tout aussi bien, dans ma vie intérieure, je m’habitue à ce que le silence affleure régulièrement. Du lâcher-prise au laisser-aller vers (vers l’autre, vers l’advenue involontaire de pensées nouvelles…), le silence permet aussi d’avoir conscience qu’il reste encore beaucoup de choses à comprendre en dehors de ce que l’on a dit. C’est le silence qui, désormais, fait la soudure avec le monde, sans conflit et avec bonheur, craquelant sur son passage tous les glacis de protection.
Quel étonnement de voir que le parchemin où mes pensées s’inscrivent sans cesse, loin de s’amincir à mesure que je le gratte, bien au contraire grossit et qu’une vision plus complète et plus juste se met à vivre dans les interlignes que j’efface ! Gloire aux palimpsestes du silence…
Les moments de silence sont trop rares dans nos rituels.. Et “les mots plus forts que le silence” sont souvent submergés par le flots des opinions inintéressantes voire inutiles.. Quand introduira t on un zeste de méditation dans nos rituels ? ( la chaine d’union, un trop rare moment.. pas toujours respecté )
épiphanie de l’autre ? ou hypostase de l’autre?
Très Chère Solange,
Merci de cette remarque qui nourrira peut-être, pour ce que j’aurai à en dire, mon prochain édito… 🙂
Tribises,
Christian.