ven 22 novembre 2024 - 12:11

C’est de ta faute !

Le sentiment de culpabilité : De la névrose a la responsabilité

Chacune, chacun de nous peut aisément le constater : il n’existe pas ou peu d’ouvrages présentant une véritable psycho-sociologie de la franc-maçonnerie et des francs-maçons. A part, les « marronniers » qui régulièrement, révèlent au Grand Public, surtout les notoriétés (politiques, audio-visuelles, sportives, etc.) qui en font partie.

   Les conférenciers et habitués des plateaux de télévision » ou de radio, qu’ils soient philosophes, artistes, écrivains, médecins, psychiatres ou psychanalystes, qui approchent la franc-maçonnerie, de près ou de loin, la présentent au mieux comme « une société de pensée ». Mais ils se gardent bien de préciser si, à leurs yeux, existe une « culture maçonnique ». C’est à dire un véritable syncrétisme (et non un éclectisme) de toutes les formes de pensée et de comportement, de doctrines et de systèmes, générant une méthode individuelle d’épanouissement. Dit autrement, les intervenants ne font pas état d’un modèle spécifique, en termes d’émotions et de sentiments, qui saisirait l’essence de l’Homme en mouvement et en réflexions, au sein de la franc-maçonnerie.

   Certes, chaque être humain étant unique avec sa vision du monde intime, nous pouvons comprendre cet évitement, vu que, après tout, il y a certainement autant de « cultures maçonniques » qu’il y a de francs-maçons et de franc-maçonnes !

Des valeurs chrétiennes à la démocratie

 Observons les faits historiques : Cette société fraternelle initiatique, dans ses versions « obédientielle » ou « loge indépendante » contemporaines, est une très lointaine cousine des bâtisseurs de cathédrales, pour en avoir métaphoriquement emprunté l’esprit et l’image avec le symbolisme de la pierre élevée en monuments religieux. Celui-ci évoque la construction de l’Homme et, conséquemment, la solidarité entre les acteurs en présence.

Cette figuration constructive d’inspiration biblique (Le Temple du roi Salomon) est le choix – rappelons-le – de ses promoteurs du 18ème siècle, (le Presbytérien écossais James Anderson et le Huguenot d’origine française Jean Théophile Desaguliers). De la sorte, le « psychisme » de ces deux ecclésiastiques imprègne la franc-maçonnerie spéculative, tant des valeurs que des « avatars » de la chrétienté. Même s’ils se défendent d’avoir voulu créer une religion rapprochant Catholiques et Protestants, alors en conflit !

C’est d’ailleurs bien l’intérêt du choix de cet édifice mythique, dédié à Dieu, mais sans doute œuvre d’imagination des rédacteurs bibliques (sans preuve formelle d’existence à ce jour). Dès lors s’ouvre un vaste champ virtuel d’actions, permettant le déploiement des multiples aventures humaines, au long des rites maçonniques qui l’ont choisi, à leur tour, comme socle de leurs thèmes de réflexions.

La perfection n’est pas de ce monde et il serait vraiment suspect que la franc-maçonnerie veuille apparaître dans le cadre salomonien comme une institution parfaite, donc sans défauts ni faiblesses, lesquels caractérisent précisément « l’humain » et en constitue même en quelque sorte la noblesse !

Ce n’est pas la dévaloriser que les pointer, mais au contraire la rendre plus authentique et sensible. Il faut ainsi s’entendre d’entrée sur ses fameuses valeurs chrétiennes originelles qu’elle a reprises à son compte par porosité. Tout respect gardé pour elles, la religion et les pratiquants qu’elles représentent, il est juste de reconnaître que le monde n’a tout de même pas attendu la venue du prophète de Nazareth pour sortir de l’ignorance !

Certes, la bonne parole qu’il prêchait a magnifiquement œuvré pour tenter la promotion de l’amour universel, mais elle n’a pas inventé la dignité et la solidarité. Soyons justes : Ces valeurs humaines, sans doute « sommeillantes » existaient avant son arrivée et demandaient à être réveillées ! Dès lors prétendre que l’observation d’une conscience morale ou le souci de l’autre sont spécifiquement chrétiens, est en soi inexact. Et c’est même avancer un ethnocentrisme douteux !

Rappelons-nous que la démocratie est née au sein de la Grèce antique avec ses règles du « vivre ensemble » dans le respect mutuel, bien avant les valeurs dites chrétiennes (très proches des premières). Souvenons-nous encore qu’au cours de ces deux mille ans après la naissance du précité Jésus (qui n’a jamais demandé qu’un culte à son nom lui survive) le Christianisme a certes prêché l’amour universel en cause mais aussi au long des siècles, – soyons ici « mémorants » et objectifs – ses servants en haut lieu l’ont perverti gravement. En instaurant l’ignoble Inquisition, en ignorant les sévices des pires dictatures, en justifiant l’exercice de bien des injustices puis en s’ingéniant à entraver souvent le précieux débat d’idées. Il y a les religions et ce que les Hommes en font !

Un désastre politico-ecclésial

Ainsi le débat – toujours pas clos, comment le serait-il ?! – sur les huit Croisades lancées d’Europe par la Papauté d’Urbain II et les suivantes qui ont opposé l’Occident au Proche-Orient entre 1095 et 1291. Au prétexte premier (très discutable encore aujourd’hui) pour les Chevaleries chrétiennes d’aller déloger les Turcs seldjoukides de Jérusalem et de rendre ainsi accessible aux pèlerins le tombeau du Christ (à l’occasion du millénaire de sa mort), elles ont provoqué des milliers de victimes, tant chrétiennes que musulmanes.

A noter qu’au passage de la première Croisade, une partie des paysans enrôlés par les Croisés (comprenant aussi des nobles) a massacré plusieurs colonies juives en Rhénanie, malgré les interdictions de l’Eglise. Pour certains historiens ces actes antisémites ont été le début d’un antisémitisme qui a persisté et dont l’apogée fut la Shoah. Les chroniques juives du Moyen Âge ont authentifié et consigné ces massacres sous l’appellation « Gezerot Tatnou »

Il est bien difficile, sinon impossible, de valoriser les « éléments positifs » de ces expéditions mortifères, comme ils le devraient, car ils sont évidemment entachés à jamais par les horreurs commises. Elles ont certes permis les échanges (tardifs !) entre l’Orient et l’Occident, telles les techniques architecturales (voûtes sur croisées d’ogives) dont ont bénéficié les cathédrales qui ont couvert l’Europe. Les Croisés ont aussi rapporté des produits inconnus en Europe : étoffes précieuses, soie, plantes médicinales, arbres fruitiers, fleurs (dont la rose). Et ils ont répandu sur place, pour leur part, des méthodes de production agricole et de tannages des cuirs.

Il n’empêche que, nous insistons, nombre d’historiens sérieux, tant occidentaux qu’orientaux, s’accordent à dire que les Croisades – en tant que « guerre de religions » – furent un véritable désastre politico-ecclésial ! Dont nous payons encore le prix aujourd’hui, en termes conflictuels.

Certes, du Mal nait le Bien, si l’on veut croire le mouvement de cette binarité qui caractérise la destinée humaine (symbolisée en maçonnerie par le pavé mosaïque et exposé d’entrée à la vue des nouveaux initiés) : Les Chevaliers du Temple, acteurs de ces Croisades (avec les Chevaliers Teutoniques et les Chevaliers de Malte) ont, dit-on, inventé le système bancaire (Implantations des Commanderies templières dont certaines subsistent encore, transformées en hôtels indépendants). Avant de pratiquement disparaître suite à l’immolation de son Chef, Jacques de Molay, le 13 mars 1314.

Demeure aujourd’hui de cet affrontement méditerranéen, le précité Ordre Souverain de Malte, survivance prestigieuse et bienfaisante dans le monde entier des Chevaliers hospitaliers de l’Ordre de Saint Jean, siégeant au Vatican. Une belle conduite de réparation, reconnaissons-le, de la culpabilité. Il faut saluer ici les Gouverneurs successifs de cette Chevalerie qui ont dirigé le mouvement au fil des siècles jusqu’à nos jours : Autant d’hommes valeureux dont l’intelligence s’est souvenue de leurs aînés, qui rappelons-le, sous la direction de l’humble et bienveillant initiateur frère Gérard, et selon sa motivation première, secouraient les pèlerins en difficulté à Jérusalem, dans les années 1040… Les « fidèles » et les « Mahométans » étaient alors des frères amis avant qu’une folie guerrière ne se réveille dans le tréfonds de leurs cerveaux archaïques !

Il y a eu bien des conflits depuis la fin de ces Croisades. C’est à dire que se sont retirés du Proche-Orient, de gré ou de force, Croisés et Chevaliers, en 1291 notamment sous la poussée du Sultan Salah Al Din Saladin. Les intentions de certains d’entre eux n’étaient pas que la défense du tombeau du Christ ni le secours aux voyageurs, l’histoire nous le dit aujourd’hui officiellement !

Bien plus tard, à la fin du XVIIIème siècle, l’évolution de la pensée conduit les philosophes des Lumières à croire que le progrès moral viendrait du progrès matériel (machine à vapeur, électricité, etc.). Mais ils ont été tragiquement démentis par les génocides du XXème siècle (arméniens, juifs, tutsis, entre autres abominations). Et l’Homme du XXIème ne semble toujours pas guéri de sa soif de conquêtes territoriales, ferment endémique de cette « manie de la guerre » ! Le conflit actuel Russie/Ukraine, deux pays frères par nature, en témoigne, malheureusement.

Peut-on espérer quelque chose, ne serait-ce qu’en termes de médiation, de la part des religions en place ? En continuant de guerroyer entre elles, au prétexte que chacune prétend son Dieu plus authentique que les autres, il est clair que la paix n’est probablement pas à espérer de leur côté !

Il ne s’agit pas ici de régler des comptes, notamment avec le Christianisme et ses compromissions dans l’histoire, encore moins de le rejeter, ni de mettre en difficulté et troubler la foi des croyants sincères. Ce n’est pas mon sujet. Avec le concours des sciences humaines, qui renforcent la franc-maçonnerie contemporaine (notamment la philosophie, la sociologie, la psychologie, la psychanalyse, l’Analyse Transactionnelle, entre autres) mon intention est surtout de formuler des constats, au fil de l’actualité. En l’occurrence, d’abord, celui que les fameuses valeurs chrétiennes qui sont utiles (Amour, travail, solidarité, dignité, respect, entre autres) trouvent certes leur justification dans le contexte social, même si elles existent déjà, sous leurs diverses formes. Abondance de bien ne nuit surtout pas, à part que, répétons-le sans malice, le Christianisme n’a rien inventé dans ce domaine !

 En revanche, en France, ce qui s’est imposé depuis les années récentes, c’est bien le droit, la science, le suffrage universel, la liberté d’être (de penser, de dire et de faire) la laïcité, aux côtés de la tolérance, la bienveillance et la protection sociétale, autrement dit l’existence d’un « équilibre des pouvoirs » qui les affirment et permet ainsi le plein exercice de la citoyenneté, synonyme de bien-être social. L’ensemble de ces dispositions et qualités foncièrement humaines, n’appartient à aucun mouvement. Elles ne tombent pas du ciel, elles ne sortent pas de la Bible ni des Eglises, mais, entre autres, de l’interprétation régulièrement « affinée » de la Déclaration des Droits de l’Homme (1789)

Pour sûr, ces valeurs ne peuvent pas avoir la prétention d’être vraiment universelles, mais tout leur mérite est de tendre vers cette universalité. Il ne faut pas oublier que ces Droits entrainent des Devoirs de la part du citoyen.

En ce sens, il serait bon que soient mis vraiment en exercice dans la Cité la Déclaration des Devoirs de l’Homme, élaborée par l’avocat, député et franc-maçon, François Boissy d’Anglas en 1795. Elle a suivi la première mais les pouvoirs publics semblent l’avoir négligée en son temps. Elle a pourtant plus que jamais sa place aujourd’hui dans notre société, où à tort ou a raison, le citoyen a souvent le sentiment qu’il donne davantage qu’il ne reçoit.

Par ailleurs, il n’y a jamais eu autant de graves incivilités chez les particuliers, dans la rue, les commerces, les transports, à l’école ! On le voit ici, cette Déclaration des Devoirs de l’Homme (à consulter) n’a rien perdu de sa pertinence. « Un homme, çà s’empêche !», fait dire Albert Camus, fort à propos, à l’un de ses personnages de roman (Le premier Homme). Quatre mots à méditer.

Un homme çà s’empêche… et pourtant, de son fait, dans le cadre des activités humaines générales, une suite de désordres majeurs dont il a conscience menacent en ce moment même la planète : réchauffement climatique, dangers de la mondialisation sur les populations et l’environnement, menaces sur les espèces animales, etc. Apparaît donc un décalage manifeste entre les valeurs morales de l’homo sapiens et son comportement !

Distinguer le Bien du Mal

Il semblerait que le sentiment de culpabilité, profondément ancré en lui, avec son « jumeau », le sentiment de responsabilité, utiles précisément pour distinguer le bien du mal, ne fonctionnent vraiment au plan émotionnel, que si le problème en cause le concerne de très près (maladie, accident, assistance, mort d’un proche, risque de contagion, manque d’un ingrédient ou remède vital par exemple). Lorsque « l’élément dramatique » ou le danger est lointain, le sentiment de culpabilité s’atténue jusqu’à disparaître. Tout dépend de notre culture, éducation, environnement, lieu de vie.

De fait, il existe deux formes de culpabilité : l’émotion spontanée, déclenchant l’action immédiate et le sentiment distancié, relevant d’une élaboration mentale « retardée » avec action éventuelle. Ce qui renvoie d’une certaine façon à la philosophie d’Epictète : « Il y a les choses qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas ». Reste à être sûr que l’on ne peut rien faire dans certaines situations, seul en tout cas, même à distance ! L’esprit de facilité, l’égoïsme, l’indifférence, peuvent parfois neutraliser l’action !

Il existe bien entendu, à titre individuel, le sentiment de culpabilité (ou complexe de culpabilité) qui affecte celle ou celui constitutionnellement prédisposé (e) à endosser une faute imaginaire (inconsciente) ou même s’en accuser ! Cette névrose, car il s’agit alors d’une pathologie, affecte beaucoup les latins que nous sommes, nous dit l’anthropologie. Les Asiatiques, notamment, seraient moins concernés. Combien de gens – dans ce champ névrotique – se sentent coupables en effet, et pour tout dire, responsables, de faits courants et mineurs auxquels ils sont étrangers ?! Et combien de gens ont l’art « pervers » de culpabiliser le frère, la sœur, le collègue ou même l’ami, en retournant alors une situation ! C’est à dire en accusant carrément à tort un innocent ! Dans le déroulement de la vie quotidienne, les enfants, pour leur part, apprennent vite à mentir !

« C’est de ta faute ! » : l’accusation est courante, en cuisine pour un plat trop cuit, en voiture pour une bifurcation ratée au supermarché pour une promotion manquée, à la gare pour un train loupé…la mauvaise foi de l’accusateur (trice) concluant souvent la situation d’échec. Sachant que la nature humaine aime bien trouver un coupable…et que le plaisir est bien entendu dans la réconciliation d’usage après la dispute inévitable !

Freud a finement remarqué que le sentiment de culpabilité (lorsqu’il est d’ordre névrotique) conduit souvent au désir de châtiment, au besoin de punition, disons de « réparation » ! Tiens, nous voici de retour à l’enfance ! Et pour l’occasion en franc-maçonnerie !

Encore aujourd’hui, les francs-maçons font l’objet d’excommunication de la part du Vatican ! Pas possible donc, en théorie, d’être à la fois catholique et franc-maçon ! Ce que sont pourtant nombre d’entre eux, baptisés à la naissance ! Par définition, le récipiendaire – en l’espèce le « profane » croyant qui demande l’entrée du temple – est donc symboliquement, avant son admission, un « pêcheur », « porteur de fautes », bref, un « coupable » potentiel. Pas de panique, nous sommes au vrai, dans un système fictionnel ! La définition même de la culpabilité « construite » !

Certaines épreuves d’admission à l’organisation – qui conduisent à l’initiation (en soi, « purificatrice ! ») ne seraient-elles pas inspirées de ces coutumes juvéniles – voire du scoutisme – qui tiennent à la fois du jeu et de la peur passagère ? Sans l’affirmer, il n’est pas interdit de le penser. Ainsi l’épreuve du bandeau ne renverrait-elle pas au jeu de Colin-Maillard nous privant momentanément de la vue au milieu d’une assemblée « amusée » ? Et le séjour dans le cabinet de réflexion ne nous rappellerait-il pas notre « peur du noir » lors d’un court enfermement punitif dans une cave ou un sombre réduit pour quelque bêtise enfantine ?! Certes, il est très poétique, pour nous adultes devenus, de rapprocher ces « jeux » des fameux Mystères d’Eleusis. Le symbolisme, en l’occurrence maçonnique, dispose d’un trésor d’évocations offertes par la Grèce antique !

Et la franc-maçonnerie dans tout çà ?

Avant la création de la Grande Loge de Londres en 1717 (maçonnerie des « Moderns »), entre autres par les deux ecclésiastiques précités, la franc-maçonnerie vivait tranquillement une « maçonnerie de loges » éparses en Ecosse et dans le nord de l’Angleterre (Maçonnerie des « Ancients »). Elle marquait, à la fin du 17ème siècle, le passage de la maçonnerie opérative (par quelques constructeurs reconvertis et professions « acceptées ») en maçonnerie spéculative (de réflexion)

Après avoir traversé la Manche, la franc-maçonnerie, donc les francs-maçons, les franc-maçonnes, prennent progressivement leur part dans cette conversion philosophique (de la main à l’esprit, en quelque sorte), sur le sol de France, à l’échelon des Obédiences, des Juridictions et des loges. Avec toujours cette condamnation « perdurante » de l’Eglise planant au-dessus du mouvement, dont, il faut bien le dire, les initiés (es) n’ont cure ! Certes, le Christianisme n’accuse pas que les francs-maçons. Sa culpabilisation vise également les femmes qui pratiquent la contraception, l’avortement, les divorcés remariés, les homosexuels. A noter pourtant que ni l’Ancien, ni le nouveau Testament ne comportent dans leurs textes de telles accusations. Et elles ne peuvent pas être imputées au précité Jésus qui n’en a dit mot en son temps. Une forme de « névrose chrétienne » affecte donc encore bel et bien les locataires du somptueux Vatican, qui se croit permis de vouloir contrarier le cours normal de la nature humaine. Alors qu’il s’est révélé longtemps incapable, – et partant complice- d’empêcher les abominables crimes des centaines de pédophiles infiltrés dans ses troupes à travers le monde.

 En conséquence, il ne faut guère s’étonner de la désaffection actuelle des lieux de culte par les fidèles. Et si les anticléricaux s’en réjouissent, les pratiquants sincères ne peuvent que s’en désoler. Comme la franc-maçonnerie elle-même qui approuve la laïcité, en 1905 (Séparation de l’Etat et de l’Eglise) dans le respect total des religions. Car elle sait bien que, au-delà de la pratique cultuelle elle-même, c’est la cohésion sociale qui est affectée. Les lieux de cultes sont des points de rassemblement, de dialogues, d’échanges interhumains qui ont leur place dans la cité.

L’expression populaire « Il faut remettre l’Eglise au milieu du village » (d’origine alsacienne) – sans idée religieuse directe- signifie bien qu’il convient de respecter l’ordre, les convenances, la civilité, entre les habitants. Et les regrouper selon la tradition, au centre de ce village. Il s’agit, de remettre de cette façon, de l’ordre après un désordre. Nous retrouvons ici la devise du Rite Ecossais Ancien et Accepté : Ordo ab chao. « Du désordre, l’ordre ».

C’est un fait actuel, et l’illustration même de la formule précitée : Au moment même du développement considérable du télétravail au début de ce 21ème siècle – qui isole par définition, croyants ou non – l’office cultuel, quelle que soit la religion considérée, en l’espèce synonyme de réunion, regroupe comme la franc-maçonnerie, « ce qui est épars », donc engage l’Homme à sortir de chez lui. Parce qu’il est un animal social qui a un besoin vital de « faire société ». Il n’est d’être humain qu’en relation.

Les turpitudes religieuses avérées, plus haut décrites, n’empêchent pas les hauts dignitaires de la religion catholique actuelle d’édicter encore ses interdits injustifiés (alors qu’elle devrait plutôt faire preuve d’humilité et de retenue) à qui veut bien les entendre et en tenir compte ! Et la franc-maçonnerie, sa « parente », qui tout en étant écartée par cette même Eglise, porte encore les empreintes de ces empêchements. Elle n’est pas rancunière ! Tant mieux, c’est qu’elle a encore du chemin à parcourir pour être pleinement autonome par sa créativité et non imitatrice « coupable » dans ses pratiques !

Maçonner aujourd’hui

Heureux initiés (es), nous savons que les émotions et sentiments ne se distribuent pas sous forme de bons ou mauvais points mais éclosent, se vivent et se ressentent au plus profond de notre être. Chacune, chacun, éprouve ainsi son initiation en son cœur et son âme. Jusqu’à continuer de la vivre au présent ! Nés de nous-mêmes, en quelque sorte, nous sommes affectueusement accompagnés par le Vénérable Maître de la loge, dont le plat de l’épée, sur notre tête et nos épaules, nous consacre lors de notre initiation, selon la tradition des sociétés antiques.

L’initiation n’est pas une grâce tombée du ciel, mais pour le récipiendaire, la renaissance à une vie nouvelle. Elle symbolise l’ouverture d’un chemin qui conduit la nouvelle franc-maçonne, le nouveau franc-maçon, vers le Bon, le Beau, le Vrai, le Juste. Si , de son côté, la religion catholique a pu être qualifiée de « religion de la culpabilité », c’est qu’elle a répandu cette notion du « péché », du moins sur ceux et celles qui y sont réceptifs, à partir de la fable biblique où Eve (aidée d’un serpent) fait commettre à Adam l’irréparable : croquer la pomme, le fruit défendu du paradis terrestre.

Si le culte en cause reconnaît par cette métaphore le « sentiment de culpabilité », celui-ci n’est pas pour autant particulièrement lié à la franc-maçonnerie. Certes, nous venons de le voir, il peut s’y « nicher » au fil de l’articulation des rites, en fonction même de la sensibilité de l’initié (e). L’épreuve du bandeau, (situation infériorisante sur le moment par la perte d’un sens), et le séjour en cabinet de réflexion (face à face avec sa conscience) ne sont pas des démarches « innocentes ». Tout comme le parcours des degrés du rite (La franc-maçonnerie mise en grades à conquérir) qui peut être l’affaire d’une vie en termes de temps et d’amour-propre, expose à la fois à la compétition, à la comparaison et aux risques de l’échec. En ce sens, l’obtention retardée ou impossible des grades terminaux pour diverses raisons internes peut mettre à mal la résistance aux frustrations. Et provoquer des mutations ou démissions.

On n’arrête pas un marathonien avant les ultimes kilomètres d’une victoire désirée sur soi-même ! Les Constitutions et règlements de certaines obédiences, comportent davantage de pages d’interdictions que de pages permissives ! Autant d’articles à même d’entretenir, c’est un comble, quelque culpabilité entravante chez qui vient chercher en maçonnerie Liberté, Egalité et Fraternité !

 Il est bon de redire que la loge maçonnique n’est pas un lieu de thérapie, ni de culte, d’où les précautions à prendre lors des recrutements. Y dépendre d’un improbable tableau d’avancement, type militaire ou de l’étude des Evangiles, – tout respect gardé pour l’armée et les religions – est fâcheux en termes d’épanouissement personnel, but de toute démarche maçonnique.

Le sentiment de culpabilité, à la fois garde-corps et frein à l’épanouissement, peut venir de violences subies dans l’enfance, de blessures profondes de la vie, à même en effet d’empêcher l’estime de sa personne, la confiance en soi ou même de s’autoriser la permission d’être, de dire et de faire. C’est alors l’expression d’un « surmoi » devenu psychorigide, dirait Freud, qui affecte une personnalité sensible, souvent angoissée et l’indication d’une aide psychologique qui s’impose.

Ce sentiment est une névrose parmi d’autres : il ne s’agit pas de généraliser ici mais de « pointer » une particularité humaine qui nous invite à mieux encore nous considérer les uns les autres. Les regards, les gestes, les mots que nous échangeons sont des caresses ou des projectiles ! Comme toujours, il y a l’institution créée par l’homme, et ce qu’il en fait. Un lieu de pouvoir ou un centre d’échanges fructueux.

La franc-maçonnerie est une association ésotérique et initiatique, philosophique et progressiste, chaque adjectif est bien à sa place, mais nous, y avons-nous trouvé la nôtre ? : C’est bien là notre quête parmi nos frères et nos sœurs. Nous nous croisons lors des tenues mais nous rencontrons-nous vraiment ? Nous comprenons-nous vraiment ? Chacun, chacune de nous est un roman vivant, dont nous écrivons une page chaque jour de notre vie, au gré de nos contacts. Nos joies et nos peines, nos forces et nos faiblesses, nos manques et nos désirs.

J’ai gravé aujourd’hui sur la mienne, ce ressenti qu’est la culpabilité non seulement parce qu’il est profondément ancré en nous sans doute par la conscience de notre petitesse dans l’immensité – au-delà même de cet éventuel héritage judéo-chrétien précité, – mais parce qu’il a aussi une valeur morale. Il nous invite à davantage encore d’empathie et d’égards vis à vis de l’Autre, cet autre Moi. Dès lors, il s’agit de passer vraiment de cette culpabilité à la responsabilité. C’est sans doute cela être adulte ! « Si c’est la raison qui fait l’homme, c’est le sentiment qui le conduit » dit Jean-Jacques Rousseau.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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