Un conte dialogal écrit avec le TCF Raphaël Massarelli [1].
Ellimac. Il y a peu de jours, comme je partais de ma maison, je vis un homme de la connaissance, mon ami Ithloaèdes, je l’appelais de loin et le rejoignis. Ithloaèdes ! Je te cherchais justement pour te demander ce qui s’était passé avec Kyrios le jour où vous allèrent souper à l’académie. En t’y rendant, je t’avais entendu marmonner très embarrassé, à plusieurs reprises : Vite une question, j’ai la réponse ! Vite une question, j’ai la réponse ! On dit que toute la conversation roula sur l’origine de toute chose, et je meurs d’envie d’entendre ce qui s’était dit de part et d’autre sur ce sujet. Conte-le-moi donc, je te prie. D’ailleurs, pouvons-nous mieux employer le chemin qui nous reste d’ici à notre tenue ?
Ithloaèdes. Je te rassure sur mes prétentions. Cette histoire n’avait commencé que par une boutade ! Un jour, me promenant seul, en souvenir d’une galéjade, j’avais murmuré, en plaisantant, «Vite une question, j’ai la réponse». Kyrios, venant derrière moi, m’entendit, me mit au défi et me donna rendez-vous à l’académie pour le lendemain où je m’y rendais et c’est ainsi qu’il me questionna.
Kyrios. Tu as la réponse ? Bien, alors dis-moi, Ithloaèdes, y a-t-il une origine à toute chose ? Comment et pourquoi le monde existe et comment ce monde a la forme qu’il a ? D’où vient l’ordre sensible des choses ? Comment a pu émerger, à partir de rien, une organisation de l’énergie, de la matière et du vivant ? Comment peut-on connaître la vérité ?
Ithloaèdes. Tu es bien généreux et libéral, mon ami : je ne demande qu’une question simple, et tu en donnes une variété ; une seule aurait suffi. Alors, disons que si ta première question est : comment comprendre la constitution d’un système complexe à partir de rien, ma réponse est : on n’est pas sûr de savoir comment cela se passe. La quête du début de toute chose, celle que les physiciens désignent par Big-bang, est une grande affaire scientifique, non encore élucidée.
C’est pour cela qu’on l’appelle théorie du Big-bang car ce n’est qu’un ensemble de notions, d’idées, de concepts abstraits, de tentatives de répliques mathématiques de l’univers qui demandent continuellement à être confirmés. De manière simpliste, certains physiciens considèrent que le Big-bang est une singularité, une chose étrange pourrait-on dire, que nous sommes résignés à tenir pour un grand mystère. En effet, sur ce qu’il y avait avant la singularité qu’est le Big Bang, pourrait commencer le débat sur l’éventualité d’un Dieu créationniste, sur un principe organisateur tel qu’on le retrouve avec le Brahman principe de toutes choses, le démiurge de Platon, le premier moteur immobile d’Aristote, le logos des stoïciens, le grand horloger de Voltaire, le dieu nature de Spinoza, et même le GADLU.
Kyrios. Je t’arrête, mon ami, laissons plutôt aux théologiens le soin de dire comment on va au ciel et aux astrologues le soin de dire comment va le ciel. Revenons sur terre et laisse-moi poser une question autrement. Comment peut-on penser l’émergence de quelque chose, à partir de composantes qui avaient au départ des propriétés totalement différentes les unes des autres ? En somme et pour exprimer cela d’une façon plus simple : on dit que le tout est davantage que la somme des parties qui le constituent, sais-tu si cela est vrai ?
Ithloaèdes. C’est tout à fait exact, c’est une manifestation des systèmes physiques connue depuis plus d’un siècle. Scientifiques et sociologues ont démontré qu’on ne peut pas se contenter de comprendre la nature à partir de chacun de ses éléments constitutifs pris individuellement. Comme un fameux physicien français (Poincaré) aimait à dire dans ses cours de Physique : «une maison est faite de briques, mais un tas de briques ne fera jamais une maison !». Cela veut dire qu’on ne peut pas se contenter de comprendre la nature à partir de la connaissance de ses éléments les plus simples, car on ne donne, ainsi, qu’une vision très approximative de la réalité du tout. En somme, c’est le contraire de la démarche réductionniste analytique qui accepte, conformément à la méthode que proposait Descartes, de réduire le tout à ses parties, pour mieux le comprendre.
Kyrios. Veux-tu dire que devrions-nous cesser d’être cartésiens ?
Ithloaèdes. Peut-être ! Pour un nombre croissant de scientifiques en tout cas, le réductionnisme est une entreprise qui risque de reposer sur une erreur de conception fondamentale. Au plan d’une vision générale sur l’Univers, le concept de l’émergence ne permet pas de comprendre immédiatement pourquoi le monde est ce qu’il est, et moins encore ce qu’il deviendra. Il permet juste de comprendre qu’aucune théorie réductionniste ne permettra jamais d’analyser et reproduire la complexité du monde.
Kyrios. Pour comprendre cela, faudrait-il, alors, revenir à la possibilité d’utiliser une vision «holistique» de la complexité du Tout. C’est-à-dire une vision d’ensemble, globale qui admet qu’il faut essayer de comprendre la totalité produite par composition de ses simples constituants ?
Ithloaèdes. Je pense que ce serait une possibilité, par exemple : si on fait un tas avec 9 briques, son poids se réduit à la somme des poids de chaque brique, il n’y a pas d’émergence. Mais prends une miche de pain, il est facile de voir que celle-ci possède des qualités qui ne peuvent être considérées comme la somme de ses ingrédients ; sa texture est totalement différente de celles de ses composants, blé, eau, sel, levure, feu… avant leur mélange. La miche est une émergence. Les propriétés émergentes du pain proviennent de l’interaction entre ses ingrédients et le pain qu’on obtient est bien plus que la somme de ses constituants essentiels. La nature du vivant ressemble plus au pain qu’au tas de briques. Si nous regardons un organisme vivant, celui-ci est, évidemment, plus que la somme de ses organes.
Un autre exemple : Prenons une molécule d’oxygène, qui compose la plupart des substances. Si nous prenons une bouteille remplie d’oxygène pur, non mélangé à une autre substance, elle semble vide, l’oxygène est invisible à l’œil nu, inodore et au poids négligeable. Il en est de même pour l’hydrogène. Cependant quand on met ces deux éléments ensemble, ils se transformeront immédiatement en liquide visible, en eau qui, elle, aura un poids.
Kyrios. Cela veut-il dire que le monde est constitué par des strates imbriquées d’émergences et pour les comprendre, il suffirait d’admettre qu’un niveau est constitué à partir d’éléments du niveau précédents lorsque ceux-ci s’organisent et s’intègrent ensemble pour donner quelque chose de nouveau, en d’autres termes pour créer quelque chose en plus d’eux-mêmes ?
S’il en est ainsi, alors on peut comprendre pourquoi la pierre qui constitue la clé d’une voûte n’est pas une pierre comme une autre car, en fermant la voûte, elle la solidarise, la constitue en un tout qui tient. Elle crée la voûte dans sa relation d’équilibre des forces avec les autres pierres en tant que structure architecturale dans laquelle il suffit d’enlever une pierre quelconque pour que l’édifice s’écroule et devienne un tas de pierres.
De même aucun élément d’un circuit ne vaut grand-chose en lui-même par sa matérialité, mais, le fait de se fermer, comme dans une chaîne d’union, de faire cercle ensemble, assure la continuité et établit, dans ce cas, la circulation d’un flux d’émotions, d’échanges entre FF et SS. Ce qui émerge à ce stade c’est donc la totalité comme telle, qui vaut bien plus que la somme des éléments du circuit.
Ithloaèdes. Certes, toutefois, on considère qu’il y a émergence dès lors que les ensembles constitués par cette organisation complexe sont stables et qu’ils ont des propriétés propres, différentes de leurs composants antérieurs. L’émergence peut donc se définir par rapport à l’idée d’une organisation du monde selon des degrés de complexité croissante, succession qui ne peut être réduite à ses degrés élémentaires. Maintenant, il faut se représenter l’immense champ des technologies émergentes et convergentes, aujourd’hui disponibles susceptibles de fournir des briques pour la construction d’êtres artificiels, jusqu’à des populations de robots dotés de propriétés absolument inattendues et qu’on prétend qu’ils pourraient dépasser en intelligence les humains. Mais cela reste, aux yeux des scientifiques, un rêve romanesque fou et cependant non des moindres, les européens et les américains s’y investissent déjà.
Kyrios. Que le grand cric me croque et me fasse avaler ma barbe ! Comment apprécier ce monde robotisé dont tu me parles au regard du progrès humain que cela pourrait apporter.
Et maintenant, en admettant une complexification croissante d’un niveau à un autre, je me demande ce qui se passe dans le vivant. Comme on le sait, nous sommes constitués des mêmes atomes que la terre et les étoiles, mais comment ces éléments se composent-ils pour constituer la vie ? Est-ce un résultat de la complexité ?
Ithloaèdes. On peut en effet expliquer la vie ainsi, une complexité de relations entre les atomes qui forment des molécules, qui forment des cellules, qui forment des tissus, des organes, des organismes. Et tu peux même observer ces effets de la complexité au cours de l’évolution à des niveaux surprenant comme par exemple celui de la conscience.
Il y a un exemple à ce sujet qui pourrait expliquer le vivant par un théorème qui a pris le nom de Bose -Einstein, théorème, on s’en doute très compliqué sur les fluides quantiques[2], mais sur la base duquel, certains scientifiques en déduisent que sous conditions particulières et lorsque le nécessaire niveau de complexité est rejoint, des éléments simples peuvent fusionner en un seul et unique élément. C’est le principe philosophique qui implique que le Tout donne le Un.
Ce concept, peut être appliqué au vivant et observé au cours de l’évolution des espèces. La plus simple forme de vie est donnée par les bactéries et les protozoaires. Ces dernières sont des cellules qui vivent comme des individus dotés de mini-consciences car elles peuvent réagir à l’environnement qui les entoure.
Au cours des millénaires, des cellules semblables aux protozoaires ont formé des colonies, puis des individus plus complexes où les cellules se sont spécialisées en des fonctions diverses. De sorte que leur ensemble, suivant le théorème de Bose-Einstein donne, à partir de nombre de cellules différentes, un seul individu qui aura une seule conscience et non plus un ensemble de mini-consciences.
Cela peut évoluer et se complexifier jusqu’à la conscience humaine, qui, sur Terre, est l’exemple le plus complexe du vivant. Ainsi, d’organismes primaires capables de réactions élémentaires, on arrive à des organismes qui peuvent écrire et déclamer l’Iliade ou le Mahâbhârata.
Voici comment une conscience peut émerger d’un ensemble d’atomes.
De même, les robots, que j’ai évoqués plus haut, modifieront probablement l’homme lui-même ; ils pourraient donner lieu à des prothèses dont certaines sont déjà utilisées en chirurgie réparatrice, voire dégager une certaine autonomie. L’émergence renvoie à un monde qui n’est pas figé, un monde en évolution dans lequel de nouvelles formes d’existence peuvent apparaître.
Kyrios. Si je comprends correctement ton raisonnement sur l’émergence de la conscience, j’aurais envie de dire que l’existence même de l’homme pourrait avoir modifié tous les niveaux antécédents. Il y a, par émergence, formation d’une hiérarchie de niveaux d’organisation, mais l’ensemble ne forme pas un monde stratifié. Il s’agit plutôt d’une imbrication, car les niveaux ne sont pas disjoints et empilés, mais comme internes les uns aux autres et interactifs entre eux. Par exemple, la nature, au sens large, qui a permis l’émergence de l’homme s’en est trouvée profondément modifiée par lui. Alors, en cascade, on remonterait à la modification du niveau primordial du Big Bang et en allant encore au-delà, le GADLU lui-même serait potentiellement modifiable par nous en le faisant évoluer à notre image ! D’ailleurs, la kabbale, me semble-t-il, explique que le Nom de Dieu lui-même est abimé chaque fois que le mal est fait volontairement.
Mais dis-moi, Ithloaèdes, tous ces nouveaux concepts dont tu viens de me parler, s’approchent-ils de la notion de réel, nous découvrent-ils un autre côté du visible ?
Ithloaèdes. Des changements ont bien eu lieu en ce sens, ils concernent l’extraordinaire avancée technologique que nous sommes en train de vivre. Ils sont essentiellement dus à une série de découvertes faites en physique il y a un siècle, d’abord par Einstein avec sa théorie de la Relativité, puis par plusieurs physiciens qui ont développé ce qu’on a appelé la mécanique quantique et puis la physique quantique.
Celle-ci décrit, dans le temps et l’espace, la structure et l’évolution des phénomènes physiques à l’échelle de l’atome et même en-dessous, à l’échelle subatomique. Je te rappelle qu’il y a autant d’atomes dans un verre d’eau qu’il y a de verres d’eau dans l’océan. La partie la plus petite de l’existant serait, par convention, un quantum, un quelque chose. À l’observation, si on la grossissait à l’échelle du système solaire, elle aurait la taille d’un arbre. Ce monde quantique ne peut pas être décrit dans les termes de temps et d’espace de la physique de Newton, celle de la mécanique, du mouvement, de la masse, de la force, de l’énergie, etc.
Au niveau de l’atome nous savons qu’il y a un monde qu’on a considéré depuis le départ comme bizarre et applicable seulement à l’infiniment petit, avant que l’on ne se rende compte, dans les années 1970, qu’on pouvait l’appliquer aussi à l’infiniment grand, à l’étude de l’origine de l’univers.
Dans cette physique, les objets quantiques sont comme des fenêtres ouvertes sur quelque chose dont on ne peut rien dire en termes littéraires. Je te donne un exemple avec le principe de superposition quantique. Ce principe énonce qu’une composante élémentaire d’un atome, appelons-la particule, peut être localisée à deux, et même plusieurs, endroits en même temps. On dit que la particule est à la fois ici et là-bas, on utilise aussi le terme plus explicite d’intrication
Pire encore, une telle particule quantique se présente sous deux états simultanément. Elle est particule, c’est-à-dire elle a une masse, un poids, et au même temps elle est une onde, c’est-à-dire de l’énergie. Elle est en somme dans un état qu’on a aussi défini de superposition.
On appelle cette onde-particule, ondicule. Elle peut rester sous cette forme indéfiniment, tant qu’elle n’est pas observée. Il suffit, en d’autres termes que quelqu’un l’observe pour qu’elle devienne soit exclusivement onde, soit exclusivement particule. Une onde est comme une vague qui se déplace, qui transporte de l’énergie, sans transporter de matière avec une fréquence vibratoire.
Kyrios. Puisque notre corps biologique ne nous permet d’accéder qu’à une gamme limitée de fréquences vibratoires, veux-tu dire que les observateurs créent un réel qui ne serait qu’une vérité partielle ?
Ithloaèdes. Oui, mais… Au début de la physique quantique, on pensait que l’observation devait être humaine et donc représenter le résultat d’une conscience. Mais plus récemment on s’est rendu compte que l’observateur ne doit pas nécessairement être un humain. Il semblerait en effet qu’il suffit qu’une autre particule ou une onde «observe» une autre ondicule pour que celle-ci devienne onde ou particule… Cela semble démontrer que les ondicules ont une certaine propriété que l’on pourrait définir de miroir de conscience.
Kyrios. Mille millions de tonnerres de Brest ! Ce que tu me dis est incroyable ! Explique-moi en quoi ce monde quantique peut-il exister car je ne le vois pas, comment pouvons-nous dire que cette table que je regarde est faite comme tu me dis ? Il y a là quand même un grand mystère qui tiendrait à la nature énigmatique des ondicules avant que l’on ne les observe ; ton électron, par exemple, qui est une ondicule, avant qu’on ne l’observe, peut devenir particule à l’observation, c’est-à-dire de la matière ?
Ithloaèdes. Oui, c’est bien ainsi et vice-versa une ondicule peut devenir une onde. Cela est effectivement mystérieux. Et pourtant même Einstein, qui défendait l’existence d’une réalité indépendante de l’observation, a fini par admettre que l’ondicule est selon ses termes un «champ fantôme», son existence n’est pas réelle au sens où nous l’entendons. Ce serait ce que l’on a appelé un champ de force.
Kyrios. Tu veux dire que la réalité s’actualise seulement sous l’effet de l’observation d’une conscience ? La conscience de chaque individu serait alors responsable de sa propre réalité et chacun la construirait comme un tunnel à travers ce mystérieux monde d’interactions quantiques.
Ithloaèdes. Et oui, c’est ce qui faisait dire à Eisenberg, l’un des fondateurs de la mécanique quantique : «Ce que l’on observe n’est pas la nature en soi, mais la nature telle que l’expose notre méthode pour interroger» et il ajoutait «que l’interaction entre l’observateur et l’objet provoque des changements conséquents et incontrôlables qui modifient le système observé». En d’autres termes ce qui importe ce ne sont pas «sujet et objet», mais la relation qui s’établit entre eux.
Kyrios. J’imagine combien cette théorie peut paraître absurde. Elle l’était, en tout cas, pour Einstein qui posait cette question, avec un pincement d’ironie : «La lune existerait-elle quand même, si personne ne l’observait ?» Il ne savait pas le grand physicien que même un photon est doté de connaissance et que….. mais oui, mais c’est bien sûr ! L’univers entier est conscient et il s’observe en permanence ! C’est pour cela que les diamants existent au plus profond de la terre avant d’être découverts, que les poèmes ou la peinture ou la musique existent de tout temps dans l’attente de leurs auteurs. Si je comprends bien, c’est par cette observation, ou permets-moi de dire cette conscience universelle, à laquelle appartiennent la lune, les diamants, toi, moi aussi, qu’est extraite la totalité de notre réel de tout ce qu’il aurait pu être.
Mais continue, je t’en prie, dis-moi autre chose sur la nature de ce monde quantique.
Ithloaèdes. Premièrement, c’est un monde peuplé à 99,9% de vide ! Dans les atomes, entre le noyau et les électrons qui lui tournent autour il y a tellement d’espace que l’on peut affirmer que les atomes sont essentiellement formés de vide. Cela d’ailleurs se reproduit à bien plus large échelle dans l’espace cosmologique. De plus, la matière n’est en réalité qu’une forme d’énergie, il y en a même tellement que certains scientifiques affirment qu’il y a plus d’énergie dans 1 cm3 d’espace vide qu’il n’y en a dans toute celle que nous appelons matière de l’Univers !
Kyrios. Génial ! Une partie de cette énergie pourrait donc devenir une énergie utilisable. Elle constituerait alors une source d’énergie propre et renouvelable, comme celle du vent ou du soleil.
Ithloaèdes. Des recherches très sérieuses sont faites en ce sens, on parle d’énergie libre. Mais poursuivons avec le quantique.
Deuxièmement, une ondicule est à la fois présente en tout point et nulle part, son existence est alors définie en termes de «champs de probabilité». On entre alors dans un monde de quasi science-fiction, puisque cette onde est présente jusqu’à dans des milliers d’endroits en même temps !
On dit que l’onde est dans un état superposé, à la fois ici et là-bas. Toutefois l’observation va arrêter cette dispersion. Seulement des consciences peuvent être des observateurs. Sans cette conscience, il y aurait cette superposition de possibilités en expansion. Chaque conscience crée ce que tu appelles son tunnel de réalité, parmi tous ceux probables, mais ce n’est pas la Vérité. C’est dire qu’une observation, ce qui revient à mettre de l’information sur quelque chose, extrait cette chose de toutes ses probabilités d’être pour la rendre matériellement existante dans le monde macroscopique, à savoir le nôtre.
Troisièmement, contrairement à la théorie d’Einstein selon laquelle rien ne peut se déplacer plus rapidement que la lumière, on sait aujourd’hui que l’espace dans lequel est contenu notre univers s’épande à une vitesse supérieure à celle de la lumière.
Quatrièmement, prenons deux particules créées en même temps. Selon le principe d’intrication dont je t’ai parlé, si on en expédie une extrêmement loin de l’autre et si on lui fait quelque chose, c’est-à-dire si on l’observe ou qu’on la manipule, l’autre réagira à l’instant même en se présentant dans le même état résultant. On peut en conclure que, soit l’information peut voyager à une vitesse instantanée, ce qui est considéré en l’état de la science comme impossible, soit les deux particules sont toujours connectées. La conclusion est que tout reste très probablement en contact.
Kyrios.
Ce qui m’intrigue, c’est qu’il n’y a donc pas d’évolution dans le monde quantique puisqu’il exclut le temps ; on pourrait dire qu’il n’est, n’a été et ne sera toujours qu’en termes de potentialités réalisées ou pas. Dans ce monde quantique, alors, paradoxalement, il ne peut y avoir d’émergence puisqu’il n’y a pas d’avant, ni d’après, seulement une actualisation de la création par des consciences qui ne sont pas qu’humaines ?
Ithloaèdes. Si, il y a un avant et un après, puisque il y a eu, selon la théorie, un moment zéro ! On est arrivé à connaître l’âge de l’Univers à un millionième de milliardième de seconde après le Big Bang. Donc il devrait y avoir eu un avant et un après.
Kyrios. En définitive il faut jongler avec deux mondes, celui d’Einstein qui régit les objets massifs (mondes, étoiles et galaxies) et où le temps peut changer comme changent les trois autres dimensions, et celui de l’infiniment petit (immédiatement après le Big Bang) où il y a eu une soupe quantique, dont on ne sait rien sauf que tout était et n’était pas ; un monde incompréhensible.
Ithloaèdes. La science n’a pas résolu la compréhension de ce passage. Mais surtout les particules de la matière originale qui a émergé du Big Bang, bien que dispersées dans l’accroissement de l’univers, sont restées en contact, ce qui voudrait dire que les particules qui nous composent, nous les humains, sont toujours connectées à toutes les autres particules de l’univers, que tout n’est que UN.
Kyrios. Cela me semble déranger les lois, les observations et les philosophies. Ces différents mondes emboités n’existeraient pas indépendamment les uns des autres, de manière inséparable. Et si je comprends bien, les divers niveaux de la matière, de la vie, de l’homme et de la société interagissent sans cesse entre eux. C’est pourquoi Max Planck a pu dire : «Il n’y a pas de matière comme telle. Toute la matière est originaire et n’existe que par la vertu d’une force qui entraîne les particules d’un atome à vibrer et qui soutient tout ce système atomique ensemble. Nous devons supposer derrière cette force l’existence d’un esprit conscient et intelligent. Cet esprit est la matrice de toute matière».
Est-ce bien ce que cela implique ?
Ithloaèdes. Oui, d’ailleurs, depuis fort longtemps pour la philosophie orientale, la nature est un continuum, il n’y a pas de différence entre matière et énergie. Dans cette approche intellectuelle les opposés ne se détruisent pas mais essaient de s’accorder, de se compléter et de ne faire qu’Un. Le Taoïsme enseignait déjà que le deux devient trois, en ne considérant que le rapport qui existe entre les opposés. L’ensemble est ce que l’on nomme le «Un», le Tao. Enfin et pour éclaircir cela, le dialogue qui s’installe entre les opposés, le Yin et le Yang par exemple, ne peuvent se révéler que par leurs échanges. D’où la conclusion philosophique que les opposés existent et n’existent pas, qu’ils sont dans des états superposés au sens quantique.
La pensée occidentale, quant à elle, raisonne trop souvent en termes de dualités, par exemple le bien et le mal, la lumière et l’obscurité, le blanc et le noir, l’être et le non-être, et cætera. Elle est, ainsi, incapable de comprendre que le deux forment le Un.
Relation, trame, tissu voilà comme on peut voir le monde, un ensemble intriqué de fils formant un tissu multidimensionnel au dessin d’une extraordinaire complexité. Et cela est le tout et en même temps le Un.
Kyrios. Donc, si je comprends bien cet Univers, ce monde dans lequel nous vivons représente le Un ?
Ithloaèdes. Pas tout à fait, car il est arrivé un instant après le début du Big Bang, on peut donc se poser la question qu’y avait-il avant le Big Bang ?
D’un point de vue philosophique, le Un doit inclure tout ce qui existe dans notre espace-temps comme dans les autres univers que certains imaginent et dans ce qui les contient, car il doit bien exister un contenant. Il suffit d’imaginer que, si la théorie du Big Bang est correcte, au départ, au temps zéro de la vie de l’univers, celui-ci, sa masse et son énergie étaient contenues dans un point dont la masse était énorme et la dimension équivalente, peut-être à celle d’un petit pois. Puis l’explosion et l’inflation qui suivirent formèrent l’univers que nous connaissons. L’unité forma le tout. Cela veut aussi dire que nous sommes en contact encore avec ce tout car tel que nous le voyons l’univers est Un, c’est la science et la philosophie qui nous le disent. Le Un est avant le zéro cosmique.
Mais laissons de côté maintenant cet étrange ballet entre philosophie et physique, car j’ai envie, à mon tour, de te poser une question : Est-ce que le temple maçonnique, en tant que représentation du cosmos, offre des symboles qui nous mettraient sur la voie d’une telle analyse ?
Kyrios. Bien sûr, tout le temple lui-même et, dans le temple, tous les symboles de la dualité et ceux du ternaire montrent, à l’évidence, une vision de la complémentarité des contraires et de leur coïncidence dans l’unité.
C’est l’enseignement majeur de la formation de l’apprenti. Le monde ne peut nous apparaître que sous une forme duale, mais son unité est à rechercher avec le 3. Prenons l’exemple du pavé mosaïque : il est la réconciliation des deux extrêmes que l’ont peut nommer ténèbres et lumière, bien et mal, blanc et noir, Dieu et Diable, infini négatif et infini positif, et, même, masculin et féminin. Toutefois, parmi les nombres présents dans le Temple qui se donnent à voir, à entendre ou à pratiquer, le nombre 3 paraît le plus utilisé de tous, il est représenté par une multitude de symboles : les trois grandes lumières, les trois piliers lorsqu’ils sont présents, les trois pas de l’apprenti, les coups de maillets, les rythmes d’acclamations, etc. Ce trois est un nombre d’énumération. Cependant, seul le 3 en tant que ternaire, rétablit ce que le 2 a troublé en tant que dualisme, en tant qu’opposition, pas le 3 en tant que dénombrement. En fait, seul le ternaire fait davantage : le passage du 2 au 3 permet de dominer le dualisme, de l’effacer même, non en le niant, mais en le ramenant à l’unité préexistante dans un mouvement ascensionnel ; ses formes symboliques seraient ce qui se présente comme opposé avec, par exemple le pavé mosaïque, comme complémentaire avec les 2 colonnes, la lune et le soleil et, bien sûr, comme triangulaire avec le Delta lumineux.
Ithloaèdes. Alors le delta lumineux pourrait également évoquer le quantique, dans ce cas l’œil serait l’idée de l’observation ?
Kyrios. Pourquoi pas puisque le triangle, pointe en haut, est ce que l’on appelle une triade, c’est-à-dire l’unité qui se donne à voir dans sa manifestation duale et les échanges entre tous ses composants, en somme le Un et le Tout, son émergence. Le point unique du haut du triangle est l’unité d’où tout procède ; tout est de la même essence que lui. Le sommet serait le Un, non pas le nombre mais le principe, qui précède et contient le zéro cosmique du big bang. Déjà pour Pythagore, le sommet d’un tel triangle est dit le père, le côté gauche est la duade, la mère, le côté droit représente le fils que l’on retrouve comme époux de la mère dans beaucoup de cosmogonies. La base est l’univers réalisé en ce que l’on peut imaginaliser en père-mère-fils dans le monde phénoménal et, en même temps, unifié dans le monde primordial de l’unité. Par la perception symbolique d’une unique origine qui ne se différencie que dans la perception humaine, le franc-maçon peut s’attacher à voir plus loin qu’avec le seul regard manichéen du profane, cessant de se soumettre à toute affirmation moraliste ou dogmatique.
Ithloaèdes. Le triangle pointe en bas, est aussi un ternaire, son symbolisme diffère-t-il ?
Kyrios. Le triangle pointe en bas peut être interprété, dans une visée mystique, comme un retour à l’unité, le chemin pour s’unir au créateur. Mais c’est aussi deux termes préalables qui génèrent un troisième terme, une sorte d’émergence comme dans le ternaire «thèse, antithèse, synthèse». Le troisième terme généré est une affaire d’interprétation personnelle. Je dirai que ce sont des tunnels de réalité (au sens où on les a définis) alors que le triangle pointe en haut est un universel.
Ithloaèdes. Alors, l’origine verbale du mot «symboliser», «reconnaitre, mettre ensemble, assembler» se situe dans le contexte du ternaire ? Car, n’est-ce pas une façon de retrouver l’unité sous-jacente avec ce qui est épars ? Par exemple, la réalisation de ce que nous appelons l’égrégore ne fait-elle pas émerger une structure d’unanimité, quelque chose comme un essaim ? L’égrégore, perçu du point de vue quantique, pourrait très bien n’être que la manifestation spirituelle de l’intrication de nos particules avec celles des FFø et SSø mais aussi avec celles de tout l’univers, cela est montré visiblement par l’entrelacement de la chaîne d’union, en tout cas c’est une hypothèse.
Kyrios. Si tous les êtres ne cessent jamais d’actualiser l’Unité, par contre, ils perdent de vue ce rattachement. Le symbole nous permet de comprendre que, quel que soit le sens du mouvement, à l’ensemble, préside l’Unité ou le retour à elle. Leur connaissance s’est obscurcie, d’où par exemple la souffrance et les erreurs sur la prétendue «autonomie» de l’individu. Ce qui est appelé «mental», c’est le monde mouvant, intermédiaire entre le corps terrestre et l’esprit de nature universelle : il est fait des échanges de nos émotions, de nos imaginaires, de nos pensées que nous avons avec l’univers et avec nous-mêmes, il est appelé aux métamorphoses et aux transformations. J’ai l’impression que Platon avait dit la même chose dans son Théétète, dans ce passage où il montre que la perception que nous procurent nos cinq sens ne peut accéder à ce qui est. Il écrivait : «C’est dans leurs approches mutuelles que toutes choses naissent du mouvement sous des formes de toutes sortes, car il est impossible de concevoir fermement l’élément actif et l’élément passif comme existant séparément, parce qu’il n’y a pas d’élément actif, avant qu’il soit uni à l’élément passif… Il résulte de tout cela que rien n’est un en soi, qu’une chose devient toujours pour une autre et qu’il faut retirer de partout le mot être… Il faut dire, en accord avec la nature, qu’elle est en train de devenir, de se faire, de se détruire, de s’altérer». Le mental fluctuant du monde sensible et dual ne peut donc pas approcher le Un universel et, de ce fait, nous ne pouvons pas atteindre ce niveau d’unité par le seul mental. Cette conception est dans la philosophie orientale qui conclut : «ce n’est pas par la pensée que l’on atteint la Voie». Après tout, si l’Énergie est la seule vie, et la Raison la borne de l’encerclement de l’Énergie, à chacun de choisir d’être au cœur des choses ou à leur périphérie ; ce n’est pas trop de toute une vie pour confronter, l’un par l’autre, ce monde où nous sommes et ce monde qui est en nous.
Ithloaèdes. Voilà, Ellimac, ce que fut, pour l’essentiel, notre entrevue avec Kyrios. Mais je vais te résumer en quelques mots ce que nous sommes parvenus à comprendre. Tout est Un, le Un est avant le Zéro Cosmique, tout n’est que mouvement que nous appelons énergie, les choses ne nous sont perceptibles que parce que le mouvement donne l’illusion de la matière, nous n’existons que parce que nos cellules communiquent entre elles, nous sommes cet échange, cette animation. C’est pourquoi il n’est peut-être pas suffisant de se penser en termes de «qui suis-je» mais qu’il faut aussi s’interroger en ces termes : «que suis-je» ? Quelle est mon essence ? Quelle interférence de tunnels de réalité me fait exister ? Quelles sont les consciences, y compris la mienne et mon inconscient, qui objectivent ma vie ? Ne suis-je sujet actif, créateur de réel que lorsque je mets une information sur ce qui m’entoure ? Si je me vois comme je suis, ne suis-je pas aussi comme tu me vois ?
Et maintenant que nous sommes presque arrivés à Garibaldi, Ellimac, permets-moi une question : pour harmoniser ce qu’est la vie, ne suffit-il pas de générer la plus rayonnante des connexions avec ce qui nous entoure ?
Ellimac. Comme le dit le Tao te Qing, «parler beaucoup épuise sans cesse ; mieux vaut garder le milieu»; alors de tout ce que tu m’as rapporté, j’ai juste un mot à te proposer pour te répondre : rien que de le prononcer, il irradie, comme une lumière primordiale, des myriades d’émergences, il est l’essentiel du mot animer, c’est le verbe «Aimer».
[1] Planche présentée en 2015 (ce qui explique que du seul point de vue scientifique les propos sont dépassés) avec le TCF Raphaël Massarelli, Docteur d’État ès Sciences, Professeur Emérite des Universités, Trophée d’Or de l’Ordre des Physiothérapeutes au Liban, participant à de nombreuses sociétés savantes, responsable des Conventions Internationales, auteur et coauteur de centaines d’articles et d’ouvrages spécialisés internationaux, Chevalier des Palmes Académiques, … Un CV de savant de dizaines de pages dont l’importance est impossible à reproduire ici.
[2] “Le gaz parfait de bosons devait subir à basse température une transition de phase, dite condensation de Bose-Einstein, amenant un nombre macroscopique de particules dans leur état fondamental. Le condensat obtenu est un fluide quantique car cette transition se produit lorsque les effets de statistique quantique commencent à se manifester, autrement dit lorsque la distance inter-atomique devient de l’ordre de la longueur de cohérence des ondes de matière.”
Graphique 3D montrant 3 états successifs : les atomes sont de plus en plus denses (de la gauche vers la droite)