sam 23 novembre 2024 - 23:11

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789

De notre confrère histoire-image.org – Par Guillaume BOUREL

Une œuvre collective, fruit d’un long débat

Le 20 juin, les députés du tiers état réunis dans la salle du jeu de paume à Versailles jurent de ne pas se séparer « jusqu’à ce qu’une constitution soit établie ». Le roi cède le 27 juin et les états généraux deviennent assemblée constituante. Aussitôt, un comité de cinq députés (1) est chargé de préparer l’élaboration d’une constitution. Celui-ci propose le 9 juillet 1789 de la faire précéder d’une déclaration des droits naturels de l’homme ; La Fayette en propose un premier projet le 11 juillet, suivi de ceux des députés Targuet, Mounier, Sieyès ou Mirabeau.

Les discussions s’enlisent toutefois à l’assemblée. Les émeutes antiseigneuriales qui ont agité le royaume en juillet (la Grande Peur) et l’abolition des privilèges le 4 août relancent l’entreprise, car il convient de fonder le nouveau contrat social qui en découle par une proclamation solennelle. Le texte est finalement adopté le 26 août par l’assemblée au terme de débats vifs sur chacun des dix-sept articles et n’est promulgué par le roi que le 3 novembre, sous la pression des députés et des journées révolutionnaires d’octobre. Les 5 et 6 octobre, les Parisiens et Parisiennes ont en effet marché sur Versailles et obligé le roi à abandonner son château pour Paris. Jean-Jacques François Le Barbier, membre de l’Académie des beaux-arts, est connu pour ses peintures historiques. En 1789, l’assemblée lui en commande plusieurs. On ne peut affirmer qu’il s’agit ici d’une commande officielle, et sa taille modeste n’en fait d’ailleurs pas un tableau destiné à orner un espace public. Le Barbier le dédie toutefois « aux représentants du peuple français ». Le tableau a appartenu à Clemenceau qui en fit don à la ville de Paris en 1896.

ANALYSE DES IMAGES

De modernes Tables de la loi

D’emblée, la reprise du thème iconographique des Tables de la Loi transmises par Dieu à Moïse pose la sacralité fondamentale des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Les tables sont surmontées du delta, un triangle avec en son centre un œil, qui s’inspire davantage de la Raison de l’iconographie franc-maçonne que de certaines représentations de Dieu dans la tradition chrétienne. À gauche, l’allégorie au manteau fleur-de-lysé de la monarchie constitutionnelle délivre le citoyen de ses chaînes et à droite celle de la Liberté ailée par un double mouvement place les droits de l’Homme et du citoyen sous le seul signe de la Raison. Sous le titre, est peint un ouroboros, serpent se mordant la queue, qui signifie l’éternité des droits inaliénables inscrits dans la Déclaration. Au centre de la Table, la lance est entourée des faisceaux que les licteurs (2) portaient devant un magistrat romain pour signifier son pouvoir. Elle représente la puissance de la nation unie, une nation de citoyens libres puisque la lance est surmontée du bonnet phrygien que les esclaves affranchis portaient à Rome. Comme pour souligner encore davantage la souveraineté de la nation, une tresse de laurier, symbole à la fois de la gloire du vainqueur et du pouvoir, encadre le texte.

INTERPRÉTATION

Une déclaration fondatrice

Jean-Jacques-François Le Barbier (dit l’Aîné, attribué à, 1738-1826). “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La Monarchie, tenant les chaînes brisées de la Tyrannie, et le génie de la Nation, tenant le sceptre du Pouvoir, entourent le préambule de la déclaration”. Huile sur bois. Paris, musée Carnavalet.

La lumière qui écarte les nuages en haut du tableau évoque une ère nouvelle. En effet, le préambule de la déclaration tourne la page de l’Ancien Régime et pose que le but de toute institution politique est le « bonheur de tous ». L’image des Tables de la loi souligne la portée universelle de la déclaration, le préambule et l’article premier établissant les droits naturels et sacrés de l’Homme.

Le texte fonde ainsi un ordre social nouveau qui met fin à la société d’ordres. Les choix iconographiques du peintre soulignent les deux thèmes forts du texte : la souveraineté nationale et la liberté. La souveraineté nationale, empruntée à Jean-Jacques Rousseau, est établie par l’article 3 de la Déclaration. Elle réside fondamentalement dans le droit des représentants du peuple à voter les impôts (art. 14). Les faisceaux au centre de l’image symbolisent la nation comme association politique volontaire, principe premier de la Déclaration d’indépendance américaine de 1776 dont La Fayette s’est inspiré. Les articles 4, puis 7 à 11 du texte, sont quant à eux consacrés à la liberté, en rupture avec l’arbitraire de la monarchie absolue. La liberté est garantie par un État de droit (art. 5 : « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ») comme l’avaient formulé les juristes des Lumières influencés par Beccaria (3). L’affirmation de l’égalité est absente du tableau et d’ailleurs plus modeste dans le texte : égalité devant la loi (art. 6) et devant l’impôt (art. 13). Lors des débats en effet, les députés qui défendaient la primauté de la liberté et du droit de propriété l’ont emporté sur ceux inspirés par Rousseau, qui estimaient que l’égalité devait être l’objectif premier du contrat social passé entre les citoyens (Sur l’origine et les fondements de l’inégalité). Le titre de la Déclaration comme l’image ne retiennent pas le principe de devoirs du citoyen, alors que pour certains députés comme l’abbé Sieyès, l’intérêt général supposait des devoirs du citoyen envers la nation. Toutefois, le texte de la Déclaration y fait référence dans les bornes que fixe la loi et dans la contribution publique que doit tout citoyen, l’impôt.

La Déclaration de 1789 est le résultat de longs débats et le fruit d’un compromis à grand renfort d’amendements : la « nécessité d’une force publique » (art. 12) garantie d’ordre, le droit de propriété « inviolable et sacré » (art. 17). Du reste, les députés avaient prévu de poursuivre l’élaboration de la Déclaration, une fois la constitution rédigée. Or, le peintre la présente comme un texte définitif est immuable. Dépassant les débats et les crispations qui ont accompagné sa rédaction, Le Barbier a cherché à lui donner la solennité du texte fondateur d’un nouvel ordre social et politique. C’est sans doute ce qui vaut à son tableau d’avoir été, dès 1789, reproduit à l’infini sous forme d’estampes et de gravures coloriées.

Source : Guillaume BOUREL, « La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, 1789 », Histoire par l’image.

2 Commentaires

  1. Pourquoi n’associez-vous pas aux droits la
    DECLARATION DES DEVOIRS DE L’HOMME ET DU CITOYEN
    La Déclaration des droits et devoirs de l’homme et du citoyen de 1795, ou Déclaration de l’an III, correspond au préambule de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795).
    Votée par la Convention dans sa séance du 23 germinal An III (12 avril 1795)
    présidée par Boissy d’Anqlas.
    Publiée au Moniteur National le 27 germinal An III.

    • Cher Bruno,
      En vérité, cet artcile est du au talent du professeur d’histoire en classes préparatoires littéraires au Lycée Fénelon (Paris VIe) d e Guillaume Bourel est qui a écrit a écrit plusieurs manuels scolaires en Histoire Géographie. Son commantaire vaut pour le tableau “Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen” de Jean-Jacques François Le Barbier, dit « Le Barbier l’Aîné » (1738-1826) peintre, illustrateur et écrivain.
      Vous avez entièrement raison d’évoquer la Déclaration des droits et devoirs de l’homme et du citoyen du 22 août 1795 qui reprend les droits proclamés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, mais ils s’en distinguent à de nombreux égards, notamment s’agissant des droits politiques et sociaux. Néanmoins, même si le texte de 1795 ne mentionne plus que les hommes « naissent et demeurent libres et égaux en droit », principe présent depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (article 1)… même si l’esclavage reste aboli à la suite de la décision de la Convention du 4 février 1794 (16 pluviôse an II).

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