sam 23 novembre 2024 - 12:11

Le bonheur, paradoxale chimère, et les dangers que sa recherche nous réserve

Nous humains avons souvent confondu la quête du bien-être et celle du bonheur. La première est un préalable à la seconde, mais il faut volontairement passer de l’une vers l’autre, sans quoi de désagréables déconvenues nous attendent. Explications.  

Beaucoup d’entre nous sont devenus maçons parce que nous avions « une quête ». Il peut s’agir de la quête de l’absolu, de la vérité ( ou en tous cas sa vérité ), du progrès, la justice, et toutes ces valeurs éventuellement assorties d’une majuscule. L’humain lambda, lui, c’est plutôt le bonheur qu’il recherche. Enfin, ça c’est plutôt chez nous en Occident.

Les grecs déjà faisaient observer que le philosophe fait nécessairement partie des riches, l’exception notable étant Diogène de Sinope. Le philosophe moyen, lui, a besoin d’argent et d’esclaves pour accomplir les tâches qui le laisseront, repu, propre et avec ses autres besoins physiologiques satisfaits, afin qu’il dispose du temps pour réfléchir à toutes ces nobles choses philosophiques. Quelques siècles plus tard, la pyramide de Maslow nous résume l’ordre de priorité des besoins.

Privilégiés  que nous sommes, nous oublions allègrement que les esclaves d’antan sont remplacés par une surconsommation d’énergies, dont certaines déstabilisent la surface de notre pauvre planète.

Ces énergies sont absorbées par plein de technologies dont nous critiquons les quelques défauts, sans rien changer à nos consommations compulsives. Et pour finir, il y a toutes ces mains invisibles qui au bout du monde, nous confectionnent pour un salaire de misère, ces objets que nous remplacerons au premier accroc. 

Le terme « quête » induit l’idée que la satisfaction définitive n’existe pas, ou disparaît rapidement. Ceci avait attiré l’attention de l’économiste Richard Easterlin dans les seventies. L’étude qu’il avait menée avait ramené l’observation qu’il existe bien, comme attendu, une corrélation positive entre PIB par habitant et leur évaluation de leur niveau de bonheur. Mais la corrélation était faible, ce qui est étonnant puisque, entre autres, la qualité de la médecine suit l’écart des niveaux de richesse. La corrélation existe aussi à l’intérieur d’un pays, entre riches et pauvres qui se côtoient. Cela me fait immanquablement penser à mon supérieur hiérarchique qui disait « à quoi ça sert d’être heureux si les autres ne sont pas malheureux ». Humour grinçant qui m’a longtemps fait douter de la bienveillance moyenne de l’humain.

L’étude a finalement été nommée «  le paradoxe d’Easterlin » car montrant que sur une période donnée, on n’observe pas de relation entre un accroissement de richesse et le bonheur .

Les historiens de l’humanité ne sont pas choqués de cette constatation :  un cas similaire s’est produit lors du passage du Paléolithique des chasseurs-cueilleurs au Néolithique des agriculteurs-éleveurs. En effet, l’agriculture a certes diminué les famines et permis à la population de croître en stockant des denrées, mais les inégalités sont apparues à ce moment, de même qu’une soumission plus forte aux rythmes imposés par la nature ou les hiérarchies, les épidémies, les guerres à grande échelle, etc.

Une première explication au paradoxe d’Easterlin vient de ce que le bonheur est en quelque sorte « plafonnable » :  quand on est comblé, on ne peut plus en rajouter. C’est peut-être pour cela que le marketing a été inventé : histoire de créer des besoins artificiels, permettant ensuite de fourguer de quoi les satisfaire. Et cela a marché, quand on voit que l’effet de mode et la pub permettent de convaincre une bonne partie de la population de remplacer plein d’appareils, vêtements et autres accessoires parfaitement opérationnels par des plus neufs mais sans apport de nouvelles fonctionnalités. Et tant pis pour les ressources de la planète…

Deuxième explication : le bonheur est relatif. On retrouve ce que nous évoquions plus haut : l’importance des inégalités pour bien apprécier les choses. Ce n’est pas un constat très reluisant à propos de l’humain, mais oui il a besoin des inégalités. Cela concerne l’appréciation du bonheur, mais de plus la compétition, conséquence des inégalités, est appréciée. On peut supposer que c’est pour son apport d’adrénaline : cela expliquerait le succès des coupes du monde . Mais cela éclaire aussi le fait que l’on tolère les excès inégalitaires du capitalisme, alors que les actions égalitaristes font bailler d’ennui.

Le « pain et les jeux » du peuple tirent leur succès de la tension de la compétition, qui se double  de l’avantage d’ « occuper », c’est-à-dire d’éviter un des risques les plus détestés : celui de s’ennuyer.

Troisième explication. Notre cerveau est une compilation de circuits archaïques, que nous partageons avec une bonne partie des animaux supérieurs, et de parties plus spécifiquement humaines, comme le cortex et ses facultés de raisonnement. Les sciences humaines ont montré que les parties archaïques, comme les émotions et leurs circuits, dominent le plus fréquemment dans nos prises de décision comportementales. En particulier, le circuit de la récompense, avec le striatum comme centre principal, et la dopamine comme neurotransmetteur, crée une sensibilité court-terme au plaisir . Ce circuit est responsable des addictions, sauf que le phénomène de l’ « habituation » viendra, à stimulation constante, diminuer assez vite la sensation de plaisir. La première tentation est alors d’augmenter les doses pour maintenir le plaisir… en vain, bien sûr, d’où le plafonnement du « bonheur », si on a confondu plaisir et bonheur. En termes de consommation il faut donc beaucoup gaspiller avant de comprendre que la solution n’est pas là. Et les ressources de la planète sont gaspillées elles aussi, le temps que l’addiction soit maîtrisée. 

Un problème supplémentaire vient de ce que le circuit de la privation passe par d’autres organes, comme l’amygdale ou l’insula.

Et les souffrances liées à la privation sont bien plus durables que les plaisirs court-terme évoqués plus haut. L’humain se battra donc fort pour conserver ses « droits acquis » . Si on en revient à la consommation, tout nouveau confort ( ex : la 5G ) crée un effet cliquet qui contrecarrera les velléités de sobriété environnementale.

Nous les maçons disposons, avec notre méthode éprouvée, d’une caisse à outils qui réussit à produire du sens même dans le plus frugal des environnements. Faut-il le rappeler, notre méthode agit au niveau individuel comme au niveau collectif, combine le progrès personnel et le progrès collectif  tout en privilégiant l’universalisme.

Il s’agit maintenant, dans la période troublée qui est devant nous, de désamorcer les effets délétères des privations qui sont devant nous. Par exemple, renforçons au maximum nos actions de promotion de la fraternité universelle.  Un but pratique pourrait être  de viser partout à décourager le réflexe si humain de recherche des boucs émissaires.

Plus de détails et de preuves scientifiques sur les mécanismes exposés ci-avant ? Consultez le très documenté « Pourquoi détruit-on la planète ? Le cerveau d’homo sapiens est-il capable de préserver la terre ? » de Thierry Ripoll, aux éditions Le bord de l’eau.

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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