(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent les 1er et 15 de chaque mois.)
La franc-maçonnerie foisonne de symboles. Autant de supports à la méditation, à la pensée, au partage. Autant d’occasions d’y mesurer son action, à l’échelle que la réflexion aura permis de déterminer.
Le long parcours symbolique, ce frottement incessant de la sensibilité et de l’esprit, renouvelé à chaque occasion, a pour vocation de dessiner une voie de progrès vers la compréhension de soi-même, des autres et du monde, dans l’ajustement du multiple et l’aspiration à l’un. Rien n’est, cependant, joué d’avance.
La complaisance à une description détaillée de figures et de principes peut privilégier des raffinements culturels dont les subtilités se complexifient à loisir et détournent indéfiniment leurs adeptes de toute perspective pratique, de sorte que l’action entreprise au-dedans n’a plus même l’ambition de se prolonger au-dehors, sauf en des tours de passe-passe et des jeux de miroirs, où le merveilleux se satisfait de la stérilité, où des agrandissements inattendus tiennent lieu de réalités tangibles.
C’est pourquoi certains délaissent d’emblée la symbolique pour le « sociétal », transformant de proche en proche les exercices vécus lors des tenues, en débats qui trouveraient tout aussi bien leur place dans des cafés philosophiques, sans avoir besoin des incitations et des protections des rituels. D’autres formes de langues de bois y fleurissent alors. Les anathèmes et les exclusives sont prompts à s’y redéployer, abolissant la grande tâche de l’initiation qui consiste à voir plus loin, de plus haut, en rapprochant les contraires.
De là, la diversité de l’offre maçonnique ; de là, des incompréhensions persistantes entre frères et sœurs ayant réglé leurs préférences plutôt dans un sens ou plutôt dans l’autre. Ces désaccords et ces méfiances réciproques sont liés, de mon point de vue, à deux promesses complémentaires qui, dissociées, se soldent, en définitive, par deux paresses inverses : d’un côté, celle qui consiste à manquer de patience dans le travail sur soi, à ne pas tant chercher à enraciner son idéal dans des vertus intimes qu’à croire aux sortilèges d’une action collective qui aplanirait par miracle les dérives inhérentes à tout pouvoir et, d’un autre côté, cette paresse qui consiste à se réfugier dans une prudente course à sa propre vérité, sans qu’un engagement corrélatif dans le monde n’ait besoin d’y apporter la sanction concrète de la vie.
Parce que ces deux paresses voudraient se faire oublier en reposant chacune sur la demi-exigence qui manque à l’autre, les promesses contrastées qui les caractérisent ne sauraient conduire à cette harmonie globale à laquelle, pourtant, leurs champions respectifs prétendent se vouer, se condamnant ainsi, sur des plans différents, à n’être que de bons apôtres…
Merci pour cet article bien senti et qui permet de répondre aux préoccupations de profanes lors de nos enquêtes.