sam 23 novembre 2024 - 12:11

Mgr Helder Câmara et la franc-maçonnerie brésilienne de son temps

De notre confrère corrispondenzaromana.it

Le Serviteur de Dieu Mgr Hélder Pessoa Câmara (1909-1999), prêtre depuis 1931, évêque auxiliaire (1952-1955) et archevêque coadjuteur de Rio de Janeiro (1955-1964), puis archevêque d’Olinda et Recife (1964-1985) , parmi les fondateurs de la Conférence épiscopale brésilienne et de la Conférence épiscopale latino-américaine (voir ici ), fut sans aucun doute « un protagoniste de l’Église en Amérique latine » ( ici ). 

Mgr Câmara, « précurseur de la théologie de la libération » (voir ici ; sur la théologie de la libération, je renvoie à un de mes articles : https://allchristian.it/2017/03/17/teologia-della-liberazione-anno- 1971-p -paolo-m-siano-teologia-della-liberazione-anno-1971/ ), a été défini par le Sunday Times : « l’homme le plus influent d’Amérique latine après Fidel Castro » (voir ici ). 

Du 3 mai 2015 au 19 décembre 2019 s’est déroulée la phase diocésaine de sa cause de béatification ( ici ). Puis à partir de 2019 la “phase romaine” de la Cause a commencé ( ici ). 

Début novembre 2022, les archives de la Servante de Dieu ont été déclarées “patrimoine national” par le Gouvernement de l’Etat brésilien de Pernambuco ( ici ).

1. Un évêque progressiste

Pour avoir une image plus complète de la figure du Serviteur de Dieu, il est bon de relire un article du savant Massimo Introvigne (2008) qui montre que Mgr Câmara :

 a) dans les années 1930, il était membre et secrétaire général de l’Action intégriste brésilienne (AIB) de Plinio Salgado (1895-1975), ou « l’équivalent brésilien du fascisme » ;

b) il a joué « un rôle fondamental » pendant le Concile Vatican II, même s’il n’a jamais pris la parole dans les séances conciliaires. En fait, elle joua un grand rôle (« magna pars ») dans « l’Opus Angeli », sorte d’« association » très privée qui cherchait à influencer le Concile « avec des méthodes un peu curieuses : réunions conspiratrices, contacts privilégiés avec les médias, des noms en code car on ne sait jamais qui lit ou écoute au téléphone ». Le cardinal Suenens, « le principal porte-parole des idées de Câmara dans les débats conciliaires », est presque toujours appelé « le père Miguel». Il semble que l’Opus Angeli ait été dirigé par le théologien autrichien Ivan Illich (1926-2002) qui vivait alors au Mexique, à Cuernavaca, dont l’évêque était Mgr Sergio Mendez Arceo (1907-1992) ;

c) il était en faveur de la contraception et des contraceptifs déjà pendant le Concile. Mgr Câmara et ses amis ont sévèrement critiqué le refus du pape Paul VI de faire se prononcer le Concile sur la question des contraceptifs. Câmara a défini ce refus comme une erreur destinée à « torturer les épouses, troubler la paix de nombreux foyers », et même « la mort du Conseil » ! Puis aussi Mgr Câmara, avec beaucoup d’autres ecclésiastiques, était en désaccord avec l’encyclique Humanae vitae promulguée par Paul VI en 1968 ( ici ). 

2. Mgr Câmara défend les francs-maçons

Toujours en ce qui concerne le discernement du Serviteur de Dieu, son jugement trop indulgent envers les membres de sa famille de la franc-maçonnerie est hautement discutable. Il a lui-même révélé dans les années 1970 que son père (João) et son grand-père (João Edoardo), tous deux journalistes, étaient également francs-maçons. João Câmara, franc-maçon et catholique, voulait que ses enfants reçoivent les sacrements et participent activement à la vie de l’Église catholique de la ville. De plus, tout au long du mois de mai, João a prié Notre-Dame et a chanté des chants religieux en famille (cf. Anselmo Palini, Hélder Câmara , Editrice Ave – Fondazione Apostolicam Actuositatem, Rome 2002, pp. 20-21). 

En voyant le père franc-maçon et catholique, Mgr Câmara déclare (vers 1979) : « C’est pourquoi j’ai toujours mis en doute les graves accusations portées contre les francs-maçons… C’est lui qui m’a appris qu’on peut être bon sans être religieux. Plus tard, j’ai compris par moi-même qu’il est possible d’être catholique pratiquant et en même temps égoïste. 

Quand je repense à mon père, j’ai l’impression que lui, son père, ses frères, toute sa famille appartenaient à la franc-maçonnerie par attitude anticléricale et non antireligieuse voire antichrétienne. Ce n’était en aucun cas une attitude contre les « vrais » prêtres. Il me semble, aujourd’hui comme alors, que c’était plutôt une réaction contre certaines attitudes de l’Église dans tel ou tel domaine et peut-être contre certains prêtres » ( ivi , p. 21, italique du texte).

Donc, selon le Serviteur de Dieu, puisque son père maçon était bon et dévoué dans la famille, alors les accusations généralement portées contre les maçons ne seraient pas vraies… Il semblerait qu’à la lumière de son expérience familiale (grand-père, père et oncles, tous maçons), Mgr Câmara estime qu’être initié à la franc-maçonnerie n’aurait rien d’anti-religieux ou d’anti-chrétien mais serait simplement une conséquence ou une réaction au cléricalisme de l’Église et des prêtres…

Je me permets de dire que ce discernement de la Servante de Dieu est confus et erroné. C’est certainement une bonne chose pour un franc-maçon de faire preuve de gentillesse, de respect et de bienveillance envers les membres de la famille catholique dans la famille, mais cela ne suffit pas pour excuser ou justifier l’appartenance des catholiques à la franc-maçonnerie. Une chose est le comportement de l’individu franc-maçon, une autre est la structure initiatique et rituelle de la franc-maçonnerie. Et c’est cela qu’il faut prendre en compte pour un discernement authentique au sujet de la franc-maçonnerie.

J’offre donc ici quelques données sur la franc-maçonnerie brésilienne de l’époque où vécut la Servante de Dieu, en évitant de m’appuyer sur des publications anti-maçonniques, comme par exemple celle du P. Antonio Miranda, O segrêdo da Maçonaria (Editora “O Lutador”, Manhumirim (Minas) 1947), qui définit la franc-maçonnerie comme une association composée de nombreuses sectes secrètes, inspirées par le diable, qui veut fonder un nouvel ordre et une civilisation anti-chrétienne (cf. p. 17) .

Au lieu de cela, je préfère les sources maçonniques d’où l’incompatibilité entre la franc-maçonnerie et l’Église émerge de manière incontestable.

3. La franc-maçonnerie brésilienne vue de l’intérieur

Entre 1974 et 1976, la maison d’édition “Editora Artenova” de Rio de Janeiro (Brésil), publie l’ouvrage en 4 volumes, Grande Dicionário Enciclopédico de Maçonaria and Symbology (GDEMS) du franc-maçon Nicolas Aslan (1906-1980). Né en Grèce en 1906, de nationalité italienne, résidant au Brésil depuis 1929, Aslan est depuis 1956 membre de la franc-maçonnerie brésilienne régulière, la Grande Oriente do Brasil (GOB). Au moment du GDEMS, Aslan a obtenu le 32e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA). Puis il recevra le 33ème et dernier degré du REAA.

Dans la revue jésuite italienne La Civiltà Cattolica du 21 mai 1977, le massonologue P. Giovanni Caprile (1917-1993) présente Nicolas Aslan comme un « expert sérieux et honnête en historiographie maçonnique » (An 128, Vol. II, Quaderno 3046, p. . 411) et cet ouvrage comme « un outil utile pour la connaissance la plus adéquate du phénomène maçonnique » (p. 411), ou un ouvrage qui contribue « à la clarté, à l’exactitude, au dialogue serein » (p. 412). Mais, au-delà du dialogue, l’incompatibilité entre la franc-maçonnerie et la foi chrétienne ressort précisément du dictionnaire encyclopédique maçonnique d’Aslan.

Parmi les écrivains maçonniques cités par Aslan, il y a des experts en ésotérisme maçonnique comme Albert Gallatin Mackey 33e, Albert Pike 33e, Oswald Wirth 33e… On retrouve aussi des concepts typiques de la culture ésotérique (cabale juive, alchimie, hermétisme…).

Aslan explique la doctrine kabbaliste selon laquelle la bisexualité ou androgynie est en Dieu et dans l’Adam Primordial ou Adam Kadmon. De plus, la doctrine kabbalistique de l’Adam Kadmon et des Séphiroth est présente dans le Rite Ecossais Ancien et Accepté (cf. GDEMS, vol. I, 1974, p. 47).

L’Alchimie, en tant que gnose secrète qui interprète les dogmes du Christianisme de manière Hermétique (selon l’Hermétisme), influence les Hauts Degrés Maçonniques, en particulier le REAA (cf. GDEMS, I, pp. 74-75). L’influence kabbaliste se trouve dans la liturgie maçonnique (cf. GDEMS, I, p. 84).

Aslan 32 écrit que « l’ Antéchrist » est le pôle négatif nécessaire à toute Manifestation et au Progrès : « C’est le pôle négatif nécessaire à toute manifestation et à tout progrès » (GDEMS, I, p. 109).

Aslan explique que le bouc « Baphomet », symbole templier ou néo-templier, est un symbole d’initiation (cf. GDEMS, I, p. 164), un symbole hermétique, alchimique, magique et panthéiste de l’Absolu (cf. GDEMS , I, p. 150-151).

Au Premier Degré d’Apprenti Franc-Maçon se trouve le Cabinet de Réflexion (« Câmara das Reflexões ») : un cabinet sombre, symbole du centre de la terre, avec des symboles mortuaires et alchimiques, dans lequel le candidat à la Franc-Maçonnerie reçoit la mort initiatique qui correspond à la putréfaction ou transmutation alchimique. L’homme profane meurt et renaît maçon (cf. GDEMS, I, pp. 198-200). 

La Loge du Troisième Degré du Maître Maçon est appelée la “Chambre du Milieu” et est le lieu où a lieu la seconde mort initiatique, l’éternelle reconstruction (cf. GDEMS, I, p. 200)…

Le Point dans le Cercle est un symbole important de la franc-maçonnerie anglo-saxonne : il représente Dieu au centre du cosmos mais a aussi une « significação phallique », c’est-à-dire qu’il représente « le principe de génération » (cf. GDEMS, I, p .247).

Aslan soutient également la Dualité cosmique (Dieu-Diable, Lucifer porteur de lumière et porteur de ténèbres…) et l’union des contraires : Tout vient de l’Un et Tout retourne à l’Un (cf. GDEMS, I, p. 327). La dualité (ex. : Bien-Mal, Dieu-Satan…) peut être complétée par un troisième élément (cf. GDEMS, I, p. 341)…

Aslan nie la doctrine catholique sur l’éternité de “l’ Enfer ” : la peine, s’il y en a, est longue mais limitée (cf. GDEMS, Vol. II, 1974, p. 505)…

Aslan précise que la Franc-Maçonnerie a son « Ésotérisme », elle a sa « part ésotérique », elle a « l’aspect ésotérique et iniciatique », mais tous les Maçons ne la comprennent pas donc s’arrêtant à l’aspect social de la Franc-Maçonnerie (cf. GDEMS, II, p 385).

Déjà en 1974, Aslan savait que dans le nouveau Code de droit canonique (en cours de révision après le Concile Vatican II), les canons (par exemple le can. 2335) qui condamnaient ouvertement la franc-maçonnerie n’apparaîtraient plus (cf. GDEMS, II, pp 409-410) .

Aslan réitère la bisexualité de la Divinité suprême (cf. GDEMS, II, pp. 525-526), ​​​​et donc de « Jéhovah » (cf. GDEMS, II, pp. 535-536).

Aslan 32° précise que le Principe du Feu que l’on retrouve dans les Hauts Degrés maçonniques, c’est-à-dire le pouvoir universel de régénération, peut aussi être appelé « Lucifer » (cf. GDEMS, II, p. 604)…

Le Maître Maçon atteint l’état de véritable initié lorsqu’il prend conscience de ne faire qu’un avec « l’Energie de Vie Universelle» (cf. GDEMS, Vol. III, 1975, p. 686).

Les Officiers de Loge peuvent correspondre aux 10 Séphiroth (émanations divines) qui forment l’Arbre de Vie Kabbalistique (cf. GDEMS, Vol. IV, 1976, pp. 1005-1010).

Aslan précise que dans le symbolisme maçonnique il y a aussi le Serpent, symbole de l’énergie universelle, symbole de l’harmonie des contraires, le grand agent magique (cf. GDEMS, IV, pp. 1020-1021)… Le Serpent Uroboros des Gnostiques et alchimistes est un symbole de l’Unité absolue et du retour de tout à l’Unité (cf. GDEMS, IV, pp. 1144-1145)…

Le ” Tao ” correspond au cabalistique ” En-Soph ” hébraïque et au ” Parabrahm Hindou ” et apparaît sous la forme de ” Yang ” et ” Yin “, ” Pur ” et ” Impur “, masculin et féminin… (cf. GDEMS, IV, p. 1074).

Comme dans les années 1970, il y a encore aujourd’hui au sein de l’Église des clercs et des laïcs qui sont très actifs dans une opération continuelle visant à amener la hiérarchie ecclésiastique à déclarer licite ce qu’elle a toujours rejeté, comme par exemple : la contraception et les contraceptifs (également défendus par Mgr Câmara), la franc-maçonnerie (défendue au Concile Vatican II par Mgr Sergio Mendez Arceo, un ami de Mgr Câmara), l’homosexualité ou les théories du genre et LGBT (défendues par le clergé progressiste)   Que l’Esprit Saint, par l’intercession de Marie Très Sainte Mère de l’Église, aide les pasteurs à résister à cette opération diabolique et à garder et transmettre fidèlement ce que saint Jean-Paul II appelait : « le dépôt de la foi », «le précieux dépôt de la doctrine chrétienne » (cf. SS Jean-Paul II, Constitution apostolique Fidei Depositum , 11 octobre 1992, in https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/it/apost_constitutions/documents/hf_jp -ii_apc_19921011_fidei-depositum.html ).

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