Des marionnettes rebelles ? Jacques Fontaine ose descendre aux racines naturelles de l’homo sapiens. Il découvre une autre manière de vivre ensemble.
L’angoisse primordiale
Des schizophrènes jusqu’à aujourd’hui
Le progrès du aux sciences dures rassure et permet d’éviter le miroir. Il rassure parce qu’il fait croire que l’Humanité a un sens et qu’il est protégé de la mort. Celle-ci est la mère de toutes les angoisses, prétend-on souvent. Vaincre la peur du départ organique est une chance ou un but. Mais nous ne nous en débarrassons jamais vraiment. Nous y mettons beaucoup de significations, avec les religions, les différentes autres croyances, les supputations sur le karma et les réincarnations.
S’y ajoutent depuis quelques décennies, les témoignages « objectifs » de la vie après la vie, les fameuses EMI ou Expériences de Mort Imminente. Elles sont décrites et cataloguées en premier par Raymond Moody, le long de vingt ans, d’observation du phénomène. Elles semblent, au dire des expérienceurs dissoudre l’angoisse de mort. Pour l’instant, l’Homme n’en est pas là. La mort est bien fidèle à son capuchon et à sa faux. Plus encore, elle serait une composante narquoise ou amère des angoisses qui nous habitent, nous agitent. Elle dérange ; alors aujourd’hui elle commence à être vécue comme une maladie à échéance toujours plus lointaine. Je ne crois pas que si nous vivions 150 ans, plus même, le lit des angoisses de notre psychisme serait soigneusement replié au carré.
Le plus commode pour rester en état de santé est de muter l’angoisse primordiale. Pour ce faire, nous inventons sans cesse des dangers imaginaires que nous nous imaginons pouvoir combattre. S’installe alors des repoussoirs de craintes et nous affirmons la dangerosité dont nous nous sentons victimes : aujourd’hui, le redéploiement d’une théorie du complot, ainsi nommée par crainte de l’appeler par son nom exact, la paranoïa. Les traits de caractère qui caractérise cette névrose, sous des formes individuelles et collectives, nous font sauter comme des pantins apeurés. Alors « le principe de précaution » fait florès pour un oui, pour un non. Ce qui ne veut pas caviarder l’utilité d’une telle névrose si bien partagée : c’est un moyen d’être en permanence sur ses gardes pour prévenir tout danger. Le code de la route est une mise en œuvre de l’utilité de cette disposition psychique. L’état de santé du monde réclame donc un minimum de tendances paranoïdes pour parer à tous risques dangereux pour la société. Les guerres sont souvent fondées sur la paranoïa justifiée par ses porteurs Même ritournelle pour ce principe de précaution, si envahissant actuellement ; souvent pour notre plus grand bien.
Méfiance, parades, déplacements… Voici une citation : « Les gens vivent, sur une plaie quasi métaphysique, dans une angoisse constante du cancer, des infections, des accidents de voiture, des nourritures de mauvaise qualité, de l’air vicié… la liste est infinie. Et cette angoisse latente face aux dangers de la vie n’est certainement pas sans effet sur la qualité de vie de l’homme total. Parfois les précautions, souvent devenues obligatoires, sont plus restrictives et fastidieuses que le danger encouru. Vaut-il mieux supprimer tous les fromages au lait cru, ou risquer une gastro-entérite, voire une listériose de temps en temps ? Qu’est-ce qui est plus nuisible à ce fameux homme total, manger une nourriture insipide ou avoir, peut-être, mal au ventre pendant quelques jours ? Nous sommes maintenus, avec la lourdeur excessive du principe de précaution, en état de peur ». Le principe de précaution renforce la dépendance aux angoisses. Il pourrait être le socle où s’érigent les dictatures avec les lois liberticides, au nom de la sécurité du peuple. La chanson est connue, avec le communisme. Et est toujours fredonnable par les humains. Quelque soient les masques sociaux.
Un exemple mondial récent exprime fort clairement comment l’angoisse primordiale peut être réveillée, avec tous les justificatifs prétendus rationnels, pour montrer que nous ne sommes surtout pas les humanimaux d’une meute en proie à une menace réelle mais, à ce jour, très mineure : le coronavirus.
Parcourons trois points d’analyse éthologique :
• D’abord, il est naturel qu’une espèce, quand elle prolifère, soit la victime d’épizootie ; soit, dans le langage des seigneurs, une épidémie ou mieux une pandémie qui fait encore plus trembler. Inutile de pointer le nombre d’enfants qui meurent chaque jour de faim ou de violence, 22 000 ! Nous ne nous sentons pas concernés. Mais quand les professeurs de médecine, en chœur, affirment que le virus va faire des milliers de morts soit quatorze jours de morts d’enfants, rien ne bouge dans nos consciences. Car, là, nous nous sentons, objectivement, menacés.
• Ensuite parce que vivre ensemble une psychose hystérique ressoude nos liens et apporte une jouissance secrète, surtout non avouée, celle de l’instinct grégaire. Pas question de remettre en cause les mesures déferlantes de la prévention ; mais je ne puis m’empêcher d’observer le comportements de mes sœurs et frères humanimaux. Le syndrome de l’accident : ce qui touche le groupe, c’est ce qui est proche. Au fur et à mesure que le danger s’éloigne géographiquement, il devint moins menaçant, indépendamment de sa gravité réelle et statistique. Songeons, un seul instant au nombre de décès annuels dus à la grippe, soit 8 à 10 000 victimes, en France. Comparons ce nombre avec celui des victimes du virus, à ce jour, environ 7000. Avec une contagiosité bien plus élevé pour le coronavirus. Que penser alors de notre panique devant un danger, à ce jour, bien moindre ? J’ose aller plus loin. Comment, sous le seul regard de la statistique, pouvons-nous admettre, sans frémir et au milieu de notre gaspillage effréné la statistique suivante : toutes les onze secondes, un enfant meurt de faim dans le monde ? J’entends alors : « Mais tu confonds tout ; ce n’est pas du tout pareil… Tu mélanges causes et conséquences…D’ailleurs quelles sont tes sources car ces chiffres sont discutables…» Soit ! je me tais.
• À voir, enfin, si cette épidémie n’est pas un des premiers symptômes d’un monde fiévreux, qui se précipite dans la déliquescence. L’effondrement, prédit par le GIEC, commencerait-il ainsi ? L’avenir le dira.
Il est temps, maintenant, d’envisager un début de remédiation, sans trop se focaliser sur l’irruption de l’effondrement. Assainir nos désirs de compétition et développer ceux qui nous poussent, en tout spontanéité animale, vers la coopération, toutes deux naturelles à l’humain. En cette évolution la raison qui nous enorgueillit tant, n’est au fond que déploration et prétexte de camouflage. Pour autant notre conscience est, elle, un fort puissant levier de compréhension d’abord, puis un support de notre quête biophile. Qu’est-ce à dire ? La biophilie est l’amour du vivant et au-delà de la nature, dans une relation apaisée d’attachement et d’inclusion. La fraternité caracole avec elle, comme l’affirme cette phrase : Nous aimerons de plus en plus… « … développer leurs pulsions empathiques innées et leurs liens biophiliques, qui comprend l’ensemble de nos frères humains mais aussi les autres vivants ». La biophilie est un passage obligé, selon moi, dans la quête de l’UN, ce symbole époustouflant !
Pour mieux caractériser l’état de santé du monde enflammé par l’Homme, nous manquons souvent de vocabulaire pour décrire la situation Aussi je me permettrai d’user inévitablement de néologismes, seuls à même de qualifier ledit état sanitaire. Déjà, nous disposons de deux termes créés par Michael Balint, Ils sont tout à fait susceptibles de nous faire avancer dans notre palpation du pouls du monde :
• L’ «ocnophile », est celui qui a toujours besoin de se cramponner à ses objets : à quelque chose ou à quelqu’un. Il ne peut lâcher un objet que pour en agripper un autre. Les grands espaces lui font peur. Les ocnophiles cherchent leurs racines. Ils ne sentent pas citoyens du monde.
• L’autre type, c’est le « philobate ». Il aime les grands espaces et redoutent les objets, ressentis comme malveillants, qui pourraient faire obstacle à sa liberté de mouvement. Les seuls objets qu’il apprécie, ce sont ceux qui forment son équipement et qu’il peut emporter facilement avec lui où qu’ils aillent. Les philobates aiment être des citoyens du monde.
Jusque-là, la distinction est simple. Mais la santé du monde n’est pas préservée pour autant. En voici les raisons : nous sommes de plus en plus des ocnophiles auxquels on fait croire qu’ils sont des philobates. Pointent les schizophrènes qui souffrent dans le silence des étouffades. Bien sûr, l’idée de « village global » de Marshall Mac Luhan serait peut-être à même de réconcilier les deux antagonistes. Est-ce envisageable pour les temps qui viennent, de recouvrer la santé déchirée ? Ma réponse : la forte tendance qui va encore et encore s’amplifier, de recourir aux pratiques, méthodes de développement personnel ouvrent une porte chantante. Car ces manières de vivre, adoubées de quête spirituelle, répondent aux grandes oubliées de notre santé collective. Enfin écouter croître en soi, le sens, celui de sa vie, de celles des autres, de la vie. Voilà donc une remédiation espérée de l’état de santé en dangerosité, du monde. Nous sommes loin des fourches caudines, brutales sous leur apparence doucereuse, de cet hyper-capitalisme qui donne la fièvre.
Oui, certes, nous le coinçons, ce virus, l’angoisse primordiale dont l’humain ne s’est jamais guéri. Mais il faut aller plus loin pour traiter au mieux tous les autres microbes logés au cœur de l’Homme. Dernier pouls, celui de la lumière sur nous-mêmes. Qui sommes-nous donc, et comment nous organisons-nous en une meute acceptée, dans l’ignorance, par presque tous ?