jeu 31 octobre 2024 - 09:10

Une autre manière de lire Confucius

Par Georges Charles – Fondateur des Arts Classiques du Tao

Ceux qui découvrirent Confucius au Siècle des Lumières furent impressionnés par le fait qu’il s’agissait d’un Homme, d’un Etre Humain, s’adressant aux autres Êtres Humains et non d’une parole révélée attribuée à une divinité. Ce qui valut à Voltaire cette terrible parole « Faut-il croire la Chine ou Moïse ? ».

Confucius, alias Maître Kong ou Kongzi, (551 av. J.C. 479 av. J.C. ) passe généralement pour un parangon de vertu qui représente l’ordre social et que l’on oppose naturellement à Lao Tseu, alias Laozi, prétendument chef de file et Maître à penser des Taoïstes. Confucius est censé représenter un modèle social basé sur le système pyramidal qui caractérisait l’Empire de Chine puis la Chine. On oublie alors de se demander pourquoi il fut si souvent, au cours des âges et encore récemment, critiqué par ce même pouvoir et même interdit et que ses descendants ou lointains disciples pourchassés et exilés sinon exécutés. C’est tout simplement parce qu’il est le plus violemment critique envers ce fameux pouvoir politique qu’il semble encenser mais qu’il combat avec force et conviction. Et ceci depuis plus de deux millénaires. Mais il utilise pour ce faire une méthode qui nous est inhabituelle. Il décrit simplement un mode idéal presque parfait où chacun est à sa place et exerce sa vertu pour le bien du peuple. Et il le fait avec une constance irréprochable. Si on se met à la place d’un brave homme il semble indiquer le chemin à suivre pour devenir un exemple et obtenir une réussite sociale enviée.

Si on modifie quelque peu l’angle du regard on se rend rapidement compte qu’il décrit volontairement un idéal qui est très éloigné de celui qui motive en fait ceux qui dirigent la Chine. En montrant la perfection il révèle l’imperfection notoire de la réalité. Lorsqu’il dit « Un prince devrait être comme-ci ou comme ça et agir de telle manière pour obtenir tel résultat… » la simple observation du prince en question démontre qu’il agit tout autrement et que son comportement est loin d’être exemplaire. Donc que le résultat escompté ne peut être au rendez-vous. Et qu’il y a tromperie manifeste. Le prince est un escroc. Mais dit d’une autre manière, plus policée et surtout plus chinoise. Un prince lui demandait justement « Si vous étiez à ma place que feriez-vous donc ? » et Kongzi répondit simplement « Zheng Ming ». Ce qui signifie « rectifier (Zheng) (les)noms (Ming) ». Ce qui signifie encore « remettre droit les mots ».

Les commentateurs expliquent doctement « Lorsqu’on ne se comprend pas (si les mots sont faux) cela engendre de la méfiance et la méfiance est la racine de l’incompréhension qui peut engendrer la violence ». Mais Zheng Ming pour le Peuple c’est simplement le « bon sens ». « Que feriez-vous à ma place ? » réponse cinglante « Du bon sens ».

Tout est presque dit. Wangbi (Wang Pi) (226 249) considéré comme l’un des plus brillants commentateurs des Classiques a pu dire de Confucius « Le Doctrine du Maître Kong tient en deux caractères qui sont Zhong et Shu. Zhong c’est s’élever au plus haut de soi-même. Shu c’est s’ouvrir vers les autres. Tout le reste n’est que laçage de sandales. » Ce qui est évidemment quelque peu lapidaire. Par « laçage de chaussures » Wangbi considère le Rituel (Li) décrit par ailleurs dans le « Traité du Rituel » (Liji) qui est un des grands classiques liés au confucianisme et qui serait la base de la politesse et du savoir-vivre. Donc du « vivre ensemble ».  

Zhong, originellement, représente une cible qui surmonte un Cœur. Pas uniquement l’organe mais le « Cœur conscience » qui « engendre l’Esprit ». Zhong c’est « le Cœur/droiture ». C’est ce qui permet à l’Esprit (Shen) donc à l’Etre Humain (Ren ou Jen) de s’élever bien au-dessus de sa condition d’origine. C’est, en quelque sorte aussi l’Initiation. Suivant Confucius comme il faut rectifier les mots, il convient avant tout de rectifier de cœur. C’est simplement la droiture. Le dictionnaire classique de la langue chinoise, le Ricci (caractère 1272) donne les traductions suivantes : Fidèle, loyal, dévoué, sincère, honnête -l’aspect intérieur de la droiture et de la loyauté. Shu (caractère 4429) de ce même dictionnaire c’est : Juger et traiter autrui comme on souhaiterait l’être soi-même. On retrouve la clé du Cœur surmonté par une bouche et la racine ancienne Etre Humain (Ren). C’est « un Etre qui s’exprime avec son cœur ». On retrouve cette notion de verticale (s’élever) et cette notion d’horizontale (s’ouvrir) qui dans la cosmologie chinoise classique représentent le Yang (un trait vertical unique) et le Yin (deux traits horizontaux produisant une « ouverture ».  Cela correspond également à un autre principe confucéen essentiel : Rectitude (Zheng) (Ricci 319) et Bienveillance (Jen) (Ricci 2427). Ce dernier représente la vertu d’humanité, la disposition de bienveillance envers autrui. Mais il faut tout de suite affirmer que Wang Yang Ming (1472 1529) souhaitait que l’on élargisse cette bienveillance à la multitude des êtres et même des choses et que l’on ne se limite plus à ses seuls semblables. C’est l’un des « Quatre Successeurs » à avoir sa statue dans le Temple de Confucius. Wang Yang Ming souhaitait également que « San Jiao He Yi » « Que les Trois Enseignements, Taoïsme, Confucianisme, Bouddhisme s’harmonisent (s’unissent) en Un ». Ce qui lui valut pas mal de problèmes de la part des intégristes. 

On retrouve, malheureusement, cette notion de « verticale et d’horizontale » dans un film relatant les aventures très romancées de Yip Man, l’un des Maîtres de Bruce Lee. « Verticale tu es vivant, horizontal tu es mort ! ». Ce qui est pour le moins réducteur mais qui démontre le niveau intellectuel ambiant. Mais revenons au cœur de notre sujet. Un individu prônant la droiture, la loyauté, la sincérité, l’honnêteté, la bienveillance comme fondement de la politique d’Etat est nécessairement suspect, du moins indésirable. Et Confucius ne se contente pas d’allusions ou de ce principe de critique par comparaison qui est si mal compris. Il lui arrive parfois de mettre les pieds dans le plat.
Dans « Daxue » « La Grande Etude » qui lui est en grande partie attribuée il explique « Cela signifie que l’Etat doit faire preuve de plus d’intérêt pour cultiver les devoirs que pour rechercher les profits. Quand celui qui dirige une nation ne s’applique qu’à amasser des biens matériels, cela vient obligatoirement des hommes médiocres dont il fait grand cas. L’utilisation d’hommes de peu provoque l’arrivée simultanée de fléaux et de malheurs dans la nation en question. Aussi même si il se trouve là d’excellents hommes, ils n’y peuvent déjà plus rien. » (Philosophes confucianistes – La Pléiade NRF Gallimard – La Grande Etude   6B pages 565 et 566).

 
Ce qui est pour le moins explicite. Concernant les Taoïstes, il faudrait maintenant dire, d’ailleurs (de Chine !) les daoïstes et enlever les trémas : daoistes, Yangzi dit en substance, ce qui est très direct « Si il fallait que je sacrifie une rognure de mon ongle pour sauver ce monde, j’hésiterai ».
Quant aux Bouddhistes tant qu’ils ne remettaient pas en cause le pouvoir central comme ce fut le cas lors du changement dynastique entre les Ming et les Qing, ils bénéficiaient généralement d’un statut-quo favorable. Lors des événements de la Place Tian An Men les premiers à manifester furent les étudiants en philosophie et les premières pancartes brandies comportaient ce slogan « Non à la boutique de Confucius ! » Les commentateurs virent une critique du Maître kong sans savoir que ces étudiants exhumaient le fameux Wang Yangming. Les « boutiquiers de Confucius » au pouvoir utilisaient celui-ci comme des épiciers : deux cents grammes de Confucius par-ci, trois tranches de Confucius par la, une pincée de Confucius, un extrait de Confucius… afin de pouvoir l’instrumentaliser. Puis les étudiants reprirent les aphorismes de ce « néo-confucianiste » (le terme « néo-quelque chose » est toujours suspect) : « Chercher à comprendre c’est déjà contester » ; « Dans certaines circonstances ne rien faire c’est déjà agir » ; « Agir est facile » ; « il y a une seule raison d’agir et dix mille pour ne rien faire »… Et ils s’assirent par terre. Le pouvoir eut peur et fit donner les chars. J’ai finalement un conseil à donner : il suffit de lire Confucius et de ne pas se contenter de ceux qui ont vu l’homme qui a vu l’ours et qui n’a pas eu peur. Il est accessible et nous disposons en France de pas mal de traductions qui ont le mérite d’exister. L’édition que j’ai citée précédemment, La Pléiade, concernant ces textes ainsi que ceux des taoïstes (Tome 1 et Tome 2) est une bonne référence.

Enfin, ceux qui découvrirent Confucius au Siècle des Lumières furent impressionnés par le fait qu’il s’agissait d’un Homme, d’un Etre Humain, s’adressant aux autres Êtres Humains et non d’une parole révélée attribuée à une divinité. Ce qui valut à Voltaire cette terrible parole « Faut-il croire la Chine ou Moïse ? ».

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Georges Charles
Georges Charles
Georges Charles, né à Paris en 1950, est un expert français des arts martiaux japonais et chinois. Depuis 1979, il est le maitre héritier et successeur en titre de l’école de boxe chinoise de l'interne san yiquan (du style xingyiquan). Auteurs de nombreux ouvrages, il est un pionnier des arts martiaux en France.
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