sam 20 avril 2024 - 06:04

Tragédie des croyances communes : perte de rationalité et anti-Lumières

Des études sociologiques ont montré que dans les groupes les opinions professées et les arguments support ont tendance à s’aligner : c’est la tragédie des croyances communes . Elle est une composante du post-modernisme qui cherche à détruire les Lumières.

Connais ton ennemi et tu pourras le vaincre :  sous-cultures, boucs émissaires, certains rites de passage…

Pour ceux qui n’en sont pas convaincus, et pourtant Freud a fait une belle carrière grâce à ça, il faut savoir que des tests l’ont désormais démontré :  notre désir nous gouverne, et notre cortex sera le fidèle serviteur de nos envies, calculant probabilités, fournissant des prétextes et justifications. C’est cette dernière fonctionnalité du cortex qui me fait dire que la raison n’est pas exclue de la salle de commandement.

Dans quelques cas idéaux il naît du dialogue un gagnant-gagnant différent de l’expression initiale du désir. Mais ça peut aussi se compliquer  lorsque, en cours de dialogue, il faut « peser » l’importance d’un élément et que les deux parties ont des valeurs morales différentes. Il peut s’agir d’interversions sur l’échelle des valeurs (exemple : en matière d’écologie, le souci du bien-être collectif à l’échelon de la planète prime l’autonomie individuelle…ou l’inverse »).

Un autre cas fréquent, hélas, plusieurs divergences proviennent de notre liste personnelle de boucs émissaires :  multinationales cyniques, banquiers cupides, fonctionnaires bureaucrates, politiciens menteurs, complotistes incultes qui « la ramènent », juifs etc.

On observe la formation de groupes de pensée avec une certaine homogénéité, en fait ce qu’aux US on a pu nommer « sous-cultures » (des courants de pensée, quoi), par exemple la sous-culture progressiste et laïque d’une part, et la sous-culture religieuse et conservatrice d’autre part. En observant les foules enfiévrées dans un meeting politique, on constate que l’intérêt de la vérité disparaît très vite au profit des aspects identitaires : c’est le triomphe de l’expression de soi sur la recherche de la vérité. Notre cœur maçonnique saigne !

Les théoriciens ont nommé ce phénomène d’alignement des opinions et arguments « tragédie des croyances communes ». Bien sûr les taux d’occurrence faiblissent à mesure que le niveau d’instruction des personnes concernées augmente : obtenir qu’un intello s’aligne sur une proposition toute faite n’est pas facile ; une meilleure maîtrise des notions statistiques suffit déjà à hausser la qualité des réponses. Mais ce n’est visiblement pas le seul paramètre en jeu.

Aux USA on a nommé « seconde culture » la sphère professionnelle que nous nommerions « littéraire », incluant la philosophie, la sociologie, la politique, le journalisme, etc. Dans ce monde, les membres se sont dans leur cursus peu frottés à la dureté des lois physiques de l’univers ; il n’est donc pas étonnant que « tout est possible » figure dans leur vocabulaire, ce qui peut faire prendre des positions anti-science baignées de « yaka » .  De plus, il faut reconnaître que les écrivains occupaient partout jusqu’au début du 20e siècle la place la plus médiatique dans le cercle des intellectuels. Ce ne serait pas fort éthique, mais ce serait compréhensible que certains rêvent en douce de voir certains scientifiques tomber de leur piédestal. 

Bref retenons que des groupes sous-culturels s’affrontent « pour avoir raison ». Nous avons tous eu un ami qui brusquement s’est mis à prendre une position anti-Lumières ( ou post-moderniste ), sur base de quelques éléments (vite démontés comme manipulés) afin d’aller dans le sens de la thèse désirée. Personnellement, les revirements de ces personnes me laissent profondément perplexe. Comment les expliquer ?

Un indice nous est constitué par les effets bénéfiques fournis par les religions à leurs ouailles, et en particulier l’effet anxiolytique de l’angoisse de mort. 

En étudiant ces phénomènes le juriste américain Dan Kahan est arrivé à une conclusion surprenante.

Il rappelle qu’il existe une seconde angoisse qui taraude l’humain :  c’est l’exclusion du groupe, laquelle au temps jadis menait à la mort. En faisant passer un test d’irrationalité à des personnes de divers niveaux intellectuels, il lui est apparu que les plus obtuses des réponses d’un groupe sous-culturel étaient fournies par les participants au niveau le plus sophistiqué….et le schéma était identique chez les penseurs de gauche comme chez ceux de droite.

Petite parenthèse en passant :  le chercheur a avec ses équipes analysé la justesse de prédiction d’événements possibles à moyen terme dans l’espace public. Le résultat fut que les commentateurs idéologues, tant de gauche comme de droite, ont obtenu le plus mauvais score de tout le panel. Les meilleurs scores de prédiction furent obtenus chez les nerds ou geeks , peu farcis d’idées préconçues mais costauds en statistiques et interrogation de bases de données, et à l‘écoute de tous les avis.

Mais revenons à nos moutons frappés de croyances communes . Les sous-cultures, ce sont donc des groupes qui pratiquent un corpus de croyances soutenu par un argumentaire, et/ou un narratif. On adore qu’on nous raconte des histoires, ça nous endort ou, plus exactement, cela endort notre crainte d’être éjecté du groupe.

Les rites de passage, vous connaissez ? Eh bien cela existe aussi dans les sous-cultures. Pour être admis, le postulant doit réussir une épreuve. Comme on sait bien qu’avec un niveau d’instruction croissant on tient de plus en plus à la vérité, on soumettra le candidat intello au test de défendre dans l’espace public un truc gros comme une maison. Une fois le candidat membre du groupe, il recherchera et consommera, comme les autres, des nouvelles qui viendront renforcer/exacerber ce qu’ils ressentent comme fans du groupe, et non plus pour étayer plus leur opinion. C’est ce qu’on appelle aux US faire des mensonges solidaires ( blue lies ).

L’ennemi de la raison dans l’espace public n’est donc pas exactement la prolifération des fake news, mais plutôt la conjugaison des forces dans les sous-cultures, religieuses ou idéologiques. La mauvaise nouvelle est que le débordement de testostérone impliqué par les croyances communes et leurs spirales aggravantes mène aussi les membres de ces groupes à participer plus nombreux que les autres aux élections… populistes en vue.

Bon, tout n’est pas perdu, notamment grâce aux efforts héroïques de la franc-maçonnerie ;  foin de blagues, le nombre d’athées et des rationalistes ( Bronner, Pinker, Dennett, et plein de scientifiques ) est en expansion dans le monde, et des membres des obédiences traditionnelles supportent aussi l’humanisme. Il existe quelques autres éléments positifs dans les réflexes de l’habitant moyen de nos pays occidentaux :  par exemple, pas mal de journalistes n’acceptent une dépêche que lorsqu’elle est accompagnée du fact-checking adéquat .

On compte sur vous pour porter nos valeurs dans la société civile !

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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