ven 19 avril 2024 - 12:04

Au-delà du blanc et du noir

  Dès notre entrée en maçonnerie, nous sommes confrontés à ce que nous croyons être des antagonismes, alors qu’il s’agit de dualismes. Nous avons ainsi sous les yeux, le noir et le blanc avec le pavé mosaïque. Et également, les colonnes J et B, le soleil et la lune, le nord et le midi, l’orient et l’occident, etc.

  Selon la recommandation des Constitutions d’Anderson et Desaguliers « d’aller plus loin », il apparaît que nous pouvons « amplifier » nos raisonnements à partir des outils du symbolisme. Par exemple, il nous est loisible d’observer et de penser les oppositions apparentes que sont les principes comme la vie et la mort, le bien et le mal, l’affect et l’intellect, la passion et la raison, le dire et le faire, le singulier et l’universel, l’individuel et le collectif, l’infini et la finitude, etc.

  Or, il ne peut y avoir vraiment d’opposé que ce qui se ressemble, que ce qui se manifeste sur un même plan (ex : l’envers et l’avers d’une pièce de monnaie, d’une carte à jouer) De la sorte, nous nous apercevons que lesdits principes qui co-existent – que le pavé mosaïque peut évoquer – ne sont pas contraires mais complémentaires. Dans cet esprit, il apparaît précisément que le noir n’est pas le contraire du blanc, ni l’opposé. Ce sont deux couleurs que sépare un dégradé extrême de pigmentation.

  Ainsi il est possible d’imaginer – soyons poètes ! – en écartant une dalle noire d’une dalle blanche, toute la gamme des couleurs de l’arc en ciel entre les deux ! L’être humain a tendance à raisonner de façon binaire et symétrique, à partir de sa propre constitution (deux yeux, deux oreilles, deux narines, deux bras, deux jambes) et de voir des contraires et des opposés dans les éléments de la nature, que son intelligence réunit arbitrairement en couple. Or le monde est asymétrique : la mort n’est pas le contraire de la vie (c’est la naissance qui est le contraire de la mort), le soleil n’est pas le contraire de la lune, la terre n’est pas le contraire du ciel, l’homme n’est pas le contraire de la femme, l’homme noir n’est pas le contraire de l’homme blanc et inversement ! Ces éléments « en relation » sont complémentaires.

  L’Apprenti maçon occidental voit généralement un système binaire dans le noir et le blanc du pavé mosaïque, alors que la franc-maçonnerie l’invite à raisonner avec une pensée ternaire pour amplifier son esprit ! Il doit gérer d’entrée cette apparente contradiction pour la bonne suite de sa vie maçonnique.

Exemples de pensée ternaire : « Raison, Imagination, Intuition », « Esprit, âme, corps », « soufre, mercure, sel », « sagesse, force et beauté », « père, mère, enfant », « thèse, antithèse, synthèse ».

« Au-delà du blanc et du noir » : ce pas à franchir invite notamment le maçon, par le biais de la pensée symbolique à amplifier ses cinq sens (regarder mieux que voir, ressentir mieux que sentir, caresser mieux que toucher, écouter mieux qu’entendre, savourer mieux que goûter). La démarche initiatique permet précisément de « marcher devant soi », d’avancer vers l’autre (Construire des ponts plutôt que des murs, dit Newton) Il s’agit de gérer les tensions, transformer les antagonismes en dualismes féconds, prendre conscience des écarts, des distances, des ruptures, les accepter…et s’accepter !

  Connais-toi toi-même : la vraie traduction du grec est : « Connais-toi toi-même, laisse l’univers aux dieux, conduis-toi en conséquence ». Autrement dit, « connais tes limites, accepte-les et sois humble. Dans le mot Vanité, il y a le mot « Vain » !

  Voici un passage intéressant de « l’Ethique de Spinoza » qui peut nous éviter d’être « manichéen » avec le noir et le blanc, le bien et le mal :

« Celui qui après avoir résolu de faire un certain ouvrage est parvenu à l’accomplir, à le parfaire, dira que son ouvrage est parfait, et quiconque connaît ou croit connaître l’intention de l’auteur et l’objet qu’il se proposait dira exactement comme lui… Le bien et le mal ne marquent non plus rien de positif dans les choses considérées en elles-mêmes, et ne sont que des façons de penser, ou des notions que nous formons par comparaison des choses.

Une seule et même chose en effet peut en même temps être bonne ou mauvaise ou même indifférente. La musique, par exemple, est bonne pour un mélancolique qui se lamente sur ses maux ; pour un sourd, elle n’est ni bonne ni mauvaise. Mais bien qu’il en soit ainsi, ces mots de bien et de mal, nous devons les conserver. Désirant en effet nous former de l’homme une idée qui soit comme un modèle que nous puissions contempler, nous conserverons à ces mots le sens que nous venons de dire.

J’entendrai donc par bien, tout ce qui est pour nous un moyen certain d’approcher de plus en plus du modèle que nous nous formons de la nature humaine. Par mal, au contraire, ce qui nous empêche de l’atteindre. Et nous dirons que les hommes sont plus ou moins parfaits, plus ou moins imparfaits suivant qu’ils se rapprochent ou s’éloignent plus ou moins de ce même modèle » (Baruch Spinoza, – L’Ethique – Quatrième partie – De l’esclavage de l’homme ou de la force des passions)

   A propos de symétrie, plusieurs philosophes affirment que Ethique et Morale, c’est la même chose. Je fais pour ma part une différence : l’éthique est parfaitement individuelle, la morale vient des autres, c’est à dire du collectif. La morale peut être reçue, consentie ou refusée. L’éthique, non, elle vient de soi. Avec la pensée ternaire, nous sommes renvoyés à la trilogie « Apprenti, Compagnon, Maître ». Et à leur éthique, précisément, donc à leur réflexion consciente.

   La conscience de soi conduit l’Apprenti à l’introspection. La conscience de l’autre conduit le Compagnon à la considération altruiste en voyageant. La conscience du collectif (du groupe) conduit le Maître à sa responsabilité vis à vis de la Loge.

   La pensée binaire se fige souvent sur le passé dans la rigidité d’une morale «enfermante ». Elle érige en vérité sa conception du bien et du mal, soit un mode de fonctionnement qui «arrange» une société donnée.

   La pensée ternaire, elle, conduit au raisonnement, à la souplesse, à l’ouverture, à la liberté. En l’occurrence, elle vivifie ainsi la loge, en assurant sa pérennité par l’accueil d’idées neuves, la transmission, le recrutement, l’essaimage (construire d’autres loges !)

La méthode maçonnique vise l’interrelation et la coordination : L’Apprenti apprend DES autres, le Compagnon apprend AVEC les autres, Le Maître apprend AUX autres.

2 Commentaires

  1. S’agissant de savoirs, cher Gilbert Guaribal votre formulation est belle. Mais, apprendre Je pense plutôt que quelque soit son degré, le franc-maçon apprend toujours des autres, avec les autres et donc aux autres. L’apprenti offre, au niveau de ses interrogations critiques, un sens de la diversité et de la relativité, une difficulté et une précarité qui obligent le maître à chercher un au-delà de réponses et à trouver pour eux deux une convergence supérieure.
    C’est aussi ainsi pour tout être humain.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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