ven 29 mars 2024 - 10:03

L’Élection d’Israël ? Qui a voté pour le “Peuple Élu” ?

La communauté juive vient de recommencer son cycle liturgique annuel avec la clôture de ses Grandes Fêtes : sh hashShânâ (le Nouvel An), Yôm Kippûr (le Grand Pardon) Ḥagh has-Sukkôth (la Fête des Cabannes) et Simḥath Tôrâ (la Réjouissance de la Torah).

C’est l’occasion d’aborder ici le concept souvent mal compris de “Peuple Élu” – terme religieux peu heureux, car il sous-entendrait que quelqu’un aurait voté pour nous les juifs. Or il n’en est rien.

En ancien français, “élu” signifie “choisi

– et c’est ce que traduit l’original hébreu, provenant du verbe bâḥarchoisir, élire, sélectionner”. Dieu a choisi la Maison de Jacob (th Ya‘aqov, aussi appelée ‘Am Benê Yisrâ’élle Peuple des Enfants d’Israël”) parmi les autres nations afin de lui donner la Torah (Deutéronome XIV:2) : « […] et c’est toi que l’Éternel, ton Dieu, a choisi (bâḥar) pour Lui être un peuple spécial (seghullâ) entre tous les peuples répandus sur la Terre. ». Nous sommes donc ainsi devenus une nation de prêtres (mamlèkheth kôhanîm) et un peuple saint (gôy qâdhôsh) pour Dieu (Exode XIX:6). 

Or, ce choix divin, cette “élection” (beîrâ), pour recevoir la Torah et ses préceptes a été compris parfois comme détenteur d’un jugement de valeur, du genre « je suis choisi, donc je suis le meilleur ». Ce qui est un contresens total ! Certes, nous les juifs avons été choisis spécifiquement pour observer la Torah, c’est pourquoi c’est nous qui sommes exclusivement mentionnés dedans et non pas les autres (car la Torah est un texte auto-référent). Mais en ce qui concerne le fait d’être choisi, chaque famille humaine l’est par rapport à son plan divin spécifique. 

Il n’y a aucun jugement de supériorité ou d’exclusivité en cela.

Nous sommes tous choisis. Chaque nation humaine est choisie à sa manière. Par exemple, les Éthiopiens sont choisis par Dieu pour incarner les valeurs, la culture et la spiritualité de l’Éthiopie. De même, les Français le sont pour les valeurs, la culture et la spiritualité de la France. Et ainsi avec tous les peuples de la Terre. N’est-ce pas ainsi une merveilleuse preuve de l’Amour de notre Créateur ?

Mais le fait de croire que seul le peuple d’Israël serait élu exclusivement (i.e. pas les autres), et de s’accrocher à cette élection en usurpant son identité, a été le contresens commis par les chrétiens.

C’est, de leur part, complètement méconnaître le mécanisme du Salut proposé par notre Torah. Celle-ci laisse à chaque peuple la liberté de développer son chemin pour parvenir au divin, en accord avec sa sensibilité propre.L’important c’est l’être humain lui-même ; c’est-à-dire la réalisation de son projet divin, quel que soit le chemin qu’il emprunte.

La voie de la Torah n’en est qu’une parmi de nombreuses autres, toutes dignes du plus profond respect. Car même si la Torah contient un message universel, cette révélation divine n’a revêtu sa forme particulière que pour Israël. Elle est le patrimoine exclusif d’un peuple, d’une famille, celle de la Maison de Jacob (th Ya‘aqov). Les nombreux préceptes bibliques ne prennent vraiment que chez nous leur sens plein, profond, spirituel et transformateur, comme il est écrit (Deutéronome XXXIII:4) : « la Torah que Moïse nous a transmise, elle est un héritage pour la communauté de Jacob. » « Un héritage pour nous [les juifs], et non un héritage pour eux [les non-juifs] (TB Sanhédhrîn 59a). » C’est pour cela qu’il n’existe pas de prosélytisme juif. 

Ce que je dis ici est même inscrit dans la Halâkhâ (la Loi canonique juive – cf. Shulân ‘Ârûkh, Yôrè Dé‘â 268:2) : Lorsqu’un non-juif (gôy) demande à se convertir au judaïsme, les rabbins doivent l’avertir qu’en tant que juif les commandements bibliques sont nombreux et qu’il est malheureusement facile de les transgresser et de rater son Salut (c.-à-d. sa part au Paradis), alors qu’en restant non-juif, soumis à moins d’obligations religieuses, il est plus facile d’acquérir son Salut (TB Yevâmôth 47a). C’est bien la preuve que nous ne considérons pas la Torah comme l’unique voie proposée à l’humanité, ni que nous possédons l’exclusivité du Salut.

Incidemment, je rappelle qu’ici “Israël” doit être compris dans son sens théologique de “peuple des enfants d’Israël (de Jacob)”, c’est-à-dire des juifs d’aujourd’hui, et non pas dans le sens politique moderne d’État d’Israël, bien sûr.

Je pense qu’en considérant erronément l’élection d’Israël comme exclusive et en voulant se l’approprier, les anciens chrétiens ont péché ainsi par deux choses (en plus d’être passibles de l’usurpation de notre identité) : Primo, délaisser leur propre élection spécialement choisie pour eux par Dieu pour endosser celle d’un autre. Et secundo, croire obtenir leur Salut par la Torah, alors qu’ils n’en observent même pas les préceptes (shabbat, circoncision, calendrier, lois alimentaires, etc.). N’est-ce pas là la recette d’un désastre ? Certes, l’Église catholique a essayé de rectifier cette position avec Nostra Ætate en 1965 – ce qui est un excellent début –, mais le chemin est encore long pour le christianisme en général.   

Ceci dit, je ne viens ni juger ni comparer les religions les unes aux autres, sinon ne tomberais-je pas moi-même dans l’exclusivisme que je dénonce ?

Malgré toutes les réserves qu’un juif comme moi pourrait avoir envers ce qui a toutes les apparences de l’idolâtrie et de l’imposture, le christianisme a réussi à produire des êtres exceptionnels, tels que François d’Assise, Maître Eckhart, Thérèse d’Avila ou Ignace de Loyola, pour ne citer qu’eux. C’est là la marque irréfutable du Sceau de la Grâce que Dieu accorde par Sa Providence miséricordieuse. Cela dépasse tout ce que l’esprit humain peut appréhender, et participe du mystère du Plan de Dieu dans Sa Création.

Bref, pour résumer, la compréhension du concept de “peuple élu” comme ne s’appliquant qu’aux juifs et leur octroyant un statut supérieur, est une erreur. Toutes les familles humaines de la Terre sont “élues”, chacune à sa manière. Pour certaines, leur “élection” est écrite dans des Textes Sacrés (comme c’est le cas d’Israël avec la Torah), pour d’autres non. Pas d’échelle de valeur ici. Aucune “élection” n’est supérieure ou inférieure à l’autre, mais juste différente. Que les bénédictions du Seigneur des Mondes nous accompagnent tous pour cette nouvelle année juive 5782.

***

2 Commentaires

  1. Bonjour Rabbi,
    Il est dit dans la notice autobiographique ; ” maitre-initiateur dans une tradition mystique du judaïsme non- dualiste”… Devons- nous comprendre une tradition moniste (Un le tout) comme celle chère à Baruch Spinoza ?
    Très cordialement
    MW

    • Le monisme à la Spinoza exclut la transcendance, ma tradition non. C’est pour cela que je préfère l’appeler “non-dualiste” plutôt que moniste.

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Gabriel Hagaï
Gabriel Hagaï
Le rabbin Gabriel Hagaï est juif orthodoxe de tradition séfarade, formé à Jérusalem et à Boston (USA). Il est actuellement enseignant-chercheur et chargé de cours dans plusieurs universités et instituts supérieurs parisiens. Linguiste, philologue, paléographe-codicologue, poète, calligraphe et chanteur, il est très investi dans le dialogue interreligieux et membre actif de plusieurs associations françaises et internationales promouvant la paix. Père et grand-père, Gabriel Hagaï est également maître-initiateur dans une tradition mystique non-dualiste du judaïsme remontant jusqu’à Moïse. Il est le lauréat 2019 de la Médaille d’Honneur Samaritaine pour des Réalisations Humanitaires. Gabriel Hagaï est co-auteur de plusieurs ouvrages : « Rites – Fêtes et Célébrations de l’Humanité (dir. Thierry-Marie Courau et Henri de La Hougue) », Bayard, 2012 ; « L’Aventure de la Calligraphie (dir. Colette Poggi) », Bayard, 2014 ; « Espérer l’Inespéré – 15 Témoins pour Retrouver la Confiance (dir. Gersende de Villeneuve) », Saint-Léger Éditions, 2016 ; « La Laïcité aux Éclats (avec Ghaleb Bencheikh, Emmanuel Pisani et Catherine Kintzler – dir. Sabine Le Blanc) », Les Unpertinents, 2018 ; et « Il Padre Nostro e i Rotoli di Qumran nel Lavoro Scientifico di Jean Carmignac (avec Roberta Collu et Hervé-Élie Bokobza) », éditions LEF, Florence, 2019.

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